A Bamiyan, là où les talibans avaient dynamité deux bouddhas géants en 2001, les archéologues espèrent en trouver un troisième, enfoui non loin des autres.
La pierre de grès rouge éclate sous les talons et quelque chose ment dans le paysage. Mais quoi ? Sous un soleil de plomb, on crapahute entre les deux grands yeux vides de la falaise qui abrita pendant mille cinq cents ans les fameux bouddhas de Bamiyan. Une cité de 70 000 âmes perchée à 2 500 mètres d’altitude, à 260 kilomètres à l’ouest de Kaboul, dans les montagnes de l’Hindu Kuch, sur le plateau central de l’Afghanistan. A Kaboul, l’atmosphère est électrique, les attaques sont permanentes, la ville est polluée, sale, chaotique, hérissées de check-points, d’immeubles en construction et de kalachnikovs. Bamiyan est un éden sec, rude, calme. Mais quelque chose cloche dans ce paysage à couper le souffle. Un horizon strié de montagnes rouges, des canyons veinés de coulées vertes où courent des rivières d’eau pure. Au loin, des champs de blé et de pommes de terre en fleur, des peupliers. Les gens travaillent aux champs, pêchent dans les ruisseaux, d’autres font du pédalo dans le cobalt des lacs de Band-e Amir, des fillettes en uniforme (voile blanc et tailleur noir) vont à l’école. Tout a l’air normal. Le long de la falaise, la vie s’anime dans les grottes creusées par les moines bouddhistes voilà quinze siècles. Beaucoup de gens y vivent encore à côté des maisons en dur. Chichement. Peu d’électricité, pas d’eau courante. Peu de boulot pour les troglodytes.
On marche sur la pierre rouge en se demandant ce qui ne va pas, mais Assadoulah, lui, ne marche pas. Il a 22 ans, il est étudiant en archéologie à l’université de Bamiyan, et il vole sur les pierres d’un pas leste, un pas afghan : « Je vis de petits boulots, au jour le jour, mais je rêve d’aller en France étudier l’archéologie. Ici, il n’y a pas de travail. » Assadoulah est le premier de sa famille à faire des études. Il nous a été présenté à l’université de Bamiyan (trois cent quatre-vingts étudiants) par le directeur du département d’archéologie, Laiq Ahmadi, un prof désespéré qui ne dispose d’aucun livre d’archéologie dans sa fac déshéritée. Aucun. « Pour me documenter sur les bouddhas, je vais sur les sites Internet de l’université d’Oxford ! Les élèves n’étudient que la théorie, nous n’avons rien. » « Au moins, on a un prof », avait plaisanté Assadoulah. Laiq Ahmadi avait souri, vaguelette de détente dans un visage las, triste. Laiq vient de la ville de Ghazni, où les attaques sont régulières. Pour faire la route, dangereuse, il se « déguise » souvent avec un turban et un costume traditionnel : « Il y a eu une attaque voilà un mois. Les enfants qui se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les explosions, ça me brise le cœur. »
Le destin des deux bouddhas géants dynamités
Assadoulah, lui, vient d’un village reculé à 60 kilomètres de Bamiyan. Il nous y a emmenés. On y a mangé du yaourt fermenté, on y a imaginé la dureté granitique de l’hiver. Et puis on a écouté pousser nos barbes dans la grande salle des invités, en compagnie d’un grand-père aveugle et de deux enfants encapuchonnés. On aurait pu s’y endormir. L’hospitalité afghane n’y aurait rien trouvé à redire. Assadoulah a deux frères, trois sœurs, des yeux de chat noir et un sourire qui s’éteint souvent aussi vite qu’il s’allume sur son visage.
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