Accueil Espace Bouddhiste Bouddhisme Le bouddhisme tibétain a pris racine en Savoie

Le bouddhisme tibétain a pris racine en Savoie

110
0

Installé depuis trente ans dans une ancienne chartreuse, l’institut du Karma Ling attire chaque année des dizaines de stagiaires et de pratiquants de la méditation.

Photo du
Photo du

Deux lamas occidentaux en longue jupe grenat tournent autour du stûpa. À côté, des dizaines de bannières colorées, claquent dans la brise légère, couvertes de mandalas et de mantras. « Une manière d’envoyer dans toutes les directions des souhaits bénéfiques pour les vivants », explique Jean-Charles, 64 ans. Ancien travailleur social en Picardie, il a reçu le nom de Gyaltsen en 2003 après être « entré en refuge » (premier engagement bouddhiste), ainsi que le titre de lama, en mars dernier, à sa sortie de la retraite de « trois ans, trois mois et trois jours ».

Lama Gyaltsen a pour mission de faire visiter l’institut Karma Ling, implanté depuis trente ans dans l’ancienne chartreuse de Saint-Hugon, à moins d’une demi-heure de Chambéry.

« Nous n’étions que trois au début »

En 1979, une association bouddhiste de Grenoble avait racheté les ruines de cette abbaye du XIIe siècle, abandonnée depuis 1793, et en avait fait don au maître spirituel tibétain Kyabjé Kalou Rinpoché (1904-1989).

Lui-même en a aussitôt confié la responsabilité à son premier disciple français, Denys Rinpoché, supérieur du Sangha Rimay et considéré comme le détenteur de la lignée du « Vajrayana » (la pratique tibétaine). « Nous n’étions que trois au début », sourit celui-ci, en estimant que son maître serait sûrement « content s’il voyait le résultat trente ans plus tard ».

En effet, depuis 1980, d’importants travaux de restauration (toitures, eau, électricité, etc.) et d’agrandissement (trois vastes bâtiments de cellules, une vingtaine de chalets dispersés dans les sapins…) ont été réalisés ici. Et le visiteur est impressionné par l’ensemble formé par les bâtiments cartusiens repeints à la mode tibétaine, le stûpa aux couleurs vives et le temple rond en bois et en verre, érigé en 1997 pour la seconde venue du dalaï-lama.

50 retraitants présents pour l’été

Dans ce temple – ou « maison de la sagesse » – ont lieu les rituels quotidiens à 7 heures et 19 heures. Assis en demi-cercle, pieds nus et en lotus sur leurs coussins rouges, face à un grand bouddha doré, 50 retraitants, pour la plupart âgés de 25 à 45 ans, sont présents en cette semaine d’été.

D’une voix grave et monotone, l’assemblée psalmodie des textes de la tradition tibétaine traduits en français par Denys Rimpoché : « Pour qui demeure dans le samsara, il n’est aucun bonheur véritable »… La prière, deux fois par jour, se prolonge ainsi pendant une heure, avec alternance de chants répétitifs, de sons puissants de trompes, conques et cymbales, puis de longs silences.

Certains participants sont venus pour un stage de taî-chi, d’autres pour une session de yoga, d’autres encore pour approfondir le « dharma », la pratique de la méditation. « Cela permet de rencontrer le divin sans le nommer ; la méditation est une ouverture sur l’espace », sourit Annie, sexagénaire qui vient au Karma Ling depuis Toulon tous les étés depuis 1996.

À côté d’elle, Frédéric, originaire de Bourg-en-Bresse, se rend ici le plus souvent possible : « Le dharma m’aide à résoudre mes conflits émotionnels, à dépasser mon ego, à dissiper les causes du mal-être par une pratique d’attention et de compréhension. »

Un temps de préparation de plusieurs semaines

Comme Jean-Charles, ils sont nombreux au Karma Ling à avoir vécu coupés du monde pendant quatre ans dans l’une des deux enceintes, pour hommes (« Naro Ling ») ou pour femmes ( «Nigou Ling ») réservées à cet effet. Un temps de préparation de plusieurs semaines a lieu avant l’entrée en retraite proprement dit.

Alors que les derniers retraitants sont sortis en mars, une dizaine d’autres se sont préparés pendant l’été à la prochaine grande retraite qui commence ces jours-ci, les cérémonies d’entrée et de sortie étant l’occasion de festivités.

Souvent, les nouveaux lamas décident de rester sur place ; certains deviennent enseignants de l’université Rimay Nalanda, fondée en 2000 par Denys Rimpoché pour développer les savoirs traditionnels.

« Vivre ici n’a de sens que si l’on poursuit son cheminement ; chacun doit garder l’envie de progresser dans une certaine ascèse ; sinon, le risque est de s’endormir dans la facilité », affirme Pierre, 34 ans. Ancien ingénieur en électricité devenu lama Cheudroup après une retraite de 2002 à 2006, il est actuellement responsable des retraitants, hommes et femmes.

« Un écosite pédagogique »

Lieu d’accueil, de formation et de retraite, Karma Ling se veut aussi site modèle pour la protection de l’environnement. Au total, les quatre hectares de l’institut et les 50 hectares de forêt qui l’entourent, au cœur du massif de Belledonne, constituent le domaine d’Avalon (du nom d’un père abbé du XIIIe siècle, Hugues d’Avalon), reconnu, depuis 2000, comme « écosite pédagogique ».

Ici, on veille à la qualité biologique de l’alimentation (repas végétariens avec fruits et légumes cultivés sur place), à la maîtrise des dépenses énergétiques (en hiver, on ne chauffe pas au-dessus de 16 °C), à la préservation de la forêt et de la faune, en collaboration avec les communautés de communes du Pays d’Allevard (Isère) et du Val Gelon (Savoie). « Nous proposons sur cet écosite une alternative au système économique actuel, car celui-ci mène dans le mur », poursuit Jean-Charles.

Si le bouddhisme tibétain n’a qu’un demi-siècle d’existence en France, il a désormais le souci d’être plus présent dans la société, « notamment auprès des jeunes », comme le précise Georges Lançon, président des « Éclaireurs de la nature ». Cette première troupe scoute bouddhiste en France a été fondée en 2007 et déjà deux branches existent – « voyageurs » pour les 8-11 ans et « vaillants » pour les 12-14 ans.

Début juillet, un camp d’une semaine pour « voyageurs » était installé en contrebas des bâtiments du Karma Ling, sous la responsabilité de Fanny, 21 ans, étudiante en anthropologie à Lyon.

« Une science cognitive et opérationnelle »

La plupart des jeunes engagés dans les huit troupes constituées à Annecy, Paris, Grenoble, etc., ont des parents pratiquant le dharma. « Nous avons développé une symbolique bouddhiste et visons à leur faire vivre nos “paramitas” (vertus) de générosité, patience, discipline, effort et attention », poursuit Georges, qui garde un excellent souvenir de ses années de scoutisme et d’aumônerie catholique, et dont l’épouse, chrétienne, l’accompagne parfois ici.

D’autres, au Karma Ling, ayant grandi en milieu chrétien, ont été séduits par la pratique bouddhiste. « Le dharma propose une approche expérimentale et analytique, permettant de travailler sur ses émotions, ses pensées, ses illusions pour s’en libérer et ainsi réaliser sa véritable nature qui est divine », résume Denys Rinpoché.

Et si beaucoup de scientifiques viennent vers le bouddhisme, c’est, selon lui, parce que « le dharma est une science cognitive et opérationnelle ». Pour autant, « pratiquer la voie du Bouddha ne demande pas de faire la grande retraite, plaisante Denys Rimpoché. Pas plus qu’il ne faut devenir chartreux pour être catholique ! »


Claire LESEGRETAIN , à Arvillard

Source : www.la-croix.com




Previous articleL’aventure n’a pas d’âge
Next articleLes bienfaits de la méditation