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Le Courage, une Sensation de Splendeur

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Le courage : une sensation de splendeur

Le Sakyong Mipham Rinpoché



Tout comme il existe des joyaux précieux dans le monde, il y a des joyaux psychologiques que nous possédons. L’un d’eux, c’est notre capacité de relâcher nos schémas habituels et de sentir notre bonté intrinsèque d’être fondamental. Quand nous avons le courage de ressentir cela, une sensation de splendeur voit le jour tout naturellement dans l’instant, quel que soit le moment de la journée.



Cette sensation de splendeur constitue la cinquième et dernière forme de bravoure selon les enseignements Shambhala de l’art d’être guerrier. Les quatre premières formes sont : être libre de toute duperie, en ayant pris conscience de ses schémas habituels et émotions conflictuelles ; faire le saut dans la liberté du moment présent ; acquérir la vision du Soleil du Grand Est, qui révèle le caractère sacré de nous-même et de notre monde ; et synchroniser le corps et l’esprit, qui fait naître de la dignité puisque nous nous sentons enracinés et en harmonie avec le monde qui nous entoure.



La sensation de splendeur naît lorsque nous apprécions notre propre richesse. Nous avons confiance en notre bonté intrinsèque, qui est le battement de cœur de chaque individu et de l’humanité tout entière. Le mot tibétain pour confiance est ziji, qui fait référence habituellement à la beauté et à la bonne santé d’une personne. C’est une aura pleine d’éclat et de vitalité. Zi, le premier aspect du mot, signifie la splendeur, la capacité de briller. La splendeur est comme un halo, que l’on décrit traditionnellement comme une lumière brillante qui entoure des personnes saintes, reflétant la bonté qu’elles incarnent.


Quand nous sommes assez courageux pour avoir confiance en la bonté fondamentale, nous effectuons le voyage de retour vers notre gloire naturelle et intrinsèque.


On pourrait interpréter la bravoure comme de la persévérance face à la difficulté, un effort alimenté par la force de notre seule volonté, pendant que nous nous attelons à la tâche, déterminés à atteindre notre but. Alors qu’une telle persévérance est admirable et souvent nécessaire, il s’agit là essentiellement du courage de ceux qui se sentent pauvres. La splendeur, au contraire, est le courage arrivé à pleine maturité de ceux qui sont conscients de leur richesse. synchro-2.jpg



L’énergie de la splendeur provient du fait qu’on est totalement présent dans tout ce que l’on fait. Voilà ce qu’en dit mon père, Chögyam Trungpa, qui a introduit les enseignements Shambhala en Occident : « Vous ne vous cachez nulle part. » Se cacher signifie que notre rayonnement est obscurci par des schémas habituels bien ancrés. Une des caractéristiques de se cacher est le fait que l’on s’observe en permanence. S’observer en permanence est le résultat d’un manque de confiance en sa propre bonté inhérente. Par conséquent, on s’efforce de tenir la bride haute à son propre esprit. C’est tout à fait différent de la conscience en éveil ou de l’introspection, car en s’observant de la sorte, on n’est pas vraiment à l’écoute du moment présent. On manque tout bonnement la lucidité d’être splendide. Alors, on se raidit et on se dissimule. On a des demi-pensées et des demi-émotions. Si l’on arrive à faire l’expérience de quelque chose pleinement et entièrement, c’est déconcertant et déroutant.



En se cachant, on se fabrique ses petits paradis privés qui servent de refuge à beaucoup de nos habitudes personnelles. On boit son café, la tête rentrée dans les épaules. On n’est pas capable de regarder son conjoint dans les yeux. On gigote quand on médite. On cherche constamment à se divertir. Socialement, on se sent menacé ; par conséquent, on n’a aucune vision. On a peur du changement. En fait, on se sent même réconforté par le manque de synchronicité entre l’esprit et le corps. Parce que nous nous dissimulons, tout penauds dans notre comportement mental et physique, il nous est difficile d’incarner un sens de rayonnement. Ce manque de rayonnement devient un aimant pour la négativité, attirant les individus qui ont un état d’esprit similaire. « Ne se cacher nulle part » signifie que nous avons réduit et allégé nos habitudes et nos tendances bien ancrées, ce qui nous permet de briller.

En tant que pratiquants spirituels en cet âge de matérialisme orgueilleux, nous pourrions confondre le brillant avec le mondain et nous croire obligés d’abandonner tout ce qui a du brillant. Or, les enseignements Shambhala nous disent que la bonté constitue notre base et que la splendeur est notre état naturel d’être. La splendeur n’est ni spirituelle ni mondaine ; elle est innée et là – prête à être découverte. Même s’il est plus facile d’accès au calme de la méditation, l’éclat de la splendeur est toujours présent, en tous lieux et à tout moment. Nous relier à notre splendeur c’est nous relier au terrain de la bonté. Nous n’abandonnons pas le monde ; au contraire, grâce à la splendeur, nous utilisons l’éventail complet de notre esprit et de nos émotions. La splendeur ne signifie pas non plus qu’il fasse beau tous les jours. Cela signifie que la bonté est notre terrain de base, quand on pleure ou qu’on rit. C’est ce qu’on entend par sens de la splendeur.



Le mot « sens » évoque le contact qui s’est transmué en sensation. Nous avons appris à nous amener dans le moment présent, en ouvrant nos perceptions sensorielles. Nos perceptions sensorielles touchent notre bonté fondamentale de façon non conceptuelle. En touchant la braise primordiale de la bonté fondamentale, nous sentons. Lorsque nous sentons réellement les choses, chaque instant paraît frais : nous avons touché le début des temps. Nous avons entendu parler de la bonté fondamentale, et après cette rencontre viscérale, nous sentons que c’est la vérité.

Une telle bravoure, c’est simplement la beauté de reconnaître que nous sommes bien en vie. C’est l’interaction constante entre la perception et celui qui perçoit ; tous deux sont en parfaite harmonie et synchronicité. Il y a de la gaieté et de la curiosité. Parce que nous ne nous cachons pas, nous pouvons établir un rapport avec tous les aspects de notre vie. Comme il est écrit dans le Tao Te Ching, « Dans la vie de famille, soyez complètement présent ».

La qualité de splendeur est parfaitement incarnée par le mythique lion des neiges du Tibet, qui se déplace avec grâce et puissance, transpirant le courage. L’éclat étincelant de sa fourrure luxuriante capte la joie de son regard. Alors qu’il gambade, danse et se lisse la fourrure, il folâtre dans sa propre splendeur. Tout comme le lion des neiges qui saute subitement et avec superbe de montagne en montagne, cette sensation de splendeur nous permet de passer d’une situation à une autre, sans rien perdre de notre dignité pendant que nous parcourons le paysage de la vie, touchant toujours le cœur de l’instant présent. Avec ce niveau de splendeur du lion des neiges, la chance et le succès nous sourient.



Sentir une telle splendeur est synonyme de sentir notre bonté. Nous ne nous sommes pas en train de nous rapprocher de la bonté ; plutôt, cette splendeur est le sens viscéral de la bonté elle-même. Nous l’incarnons en menant une vie qui est brillante, manifestant un puissant cheval de vent ou énergie vitale dans tout ce que nous faisons. La splendeur démontre que nous avons appris à mettre en harmonie l’unité inhérente de notre corps et de notre esprit avec le monde qui nous entoure. Nous connaissons le succès et nous rayonnons. Parce que nous brillons, nous surpassons les autres, devenant ainsi des phares pour les autres et pour le monde.



La splendeur est non seulement une expression psychologique mais également physique. C’est le résultat de la bravoure par rapport à notre être physique. Méditer avec tout notre corps augmente notre réalisation. Manger équilibré apporte de l’énergie. Bouger nous stimule. Dès que nous négligeons un tant soit peu notre bien-être physique, notre splendeur diminue. Par la bravoure, nous activons pleinement notre vitalité. Nous apprécions le caractère précieux de ce que nous avons acquis. Par conséquent, nous incarnons sans réserves chaque aspect de notre domaine physique.



Tous les grands maîtres que j’ai connus incarnent la splendeur : ils comprennent l’inséparabilité de l’esprit et du corps. Cette union entre la splendeur psychologique et physique a un rapport avec la notion de richesse. Par conséquent, cette splendeur est brillante, car notre esprit et notre corps sont le joyau à partir duquel rayonne la bravoure. Ayant senti, touché et ressenti intuitivement notre propre richesse, nous réalisons que c’est une vaste mine de trésors, sans fin et se perpétuant d’elle-même.


Ainsi, le courage provient de notre découverte de notre richesse inépuisable. Cela nous permet d’être splendide avec les autres, en contraste avec ce que les Anglais appellent « un splendide isolement », où on vit isolé sur son île, toujours séparé des autres. Puisqu’un tel état finit par s’épuiser, il ne peut être véritablement splendide. La splendeur doit se partager avec les autres. Lorsque nous sourions avec bravoure, nous sommes riches. Nous manifestons ainsi de la splendeur. Nous respirons une confiance inflexible en la bonté fondamentale. Parce que nous sommes courageux, nous ne pouvons pas nous duper.



La sensation de splendeur est une expérience directe qui transcende toute interprétation. Selon mon père, c’est « l’essence de la force et de la bravoure ». Peut-être avons-nous pensé au début que la bravoure était synonyme d’agression ou de bravade. Or, d’une manière plutôt splendide, il s’avère que l’essence de la force et du courage est la splendeur elle-même. La nature du véritable courage, c’est lorsqu’on sent le caractère impressionnant de notre propre être.


© Mipham J. Mukpo, 2011

www.sakyong.com

Les Traductions Manjushri, France, juin 2012

www.manjushri.shambhala.fr




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