« Dans l’art, le dynamique est le produit du contemplatif » (Edward Steichen, notes personnelles, cité dans Steichen, Une épopée photographique, Thames et Hudson, 2007, p.248).
Cette phrase de Steichen dit pour moi ce qui est l’essence de la photographie, du moins la photographie telle que je la conçois et je la pratique, une forme de méditation qui n’arrête pas le temps, ni ne le fige, mais au contraire fait circuler le flux de vie encore plus fort et plus vif. L’appareil photo n’est pas, à mon sens, un « boîtier mélancolique » et toute photo n’est pas, comme le soutenait Barthes, essentiellement douloureuse.
La photographie est une pratique méditative au sens où elle permet la réconciliation du corps et de l’esprit dans un tout qui ne soit plus scindé ni séparé en deux. La photographie fait appel autant à la technique qu’à l’artistique, à l’esprit aussi bien qu’aux sens, et c’est ce qui fait son puissant potentiel vital et son dynamisme.
Le processus de la photo, qu’on la prend ou qu’on la regarde, est un processus qui met en jeu aussi bien la synesthésie que des processus physiques ou chimiques. La synesthésie c’est qui se passe quand un sens sollicité en évoque un autre : c’est ainsi que, pour certaines personnes, les jours ont tous une couleur ou bien les chiffres sont également affectés chacun d’une couleur différentes (voir à ce sujet Je suis né un jour bleu de Daniel Tammet, où l’auteur explique bien ce phénomène auquel lui-même est sujet).
Prendre ou une photo ou la regarder est un acte faisant intervenir la synesthésie, car beaucoup de gens disent ressentir le grain des tissus ou bien sentir le goût des plats ou leur odeur rien qu’en les regardant. La photographie de mode ou bien la photographie culinaire par exemple ne reposent pas sur autre chose que ce processus synesthésique, car il s’agit de faire ressentir au public de façon presque physique et en s’adressant à leurs émotions et à leurs sens, la beauté ou le tombé d’une étoffe, ou bien les différents arômes d’un plat et ses odeurs rien qu’en regardant la photo. Il s’agit là avec ces photos d’un acte presque sensuel, car elles visent avant à inspirer le désir de voir et de posséder ou de manger l’objet photographié juste par l’intermédiaire de la sollicitation du regard. Par conséquent, cela suppose de se laisser imprégner par l’image et de se laisser absorber par elle et en elle, un peu comme le photographe, selon Edward Steichen, doit se laisser envahir et posséder, regarder par l’objet qu’il veut photographier : » Regarder le sujet, penser à lui avant de le photographier, regardez le jusqu’à ce qu’il prenne vie et vous regarde en retour » (Edward Steichen, notes personnelles, op. cit., p.247).
C’est en cela que la photographie est une pratique méditative, par la médiation du regard, il faut plonger en soi – même et en l’autre, ici le sujet à photographier ou l’image à regarder, jusqu’à ce que cela ne fasse plus qu’un tout indissociable, grâce notamment à la synesthésie. Ainsi, enfin congruent avec soi – même, corps et esprit réconcilié, le photographe ou le lecteur de la photographie connait un élan profondément porteur de vie et de sérénité, ces sens et son intelligence également sollicités par la photo, le processus désirant est de nouveau en route.
– Par Lucile Longre
– Source : blogs.mediapart.fr