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Thich Nhât Hanh — L’Art de maîtriser une Tempête…

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L’ART DE MAÎTRISER UNE TEMPÊTE

thich_nhat_hanh.gifNous savons qu’une émotion n’est qu’une émotion.

Elle arrive et reste un moment et puis devra partir, comme une tempête.

Une tempête arrive, reste un moment et devra partir.

Nous ne devons pas mourir à cause d’une émotion et nous sommes tellement plus grands qu’une émotion, tellement, tellement plus.

Donc quand vous sentez que l’émotion va se manifester, qu’elle arrive, il est très important que vous vous installiez dans une position assise, une position bien stable, comme je suis maintenant. Vous pouvez même vous coucher, c’est aussi une position très stable et vous dirigez votre attention sur votre ventre et vous êtes attentif à sentir votre ventre se soulever et à s’abaisser. Vous respirez profondément et vous concentrez toute votre attention à sentir votre ventre se soulever et s’abaisser. En position assise, comme je suis, je dirais que le niveau de ma tête est le sommet de l’arbre. Je ne resterais pas ici, je déplacerais mon attention vers le bas, vers le tronc de l’arbre qui est juste en dessous du nombril.

Vous savez qu’il est dangereux de rester dans l’œil de la tempête. L’œil de la tempête est dans la tête, donc descendez juste en dessous du niveau du nombril et commencez à pratiquer la respiration en pleine conscience, inspirez et expirez profondément et concentrez toute votre attention sur votre abdomen qui se soulève et qui s’abaisse.

Vous pouvez pratiquer ainsi pendant dix, quinze ou vingt minutes et vous verrez que vous êtes forts, forts assez pour résister à le tempête. Dans la position assise ou couchée, accrochez-vous à votre respiration comme une personne s’accroche à son gilet de sauvetage, au milieu de l’océan, et vous remarquerez que vous êtes forts assez pour résister à l’émotion et un peu plus tard cette émotion partira. Pendant ce moment de respiration, vous pouvez observer qu’une émotion n’est qu’une émotion et que vous êtes beaucoup, beaucoup plus qu’une émotion. Une émotion est quelque chose d’impermanent. Elle vient, elle reste un moment et elle partira. Vous serez étonnés de constater que vous êtes capables de résister à une émotion rien qu’en pratiquant la respiration dans la pleine conscience et en vous concentrant sur le mouvement de votre abdomen qui se soulève et qui s’abaisse.

Il se peut que vous ayez envie de dire à un autre ami ou à vos enfants, si vous en avez, comment pratiquer. Je connais des mamans qui aident leurs enfants à pratiquer ainsi. Elles tiennent la main de leur enfant et elles disent : « Mon chéri, respire avec moi. En inspirant, je suis consciente que mon abdomen se soulève. En expirant, je suis consciente que mon abdomen s’abaisse ». Et elles guident l’enfant à respirer avec elles en utilisant cette émotion. Si vous pratiquez ainsi, vous serez capables de générer l’énergie de la stabilité et quand vous tiendrez la main d’une autre personne, vous lui transmettez l’énergie de votre stabilité et vous l’aiderez à pratiquer comme vous afin de traverser la zone de tempête. C’est très efficace, mais s’il vous plaît, rappelez-vous une chose : n’attendez pas d’avoir une grosse émotion pour pratiquer parce que si vous attendez, vous oublierez la pratique. Il faut pratiquer maintenant. Aujourd’hui vous êtes bien ; vous ne ressentez pas une grosse émotion. C’est le bon moment pour apprendre à pratiquer, pour commencer la pratique. Et si vous le faîtes pendant trois semaines, 21 jours, çà deviendra une habitude.

Pratiquez dix minutes par jour et quand l’émotion arrivera, vous vous rappellerez la pratique tout naturellement. Vous vous asseyez et vous pratiquez l’inspiration et l’expiration et vous concentrez votre attention sur votre ventre et si vous y arrivez une fois, vous aurez confiance dans la pratique et vous direz à votre émotion : « Bien, si tu reviens, j’agirai de la même façon ». Il n’y aura pas de peur en vous parce que vous savez que vous pouvez le faire. Pratiquez régulièrement, ça aura beaucoup d’autres effets positifs sur vous, sur votre santé, et si vous enseignez à une autre personne comment pratiquer, à votre frère, votre sœur ou votre enfant, cela peut aider à leur sauver la vie dans le futur.

De nos jours, beaucoup de jeunes ne savent pas gérer leurs émotions et le nombre de personnes qui se suicident à cause de leurs émotions est très élevé. C’est un exercice simple, mais très important. Quand vous êtes très en colère, que le désespoir semble si grand, que votre peur est si vive, rappelez-vous, s’il vous plaît, de pratiquer. Je vous conseillerais de commencer aujourd’hui, dans la position assise, où que vous soyez et de pratiquer pendant dix ou quinze minutes et de faire la même chose demain, et dans trois semaines, ce sera devenu une habitude et si vous ne pratiquez pas, vous sentirez quelque chose vous échapper, que vous ratez quelque chose. Votre pratique vous apportera beaucoup de bien être, beaucoup de stabilité et ça, c’est la meilleure protection que vous pouvez apporter à vous mêmes. Je pense toujours que l’énergie de la pleine conscience est l’énergie du Bouddha, l’énergie de Dieu, le Saint-Esprit, qui peut nous protéger à tout instant et elle est en nous, à l’intérieur. Chaque fois que vous touchez la graine de la pleine conscience et que vous pratiquez la respiration consciente , l’énergie de Dieu, l’énergie du Bouddha est là pour vous protéger.

Elle nous aide à ne pas dire ou à ne pas faire des choses que nous ne voulons ni dire ni faire.

Souriez à votre énergie de l’habitude.

Il y a en chacun de nous une énergie très forte appelée l’énergie de l’habitude. Vasana est le mot en sanscrit qui signifie « énergie de l’habitude ». Chacun de nous a en lui des énergies de l’habitude et elles nous poussent à faire des choses que nous ne voulons pas faire ; elles nous poussent à dire des choses que nous ne voulons pas dire et qui provoqueront beaucoup de dégâts en nous-mêmes, chez l’autre personne et dans nos relations.

Votre intelligence est assez développée pour vous dire que si vous faîtes telle chose, vous allez créer de la souffrance ; si vous dites telle chose vous allez créer de la souffrance, et malgré tout , vous la faîtes, vous la dites. Après l’avoir fait ou l’avoir dit, le mal est fait et vous le regrettez. Vous vous frappez la poitrine, vous vous arrachez les cheveux, vous dites : « La prochaine fois, je ne ferai plus ou ne dirai plus des choses pareilles ». Vous êtes très honnêtes, vous êtes très sincères. Mais la fois suivante, lorsque la situation se présente, vous referez la même chose, vous redirez la même chose et c’est ça l’énergie de l’habitude.

Cette énergie de l’habitude peut vous avoir été transmise par vos parents ou ancêtres et c’est pour cela que la respiration en pleine conscience vous aide à reconnaître cette énergie lorsqu’elle vous envahit. C’est très important.
Et il ne faut pas combattre cette énergie de l’habitude ;

il suffit de la reconnaître en tant que telle et de lui sourire.

C’est très bien ainsi :

« Bonjour mon énergie de l’habitude, je sais que tu es là, tu ne peux rien me faire »

et vous lui souriez et alors vous êtes libre.

C’est une protection merveilleuse et c’est pour cela que je dis que la pleine conscience est l’énergie de Dieu, l’énergie du Bouddha qui nous protège. Chaque jour nous pratiquons un peu de marche en pleine conscience, de respiration en pleine conscience et nous avons cette énergie pour nous, cette énergie qui nous protège. C’est très important.

Quand l’énergie de l’habitude commence à manifester,

continuez simplement à respirer, reconnaissez-la et dites

« Bonjour mon énergie de l’habitude, je sais que tu es là. Je suis libre.
Tu ne vas pas me pousser à faire encore ce que je ne veux pas faire.

Tu ne vas pas me pousser à dire encore ce que je ne veux pas dire ».

Et maintenant, vous réagissez différemment.

Vous créez une bonne «énergie de l’habitude pour remplacer la mauvaise énergie de l’habitude et notre relation avec la ou les autres personnes est très importante pour notre bonheur.

Parfois, nous nous sommes déconsidérés à cause de l’énergie de l’habitude. Nous devrions nous traiter avec beaucoup de respect, beaucoup de tendresse et de compassion. Il est très important de traiter notre corps avec le plus grand respect, avec compréhension, avec compassion.

Si vous savez comment traiter votre corps et vos sentiments avec un tel respect, vous serez aussi capables de traiter une autre personne avec le même respect et c’est ainsi que nous construirons la paix. Nous créons la liberté et la libération et le bonheur dans le monde et chacun d’entre nous peut faire le faire. Cela n’exige qu’un peu d’entraînement et si vous avez un ami qui connaît la pratique, vous avez beaucoup de chance parce que vous vous soutenez mutuellement, cultivant toujours davantage de cette énergie appelée pleine conscience, marcher en pleine conscience, respirer en pleine conscience, manger en pleine conscience.

Chaque instant de notre vie quotidienne peut être utilisée pour cultiver la pleine conscience, l’énergie de Bouddha, l’énergie de Dieu appelée Esprit Saint. Partout où se trouve l’Esprit Saint, il y a entente, il y a pardon, il y a compassion. L’énergie de la pleine conscience est de la même nature. Si vous savez comment produire l’énergie de la pleine conscience, vous devenez vraiment présents, vraiment vivants. Vous êtes capables de comprendre la situation, d’éprouver de la compassion et cela changera tout.

Maintenant si vous avez des questions à propos de la pratique, la pratique quotidienne de la pleine conscience, je serai heureux de vous offrir les réponses.

Vous est-il arrivé d’être fou ? A quand remonte votre dernière folie ?

J’ai toujours en moi la colère, sous forme de graine. Mais comme je pratique le pleine conscience, la graine de la colère ne peut jamais devenir trop grande et si la colère se manifeste en moi, je saurai comment en prendre soin. Je suis un être humain, je possède en moi des graines de la colère et grâce à la pratique, j’ai été capable de gérer ma colère. Je ne suis pas un saint, mais je connais la pratique et c’est pourquoi je ne suis plus victime de ma colère.

Combien de temps faut-il pour réussir dans la pratique ?

Ce n’est pas une question de temps. Si vous pratiquez correctement et avec plaisir, vous y arriverez vite. Toutefois, si nous y consacrons beaucoup de temps mais ne le faisons pas correctement, il se peut que nous ne réalisons rien. C’est comme la respiration en pleine conscience. Si vous la faîtes correctement, la première inspiration peut déjà vous apporter soulagement et joie. Mais si vous ne la faîtes pas correctement, vous ne ressentirez rien, même après trois ou quatre heures. Il est donc très bon d’avoir un ami, un frère ou une sœur, qui réussit dans la pratique et qui vous aide et vous encourage. Et vous pouvez le faire seul – quand vous inspirez, vous vous autorisez à respirer naturellement. Vous concentrez toute votre attention sur l’inspiration et quand vous expirez, vous vous autorisez à expirer normalement. Vous devenez simplement conscient de votre expiration. Vous n’interférez pas avec elle. Vous ne la forcez pas.

Si vous respirez naturellement et que vous en êtes conscients, alors quinze ou vingt secondes suffiront pour que vous constatiez une amélioration de la qualité de votre respiration et vous ressentirez un véritable plaisir à inspirez et à expirez.

Un jour j’ai donné une retraite à Montréal, Canada et après le premier exercice de méditation marchée, une dame est venu vers moi et m’a posé la question suivante :

« Thây, m’autorisez-vous à partager la pratique de la méditation marchée avec d’autres personnes ? Depuis que je suis venue dans ce pays il y a sept huit ans, je n’ai jamais pu marcher de cette manière, avec sérénité et paix. C’est tellement apaisant tellement rafraîchissant et je voudrais votre autorisation pour partager avec d’autres amis cette pratique de la méditation marchée ». J’ai dit : « Pourquoi pas ? Vous pouvez partager la pratique. » En fait, cela prouve que la première heure de méditation marchée pouvait déjà apporter à cette dame beaucoup de soulagement et de joie. Ce n’est donc pas vraiment une question de temps, mais je dirais que la pratique est correcte quand vous en ressentez immédiatement l’effet bénéfique. La pratique doit être agréable, qu’il s’agisse de respirer en pleine conscience, de marcher en pleine conscience, de manger en pleine conscience ou de travailler en pleine conscience. Je pense que si la pratique est agréable, elle est correcte et bonne.

Combien de temps dois-je consacrer à la pratique ?

La méditation que je préconise ici peut être faite à tout moment. Quand vous devez vous déplacer d’un endroit à l’autre, appliquez simplement les techniques de la méditation marchée. Quand vient le moment de travailler, vous pourriez éprouver l’envie de l’effectuer en pleine conscience, travailler en pleine conscience. Quand vient l’heure de dîner vous décidez de dîner en pleine conscience. Vous appréciez manger en pleine conscience. Il ne faut pas vous fixer une heure précise pour pratiquer car cette pratique que je préconise peut être réalisée tout au long de la journée, mais je dirais que vous pouvez vous fixer des plages horaires pour faire des choses que vous aimez, si la situation le permet. Peut-être aimez-vous vous lever un quart d’heure plus tôt que d’habitude afin de profiter de quinze minutes de méditation assise ou peut être avant d’aller dormir. Même si la lumière est éteinte, vous pouvez vous asseoir sur votre lit et pratiquer la respiration consciente pendant quinze minutes ! Cela dépend donc de notre intelligence, notre talent à nous organiser parce qu’il y a des choses que nous devons faire collectivement avec les autres et nous ne pouvons pas répondre que nous avons une période spécifique pour faire ce que nous préférons, mais en définitive, nous devons nous rappeler que la pratique peut être réalisée à tout moment, même lorsque vous allez aux toilettes ou que vous nettoyez le sol. Vous pouvez pratiquer. Vous pouvez frotter le sol en étant une personne libre ou un esclave – c’est à vous de décider. Vous faites les choses comme les autres personnes, mais vous êtes une personne libre. Tant d’américains pensent qu’ils agissent en étant victimes du système, mais vous pouvez agir en tant que personne libre. C’est très valorisant. Nous cultivons toujours notre liberté et cela nous apporte beaucoup de dignité, ce que chacun autour de nous voit. Avec la pratique, nous sommes vraiment une personne libre, quelle que soit la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Vous vous lavez les mains et allez aux toilettes plusieurs fois par jour. Je propose que chaque fois que vous vous lavez les mains ou allez à la toilette, vous vous investissez à 100% dans votre acte. Arrêtez toute pensée et appréciez ce que vous faites. Cela peut être très amusant. Dans quelques semaines, vous verrez l’effet merveilleux de cette pratique.

Pouvez-vous définir la pleine conscience et expliquer comment nous nous interrompons tant de fois dans notre pratique ?

Dans ma langue « pleine conscience » se dit « chánh niêm ». La pleine conscience signifie que vous êtes vraiment présent dans l’instant. Lorsque vous mangez, vous savez que vous êtes en train de manger. Lors que vous marchez, vous savez que vous êtes en train de marcher. L’opposé de « la pleine conscience » est « l’oubli ». Vous mangez mais vous n’en savez rien, votre esprit est ailleurs. Lorsque vous ramenez votre esprit à ce qui se passe dans l’ici et le maintenant, c’est de la pleine conscience, et la pleine conscience peut vous apporter beaucoup de vie et de plaisir et de joie. Par exemple si vous avez une orange et si vous savez comment passer du temps dans la pleine conscience avec votre orange, le plaisir que vous aurez à la manger sera un millier de fois plus grand que si vous mangez votre orange tout en pensant à d’autres choses ou en vous tracassant pour d’autres choses ou en vous laissant enfermer dans votre colère ou votre désespoir. La pleine conscience est ainsi cette énergie qui vous aide à être avec ce qui est là, quel que ce soit cette chose. Supposons que nous entendions un bruit. Vous pouvez choisir d’utiliser le bruit comme objet de pleine conscience. « En inspirant, je sais qu’il y a beaucoup de bruit et en expirant, je souris à ce bruit ». Je sais que les personnes qui font du bruit ne sont pas toujours en paix et je ressens de la compassion pour elles, ainsi, si vous pratiquez la respiration consciente et que vous utilisez la souffrance qui est là comme objet de votre pleine conscience, vous pouvez aider l’énergie de la compréhension et de la compassion à s’éveiller en vous. Au cours d’une retraite, une femme se plaignait parce que sa compagne de chambrée ronflait et cela l’empêchait de dormir. Elle s’apprêtait à prendre son sac de couchage et à aller dans la salle de méditation lorsqu’elle se souvint soudain de mon enseignement et décida de rester et d’utiliser le bruit comme cloche de la pleine conscience pour faire naître en elle la compassion : « En inspirant, je suis consciente du ronflement, en expirant, je lui souris ». Dix minutes plus tard, elle dormait profondément. C’était merveilleux.

Pourriez-vous parler du pardon ?

Le pardon est aussi le fruit de la compréhension. Ce n’est pas parce que vous voulez pardonner que vous pouvez pardonner ! vous pouvez avoir beaucoup de bonne volonté pour pardonner et cependant vous ne pouvez pas pardonner parce que l’amertume est toujours là, la souffrance est toujours là. Même si vous savez que le pardon serait apprécié, vous ne pouvez pas pardonner, même si vous avez une bonne dose de bonne volonté. Pour moi, le pardon devrait être le résultat du regard profond, de la compréhension.

Vous savez, pendant les années soixante dix, quatre vingt, nous avons reçu, à notre bureau de Paris, de très mauvaises nouvelles du Vietnam et des camps de réfugiés. Un matin, j’ai appris l’histoire d’une petite fille, une « boat people » de onze ans. Elle a été violée par un pirate, en mer, et lorsque son père a tâché de s’interposer, ils l’ont jeté dans l’océan. Après avoir été violée par le pirate, la petite fille s’est jetée à l’eau et s’est noyée. Ce sont des nouvelles que nous avons reçues par courrier ce matin là. Nous recevions fréquemment ce genre de nouvelles. J’étais fâché. En tant qu’être humain, vous avez le droit d’être fâché, mais en tant que pratiquant, vous n’avez pas le droit de ne pas pratiquer. Je ne pus avaler mon petit déjeuner, c’était trop pour moi. J’ai pratiqué la méditation marchée dans le bois voisin. J’essayais d’entrer en contact avec les arbres, les oiseaux, le ciel bleu pour me calmer et j’ai commencé par m’asseoir et méditer. Et la méditation fut longue. Pendant la méditation, je me voyais en petit garçon, en bébé, né dans le zone côtière de Thaïlande. Mon père est un pauvre pêcheur, ma mère est une femme qui n’a pas reçu d’instruction et la pauvreté existe chez nous depuis plusieurs générations et je grandis dans ce milieu. Quand j’ai eu quatorze ans, j’ai dû prendre la mer avec mon père pour gagner ma vie, c’était très dur. Et lorsque mon père mourût, j’ai dû reprendre l’affaire. Il y avait un autre pêcheur qui me dit qu’il y avait beaucoup de « boat people » venant du Vietnam et très souvent, elles avaient leurs richesses avec elles, comme l’or et les bijoux. Si nous pouvions juste en profiter une seule fois, nous prendrions un peu d’or et sortirons de notre éternelle pauvreté. En étant un pauvre pêcheur sans instruction, je me suis laissé tenté et donc je l’ai accompagné pour voler les « boat people » et lorsque je vis un pêcheur qui avait une relation sexuelle avec une femme, je fus tenté de faire pareil. J’ai regardé autour de moi, ne vis aucune police, aucune menace et me dis à moi-même : « Essaie juste une fois » et je devins un pirate violant une petite fille.

Maintenant, supposons que vous êtes sur ce bateau et que vous avez un fusil. Vous me tirez dessus et je meurs. Vous ne m’aidez pas . Parce que, dans ma vie, personne ne m’a jamais aidé. Personne n’a jamais aidé mon père, ma mère. On m’a élevé comme un garçon sans instruction. Toute ma vie, j’ai joué avec des enfants délinquants. J’ai grandi comme ça, comme un pauvre pêcheur. Aucun politicien ne m’a jamais aidé. Aucun éducateur ne m’a jamais aidé. Personne ne m’a jamais aidé et c’est pourquoi je suis devenu pirate. Si vous me tirez dessus, je meurs. Cette nuit, pendant la méditation, je me suis vu en pirate, en jeune pêcheur devenant pirate. J’ai réalisé que le long de la côte thaïlandaise, cette nuit, quelques centaines de bébés sont nés et si, aujourd’hui, personne ne les aide à avoir de l’instruction, personne ne les aide à avoir une vie décente, alors parmi ces centaines de bébés, il y aura, dans vingt ans, plusieurs pirates. Quand j’ai vu ça, ma colère vis à vis des pirates a fondu en moi. J’ai commencé à comprendre que si j’étais né comme ce petit garçon, dans un village de pêcheurs, je serai devenu pirate. Maintenant, si vous me tirez dessus, je mourrai. Lorsque la compréhension entra dans mon cœur, la colère commença à se dissiper et au lieu de me sentir fâché contre ce pêcheur, j’éprouvai de la compassion à son égard et fis le vœu de faire ce qui était en mon pouvoir pour aider les bébés nés la nuit dernière le long de la côte thaïlandaise. Et la forme d’énergie appelée colère s’est transformée en énergie de la compassion et cela est possible grâce à la méditation. Le pardon ne saurait pas être obtenu sans cette forme de compréhension et la compréhension est le fruit du regard profond. Je l’appelle méditation.

Question sur les sutras et les écritures : quelle est l’essence du bouddhisme ? Est-ce une religion et Bouddha était-il un Dieu ?

Le Premier est le Bouddha, celui qui a trouvé le chemin de la compréhension, de l’amour, de la transformation et de la guérison.

Le Second Joyau est le Dharma, ce qui signifie le chemin, le chemin de la transformation et de la guérison que le Bouddha nous offre sous forme de discours, d’enseignements et de pratiques.

Le Troisième Joyau est la communauté de pratique appelée Sangha, les hommes et les femmes qui s’engagent sur le chemin de la méditation, qui s’engage sur le chemin de la pratique de la pleine conscience. Ils forment une communauté appelé Sangha. Sangha signifie « communauté » et chacun dans la communauté pratique de la même manière : la respiration en pleine conscience, la marche en pleine conscience qui engendrent compassion et compréhension. Prendre refuge dans la Sangha est notre pratique car une vraie Sangha est une communauté où il existe la véritable pratique. La vraie pleine conscience, la vraie compréhension et la vraie compassion peuvent naître d’une telle communauté.

Une vraie Sangha porte en elle le vrai Dharma et le vrai Bouddha, ainsi quand vous êtes aussi en contact avec le Bouddha, le Dharma et vous avez une chance de réussir votre parcours sur le chemin de la pratique parce que la Sangha participe à vous protéger, à vous aider, à vous soutenir dans la pratique. Sans Sangha, vous abandonnez probablement la pratique après quelques mois. Nous avons l’habitude de dire lorsqu’un tigre quitte sa montagne pour la plaine, les hommes le captureront et le tueront. Un pratiquant doit rester avec sa Sangha, ou il risque d’abandonner la pratique après quelques mois. C’est pourquoi vous devez vous accrocher à votre Sangha pour obtenir son appui et sa guidance. Même ici vous pouvez créer votre Sangha. Deux, trois, quatre ou cinq personnes pratiquant ensemble quotidiennement la marche en pleine conscience, la respiration en pleine conscience, manger en pleine conscience, se laver en pleine conscience. Vous pouvez créer ici une Sangha pour obtenir l’appui dont vous avez besoin. La Sangha peut être constitué de laïcs ou de moines. Mais à tout endroit où se trouvent au minimum quatre personnes qui pratiquent ensemble la pleine conscience, vous avez une Sangha et prendre refuge dans la Sangha est très important parce que si la Sangha pratique de manière authentique, elle intègre le Bouddha et avec lui, le Dharma.

Question sur la pleine conscience et la concentration : Qu’est-ce que la pleine conscience et que peut -elle apporter ?

Comme je l’ai dit, la pleine conscience est la capacité d’être là, dans l’ici et le maintenant. Concentrez votre attention sur ce qui se passe et, si la pleine conscience est là, la concentration est là aussi. Si vous continuez à être pleinement conscient de quelque chose, alors vous serez concentrés sur cette chose. Elle devient l’objet de votre concentration et si la pleine conscience et la concentration sont là, avec toute leur force, alors vous serez capables d’avoir la vision profonde ; cela signifie que vous commencez à comprendre en profondeur ce qui se passe réellement dans l’ici et le maintenant. Donc, trois étapes : pleine conscience, concentration et vision profonde. C’est la vision profonde qui vous aide à comprendre et vous libère de votre perception erronée et vous permet de ne plus souffrir.

Question sur la pratique de faire des projets : Ne pouvons nous pas penser au passé et à faire des projets pour le futur ?

On dit que la pleine conscience c’est s’établir dans le moment présent. Mais cela ne signifie pas que vous n’avez pas le droit d’examiner le passé, d’apprendre de lui ou de faire des plans sur le futur. Si vous êtes bien installés dans le moment présent et si le futur devient l’objet de votre pleine conscience, alors vous pouvez le regarder profondément et voir ce que vous pouvez faire dans le moment présent pour qu’un tel futur soit possible. On dit que le meilleur moyen de prendre soin du futur est de prendre soin du présent, car le futur est composé d’une seule substance appelée le présent.

Prendre beaucoup de soin pour faire ce que vous pouvez faire dans le moment présent est la seule chose que vous pouvez faire afin d’assurer un bon futur. En tant qu’écrivain, je mets toute ma pleine conscience dans l’acte d’écrire et de composer. Vous êtes conscients de votre écriture. Vous pouvez voir quel sera l’effet de votre écriture sur telle ou telle personne. Même lorsque je ramène le passé au moment présent et que j’en fais l’objet de ma pleine conscience, le passé se révèle et m’enseigne beaucoup. Quand je suis dans le passé, je ne pourrais pas voir aussi clair que maintenant .Parce que j’ai pratiqué la pleine conscience et que j’ai de nouveaux yeux je vais découvrir beaucoup de choses que je n’ai pas remarqué quand j’étais dans mon passé.

Question sur la respiration : Pouvez-vous parler un peu plus sur la respiration ?

La pratique améliore la qualité de la respiration. Votre respiration devient plus profonde, plus douce et elle apporte plus de plaisir dans votre corps, dans votre conscience et cependant tout est normal. Vous continuez à vous respirer, vous continuez à marcher, vous continuez à vous asseoir, mais la qualité de la respiration, de l’assise, de la marche s’est amélioré. Elle doit vous apporter plus de plaisir, de vie et de joie ; rien de négatif ne peut survenir de l’acte méditatif. Si vous ressentez le contraire de la paix, de la relaxation, de la joie, c’est qu’il y a quelque chose d’anormal parce que la méditation ne peut qu’accroître la qualité de la vie que nous sentons dans le moment présent.

Question : Je pense qu’en occident on met parfois trop l’accent sur le succès (de la pratique). Les pensées qui continuent d’affluer nous découragent. Est-ce qu’il y a lieu de s’inquiéter ou pas sur ce phénomène ?

C’est comme notre marche. On peut apprécier marcher et regarder des choses comme les arbres, les rochers, etc… Nous pouvons marcher un peu, nous apprécions chaque pas et puis soudain nous voyons une très belle fleur ou un très beau rocher. Nous voudrions nous arrêter pour regarder cette beauté devant nous. Il n’y a rien de mal à cela. Donc même si nous nous arrêtons de marcher , notre plaisir continue. C’est pareil avec la méditation. Pendant que vous appréciez votre inspiration et votre expiration, une idée peut surgir brusquement. Vous pouvez choisir de continuer votre respiration en pleine conscience ou vous pouvez choisir de simplement rester avec cette idée.

Vous êtes libres. Parfois vous dites : « Oh, mon idée, je voudrais d’abord continuer avec ma respiration en pleine conscience » et cette idée accepte de retourner à l’arrière plan. Tout comme le matin, vous pouvez avoir une pile de lettre et vous les passez en revue et la lettre que vous voulez lire en dernier lieu, vous la mettez au bas de la pile. La pleine conscience peut être la pleine conscience de n’importe quoi, dans le moment présent. Si, au départ, vous avez décidé de ne passer que dix minutes à pratiquer la respiration en pleine conscience, alors, si une autre idée surgit, vous dites : « Chère idée, je voudrais d’abord terminer mes dix minutes de respiration dans la pleine conscience ». Et elle se retirera et vous pourrez continuer. Mais si se présente quelque chose de très fort qui veut que vous vous concentriez sur elle tout de suite, vous dites : « O.K., O.K., je vais arrêtez de me concentrer sur ma respiration maintenant et je vais t’accorder toute mon attention » et alors vous vous concentrerez sur ce nouvel objet de méditation à 100% de votre personne. Il n’y a pas de mal à cela. Quand vous êtes assis depuis dix minutes et que vous commencez à ressentir une légère douleur, il se peut que vous vous direz « Non, je dois supporter la douleur, je dois rester assis pendant 15 minutes ; sinon je considérerai que c’est un échec ». Vous ne devez pas agir ainsi. Parce que vous pouvez pratiquer le massage en pleine conscience. « En inspirant, je sais que je commence à changer ma position assise. En expirant, je souris à la douleur musculaire en moi . » Vous ne perdez pas une seconde de votre méditation. Vous êtes libres de choisir l’objet de votre pleine conscience. Vous ne perdez pas une seule seconde.

Question : qu’est-ce qu’un maître zen ?

Un maître zen est une personne qui pratique la méditation zen depuis un certain temps, qui a acquis une certaine expérience et qui est capable de partager sa pratique avec d’autres personnes.

Question sur le bouddhisme et d’autres religions : J’ai une culture chrétienne. Puis-je pratiquer la pleine conscience ?

J’ai étudié le christianisme. A mon avis, il y a beaucoup d’enseignement à le pleine conscience dans le christianisme, le judaïsme et l’islam. Je pense que la pleine conscience a une nature universelle. On la retrouve dans toute tradition spirituelle. Si vous étudiez profondément la vie de n’importe quel sage, de n’importe quelle tradition, vous trouverez, dans sa vie, la qualité de la pleine conscience parce qu’un tel sage est capable de vivre profondément chaque instant de sa vie, capable de toucher la beauté, la vérité de chaque moment de la vie. Pour moi, il est possible de profiter simultanément de plusieurs traditions. C’est pareil si vous avez les oranges : vous pouvez continuer à manger les oranges, mais rien ne vous empêche d’apprécier des kiwis ou des mangues. Pourquoi vous limiter à une sorte de fruits ? Tout l’héritage spirituel de l’humanité est disponible pour nous. Pourquoi s’en remettre à un seul ? Il est donc possible d’avoir en même temps une racine bouddhiste, une racine chrétienne, une racine juive, etc… et nous deviendrons très forts.

Question : existe t-il une sorte de force qui dirige votre existence ? Y a t-il une force supérieure qui vous guide ?

J’ai dit que dans chaque cellule de notre corps vous pouvez trouver l’enfer et vous pouvez trouver le paradis, le royaume de Dieu. Dans chaque cellule de votre corps, cette force spirituelle, qu’elle soit élevée ou non, se trouve bien présente en vous. Quand vous éprouvez de la compassion, vous pouvez être en communion, en contact avec la compassion partout. Lorsque vous éprouvez de la violence et de la haine, votre violence et votre haine peuvent vous mettre en contact avec d’autres énergies de violence et de haine autour de vous et c’est pourquoi il est très important de sélectionner le canal sur laquelle vous voulez être branché. Si vous êtes décidés à ne vous nourrir que d’énergies positives, alors il sera possible à l’énergie de la pleine conscience de vous dire si cette énergie est appropriée pour vous ou pas et elle vous dira avec qui vous devrez passer plus de temps et quelle sorte de nourriture vous ne devriez pas manger, quel type de programmes vous devriez apprécier à la télévision, etc…La pleine conscience est capable de vous dire tout ce dont vous avez besoin et tout ce qui vous fait souffrir.

Question : Pourriez-vous expliquer votre poésie ?

Ma poésie est quelque chose qui se passe constamment pendant la journée. Lorsque j’arrose mes légumes, la poésie naît en moi. Lorsque je fais la vaisselle, la poésie naît en moi. Le temps que je passe à écrire, assis à table, n’est que le moment pendant lequel je concrétise ces poèmes et ma poésie vient comme une inspiration, comme le fruit de ma vie dans la pleine conscience. Lorsque mon poème est écrit, il se peut que je réalise que le poème peut m’aider plus tard. C’est une sorte de cloche de la pleine conscience. Parfois, vous écrivez un poème, le poème vient de vous, mais vous avez aussi besoin de lire à nouveau ce poème parce que ce poème sera capable de ramener à vous cette merveilleuse expérience et de vous rappeler la beauté qui est disponible pour vous, en vous et tout autour de vous. Un poème est tout à la fois une fleur que vous offrez au monde et une cloche de la pleine conscience afin de vous rappeler de continuer à produire une telle beauté dans votre vie quotidienne.

Mes chers amis, je pense que nous devons partir.


Traduit de l ’anglais par Évelyne Culot, révisé par Nguyên van Thông
– ©Village des Pruniers 8/2000

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