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Walpola Rahula — L’Attitude mentale bouddhiste

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L’ATTITUDE MENTALE BOUDDHISTE

par WALPOLA RAHULA


Extrait du livre « L’enseignement du Bouddha, d’après les textes les plus anciens »

de WALPOLA RAHULA


Walpola_bouddha.jpgLe Bouddha fut, parmi les fondateurs de religions, (s’il nous est permis de l’appeler le fondateur d’une religion, au sens populaire du terme) le seul instructeur qui ne prétendit pas être autre chose qu’un être humain pur et simple. D’autres maîtres ont été des incarnations divines ou se dirent inspirés par Dieu. Le Bouddha fut non seulement un être humain, mais il ne prétendit tendit pas avoir été inspiré par un dieu ou par une puissance extérieure. Il attribua sa réalisation et tout ce qu’il acquit et accomplit, au seul effort et à la seule intelligence humaine. Un homme, seulement un homme, peut devenir un Bouddha.

Chacun possède en lui-même la possibilité de le devenir, s’il le veut et en fait l’effort. Nous pouvons appeler le Bouddha un homme par excellence. Il fut si parfait en son « humanité » , qu’on en vint plus tard à le regarder dans la religion populaire comme presque « surhumain ».
….La situation humaine est suprême selon le bouddhisme. L’homme est son propre maître et il n’y a pas d’être plus élevé, ni de puissance qui siège, au-dessus de lui, en juge de sa destinée. « On est son propre refuge (1), qui d’autre pourrait être le refuge? » dit le Bouddha. Il exhortait ses disciples à « être un refuge pour eux-mêmes » et à ne jamais chercher refuge ou aide auprès d’un autre (2) . Il enseignait, encourageait et stimulait chacun à se développer et à travailler à son émancipation, car l’homme a le pouvoir, par son effort personnel et par son intelligence, de se libérer de toute servitude. Le Bouddha dit « Vous devez faire votre travail vous-mêmes ; les Tathâgata (3) enseignent la voie (4). » Si le Bouddha doit être appelé un « sauveur » c’est seulement en ce sens qu’il a découvert et indiqué le Sentier qui conduit à la Libération, au Nirvâna. Mais c’est à nous de marcher sur le sentier.

Responsabilité

….C’est selon ce principe de responsabilité individuelle que le Bouddha accorde toute liberté à ses disciples. Dans le Mahâparinibbâna-sutta, le Bouddha dit qu’il n’a jamais pensé à diriger le Sangha (l’Ordre monastique (5)), ni voulu que le Sangha dépende de lui. Il disait qu’il n’y avait pas de doctrine ésotérique dans son enseignement, que rien n’était caché « dans le poing fermé de l’instructeur » (âcariya-mutthi), autrement dit, qu’il n’avait « rien en réserve (6) ».

….La liberté de pensée permise par le Bouddha ne se rencontre nulle part ailleurs ainsi l’histoire des religions. Cette liberté est nécessaire, selon lui, parce que l’émancipation de l’homme dépend de sa propre compréhension de la Vérité, et non pas de la grâce bénévolement accordée par un dieu ou quelque puissance extérieure en récompense d’une conduite vertueuse et obéissante.

….Le Bouddha passait une fois par une petite ville appelée Kesaputta, dans le royaume de Kosala. Ses habitants étaient connus sous le nom de Kâlâma. Lorsqu’ils apprirent que le Bouddha se trouvait chez eux, les Kâlâma lui rendirent visite et lui dirent :

…. »Seigneur, des solitaires et des brâhmana qui passent par Kesaputta, exposent et exaltent leurs propres doctrines et ils condamnent et méprisent les doctrines des autres. Puis viennent d’autres solitaires et brâhmana qui eux aussi, à leur tour, exposent et exaltent leurs propres doctrines et ils condamnent et méprisent les doctrines des autres. Mais pour nous, Seigneur, nous restons toujours dans le doute et la perplexité quant à celui de ces vénérables solitaires et brâhmana qui a exprimé la vérité et quant à celui qui a menti. »

….Le Bouddha leur donna alors cet avis, unique dans l’histoire des religions :

…. »Oui, Kâlâma, il est juste que vous soyez dans le doute et dans la perplexité, car le doute s’est élevé en une matière qui est douteuse. Maintenant, écoutez, Kâlâma, ne vous laissez pas guider par des rapports, par la tradition ou par ce que vous avez entendu dire. Ne vous laissez pas guider par l’autorité de textes religieux, ni par la simple logique ou l’inférence, ni par les apparences, ni par le plaisir de spéculer sur des opinions, ni par des vraisemblances possibles, ni par la pensée « il est notre Maître ». Mais, Kâlâma, lorsque vous savez par vous-mêmes que certaines choses sont défavorables (akusala), fausses et mauvaises, alors, renoncez-y… Et lorsque par vous-mêmes vous savez que certaines choses sont favorables (kusala) et bonnes, alors, acceptez-les et suivez-les (7).

….Le Bouddha dit aux bhikkhu qu’un disciple devrait même examiner le Tathâgata (Bouddha) lui-même, de manière qu’il (le disciple) pût être entièrement convaincu de la valeur véritable du Maître qu’il suit (8).

….Selon l’enseignement du Bouddha, le doute (vicikicchâ) est un des Cinq Empêchements (nîvarana (9)) à la compréhension claire de la Vérité et au progrès spirituel (en fait, à n’importe quelle sorte de progrès). Le doute n’est pas un « péché », parce qu’il n’y a aucun dogme qui doive être cru dans le bouddhisme. En fait, il n’y a pas de « péché » selon le bouddhisme, à la manière dont on l’entend dans certaines religions. Les racines de tout mal sont l’ignorance (avijjâ) et les vues fausses (micchâ ditthi).

….C’est un fait indéniable qu’aussi longtemps qu’il y a doute, perplexité, incertitude, aucun progrès n’est possible. C’est également un fait indéniable qu’il doit y avoir doute aussi longtemps qu’on ne comprend pas, qu’on ne voit pas clairement. Mais pour progresser plus avant on doit nécessairement se débarrasser du doute. Pour le faire, il faut qu’on voie clairement.

….Cela n’a pas de sens de dire qu’on ne devrait pas douter, qu’on devrait croire. Dire simplement « je crois » ne signifie pas qu’on comprenne et qu’on voie. Lorsqu’un étudiant travaille sur un problème mathématique, il arrive, à un moment, à un point où il ne sait plus comment avancer et où il se trouve plongé dans le doute et la perplexité. Aussi longtemps qu’il a ce doute, il ne peut pas avancer. S’il veut aller plus avant, il doit résoudre ce doute. Il y a des moyens pour y arriver. Dire simplement « je crois » ou « je ne doute pas » ne résoudra certainement pas le problème. Se forcer à croire à une chose et à l’accepter sans la comprendre peut réussir en politique, mais ne convient pas dans les domaines spirituel et intellectuel.

….Le Bouddha tenait toujours à dissiper le doute. Quelques minutes avant sa mort même, il sollicita plusieurs fois ses disciples de le questionner au cas où ils garderaient des doutes sur son enseignement afin qu’ils n’aient pas à se désoler plus tard de ne pouvoir les dissiper. Mais comme ses disciples gardaient le silence, il leur dit encore : « si c’est par respect pour le Maître que vous ne posez pas de question, que l’un de vous cependant informe son ami » (C’est-à-dire que l’un de vous le dise à son ami afin que celui-ci puisse poser la question de sa part (10)).

Tolérance

….Non seulement la liberté de pensée, mais aussi la tolérance permise par le Bouddha surprennent celui qui étudie l’histoire des religions. Une fois, à Nâlandâ; un chef de famille important et riche, nommé Upâli, disciple laïc bien connu de Nigantha Nâtaputta (Jaina Mahâvira), fut spécialement envoyé par Mahâvîra lui-même, pour rencontrer le Bouddha et vaincre celui-ci dans une controverse sur la théorie du karma, car la manière de voir du Bouddha était différente de celle de Mahâvira sur ce sujet (11). Contrairement à son attente, Upâli fut tout à fait convaincu que la manière de voir du Bouddha était juste et que celle de son maître était fausse. Il demanda donc au Bouddha de l’admettre comme disciple laïc (upâsaka). Mais celui-ci le pria de réfléchir et de ne pas être trop pressé « car réfléchir soigneusement est bon pour des gens renommés comme vous ». Lorsque Upâli exprima de nouveau son désir, le Bouddha lui demanda de continuer à respecter et à soutenir son vieux maître religieux comme il l’avait fait jusqu’alors (12).

….Au IIIe siècle avant J.-C., le grand empereur bouddhiste de l’Inde, Asoka, suivant ce noble exemple de tolérance et de compréhension, honora et soutint toutes les autres religions de son vaste empire. Dans un de ses édits gravés dans le roc, dont l’inscription originale est encore lisible aujourd’hui, l’empereur déclarait :

… »On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner les religions des autres, mais on devrait honorer les religions des autres pour cette raison-ci ou pour cette raison-là. En agissant ainsi on aide à grandir sa propre religion et on rend aussi service à celles des autres. En agissant autrement, on creuse la tombe de sa propre religion et on fait aussi du mal aux religions des autres. Quiconque honore sa propre religion et condamne les religions des autres, le fait bien entendu par dévotion à sa propre religion, en pensant « je glorifierai ma propre religion ». Mais, au contraire, en agissant ainsi, il nuit gravement à sa propre religion. Ainsi la concorde est bonne : que tous écoutent et veuillent bien écouter les doctrines des autres religions (13). »

… Cet esprit de tolérance et de compréhension a été, depuis le début, un des idéaux les plus chers de la culture et de la civilisation bouddhistes. C’est pourquoi on ne rencontre pas un seul exemple de persécution, ni une goutte de sang versée dans la conversion des gens au bouddhisme, ni dans sa propagation au cours d’une histoire longue de deux mille cinq cents ans. Il s’est répandu sur tout le continent asiatique et il compte, aujourd’hui, plus de cinq cents millions d’adeptes.

La Vérité n’a pas d’étiquette

… On demande souvent sile bouddhisme est une religion ou une philosophie. Peu importe comment on l’appelle. Le bouddhisme reste ce qu’il est, quelle que soit l’étiquette qu’on lui attache. L’étiquette importe peu. L’étiquette même de « bouddhisme »qu’on attache à l’enseignement du Bouddha a peu d’importance. Le nom qu’on lui donne n’est pas l’essentiel.

« Qu’y a-t-il dans un nom?
Ce que nous appelons une rose,
Sous un autre nom sentirait aussi bon. »

… La Vérité n’a pas d’étiquette : elle n’est ni bouddhiste, ni chrétienne, ni hindoue, ni musulmane. La vérité n’est le monopole de personne. Les étiquettes sectaires sont un obstacle à la libre compréhension de la Vérité, et elles introduisent dans l’esprit de l’homme des préjugés malfaisants.

… Cela est vrai non seulement en matière intellectuelle et spirituelle, mais aussi dans les relations humaines. Quand, par exemple, nous rencontrons un homme, nous ne le voyons pas comme un individu humain, mais nous mettons sur lui une étiquette l’identifiant en tant qu’Anglais, Français, Allemand, Américain ou Juif, et nous le considérons avec tous les préjugés associés dans notre esprit à cette étiquette. Le pauvre homme peut être entièrement exempt des attributs dont nous le chargeons.

… Les gens affectionnent tellement les appellations discriminatoires qu’ils vont jusqu’à les appliquer à des qualités et à des sentiments humains communs à tout le monde. C’est ainsi qu’ils parlent de différentes « marques » de charité, par exemple de charité bouddhiste ou de charité chrétienne, et méprisent d’autres « marques » de charité. Mais la charité ne peut pas être sectaire. La charité est la charité, si c’est de la charité. Elle n’est ni chrétienne, ni bouddhiste, ni hindoue ou musulmane. L’amour d’une mère pour son enfant n’est ni bouddhiste, ni chrétien ni d’aucune autre qualification. C’est l’amour maternel. Les qualités ou les défauts, les sentiments humains comme l’amour, la charité, la compassion, la tolérance, la patience, l’amitié, le désir, la haine, la malveillance, l’ignorance, la vanité etc…, n’ont pas d’étiquette sectaire, ils n’appartiennent pas à une religion particulière. Le mérite ou le démérite d’une qualité ou d’un défaut n’est ni augmenté ni diminué par le fait qu’on le rencontre chez un homme qui professe une religion particulière, ou n’en professe aucune.

… Il est sans importance, pour un chercheur de la Vérité, de savoir d’où provient une idée. L’origine et le développement d’une idée sont l’affaire de l’historien. En fait, pour comprendre la Vérité, il n’est pas nécessaire de savoir si l’enseignement vient du Bouddha ou de quelqu’un d’autre. L’essentiel est de voir la chose, de la comprendre. Il y a dans le Majjhimâ nikâya (sutta nû 140), une histoire importante qui illustre cette idée. Le Bouddha passa une fois la nuit dans le hangar d’un potier.

… Le Bouddha passa une fois la nuit dans le hangar d’un potier. Il y avait la aussi un jeune solitaire qui était arrivé avant lui (14). Ils ne se connaissaient pas. Le Bouddha observa le comportement du solitaire et pensa en lui-même : « Agréables sont les manières de ce jeune homme. Il serait bon que je l’interroge.  » Le Bouddha lui demanda donc : « O bhikkhu (15), au nom de qui avez-vous quitté votre foyer? Quel est votre Maître? De qui aimez-vous la doctrine?

… – O ami, répondit le jeune homme, il y a le solitaire Gotama, un rejeton des Sakya, qui a quitté la famille des Sakya pour devenir un solitaire. Sur lui est répandue une haute réputation selon laquelle il est un Arahant, un pleinement Eveillé. Au nom de ce Bienheureux je suis devenu un solitaire. Il est mon Maître et j’aime sa Doctrine.

… – Où vit en ce moment ce Bienheureux, l’Arahant, le pleinement Eveillé? »

… – Il y a dans les pays du nord, ami, une cité appelée Sâvatthi. C’est là que le Bienheureux, l’Arahant, le pleinement Eveillé, vit en ce moment.

… – Avez-vous jamais vu ce Bienheureux? Le reconnaîtriez-vous si vous le voyiez?

… – Je n’ai jamais vu ce Bienheureux et je ne le reconnaîtrais pas si je le voyais. »
Le Bouddha comprit que c’était en son nom que ce jeune homme inconnu avait quitté son foyer et qu’il était devenu un solitaire. Mais il dit, sans révéler sa propre identité « O bhikkhu, je vais vous enseigner la doctrine. Ecoutez avec attention. Je vais parler.

… -Très bien, ami », dit-il en acquiesçant. Le Bouddha prononça, alors, pour le jeune homme, un discours remarquable, lui expliquant la Vérité. dont la substance sera donnée plus loin (16).

… Ce fut seulement à la fin de ce discours que le jeune solitaire, dont le nom était Pukkusâti, comprit que celui qui lui parlait était le Bouddha lui-même. Alors, il se leva, se plaça devant le Bouddha, se prosterna devant le Maître, et s’excusa de l’avoir, dans son ignorance, appelé « ami »(17). Enfin il pria le Bouddha de lui donner l’ordination et de l’admettre dans l’Ordre monastique du Sangha.

… Le Bouddha lui demanda s’il avait le bol à aumônes et les robes. (Un bhikkhu doit avoir trois robes et un bol à aumônes.) Lorsque Pukkusâti répondit négativement, le Bouddha dit que les Tathâgata ne donnaient l’ordination à quelqu’un que si celui-ci possédait le bol à aumônes et les trois robes, Pukkusâti partit alors à la recherche du bol et des robes, mais il fut malheureusement attaqué par une vache et mourut (18).

… Quand cette triste nouvelle parvint, plus tard, au Bouddha, celui-ci déclara que Pukkusâti était un sage qui avait déjà vu la Vérité, qu’il avait déjà atteint l’avant-dernier état dans la compréhension du Nirvâna, qu’il était né dans un domaine où il deviendrait un Arahant (19) pour finalement trépasser et ne plus jamais revenir en ce monde (20).

… Il apparaît très clairement dans ce récit que Pukkusâti, lorsqu’il écoutait le Bouddha et qu’il comprit son enseignement, ne savait pas qui lui parlait ni de qui était cet enseignement. Mais il vit la Vérité sans étiquette. Si le remède est bon, la maladie sera guérie. Peu importe de savoir qui l’a préparé et d’où il vient.

– extrait de « L’enseignement du Bouddha, d’après les textes les plus anciens »

de WALPOLA RAHULA

© Editions du Seuil


Source internet : www.leconcombre.com




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