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Le dalaï-lama: «Moi, vous savez, je ne sais pas comment gagner de l’argent»

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13.08.2011

Propos recueillis par Eric Hoesli et Ariane Dayer | Le Matin Dimanche


Votre Sainteté, nous sortons d’une semaine de crise économique mondiale, à qui la faute?

Il y a trente ans, au cœur d’une crise, j’avais demandé à des amis hommes d’affaires où était le problème. Ils m’ont répondu que c’était la cupidité, elle mène à la spéculation. Je me suis dit que la crise économique était donc liée aux émotions. Je crois qu’on a laissé trop de place aux émotions destructrices comme l’avidité, la jalousie. C’est ce que je sais, mais je ne sais rien de plus. Je sais que l’argent est important, que sans lui on ne peut pas bouger. Mais, moi, je ne sais pas comment gagner de l’argent.


190x340-dalai-lama1-08053.jpgQuand vous rencontrez les chefs d’Etat, leur conseillez-vous cela, de diriger leur pays sans émotion négative?

Ce serait stupide que j’arrive devant un chef d’Etat et que je lui dise: «Compassion, compassion.» Ça ne servirait à rien. Lors de mon dernier entretien avec le président Obama, par exemple, je lui ai dit que l’Amérique, l’Asie et l’Europe doivent avoir du succès. Que, si elles dysfonctionnent, c’est tout le monde libre qui a des problèmes. Il m’a donné l’assurance que l’économie de base des Etats-Unis est stable. Il m’a dit: «Ne vous faites pas de souci.»


Est-ce que des gens comme le président Obama ont vraiment du pouvoir?

Oui. Le système américain est magnifique: une Cour suprême, deux Chambres, un président. Chacun a sa responsabilité. La démocratie est le meilleur système, le plus rationnel de tous. Ce qui est positif aussi, c’est que les mandats sont limités, comme cela les gouvernements sont comptables de leurs actes devant le peuple. C’est pourquoi j’ai décidé récemment de changer le système tibétain en séparant le religieux du politique.


Cet effondrement économique du monde occidental n’est-il pas une chance pour les nations plus pauvres? Certains disent qu’elles pourront en profiter.

Non, je ne pense pas. Autrefois, certains pays pouvaient être autosuffisants. Mais, aujourd’hui, ils sont tous interdépendants parce que l’économie est globalisée. La solidité des pays leaders comme les Etats-Unis, l’Union européenne et le Japon est importante pour tous.


Etes-vous inquiet que les islamistes prennent le pouvoir après le «printemps arabe»?

Ne parlez pas des «islamistes»! Il faut faire la distinction entre certains fauteurs de troubles et la grande religion qu’est l’islam. Quelques mauvais comportements ne représenteront jamais l’ensemble des musulmans. Les malveillants qui commettent des attentats ou se suicident en tuant des gens existent aussi dans d’autres religions, le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme. Regardez l’Inde. C’est la plus grande communauté musulmane après l’Indonésie, mais elle est très pacifique. Il y a des villages où il n’y a que trois familles musulmanes au milieu d’autres religions et ça se passe bien. En tant qu’individu, c’est bien de se concentrer sur sa religion, mais, en termes de communauté, c’est irréaliste et dangereux. Le problème, c’est que le concept de djihad est souvent mal interprété. J’ai parlé avec beaucoup d’amis musulmans, la vraie définition du djihad est le combat de ses propres émotions négatives, de ses propres faiblesses.


Le djihad, c’est donc combattre le mal en soi, pas faire la guerre?

Oui. Le problème aujourd’hui, c’est que certains Etats musulmans s’enferment, se coupent du contact avec le monde. Ça mène à l’ignorance et à l’irrespect. Moi aussi, autrefois, je pensais que le bouddhisme était ce qu’il y a de mieux. Puis j’ai voyagé, rencontré des gens et développé une grande admiration pour des personnes passionnées par d’autres religions. Mère Teresa, par exemple, se dédiait totalement à sa foi chrétienne, toute sa force intérieure venait de Jésus-Christ, elle était extraordinaire.


Pourquoi dites-vous que vous pourrez être réincarné en une femme occidentale?

Pourquoi serait-ce bien?


Dans la tradition tibétaine de réincarnation, c’est possible. Le but de la réincarnation est de servir Bouddha et d’aider les gens. Selon les circonstances et l’époque, il se peut que, un jour, une femme remplisse mieux ces objectifs. Il y a des milliers d’années, tout le monde travaillait ensemble, chassait ou cherchait de la nourriture, on se la partageait. Puis la population a grandi, il a fallu ajouter le concept de leadership. C’est là que la dominance mâle s’est développée. Ensuite, l’éducation a amené plus d’égalité entre les sexes. Mais l’éducation, suivant comment elle est faite, peut aussi avoir des effets négatifs.


Dans quel sens?

L’éducation peut aussi faire oublier le sens de l’autre, la compassion, la gentillesse. Il faut faire un gros effort pour promouvoir les valeurs intérieures, le sens de la famille, de la communauté. Des valeurs universelles. Je ne parle pas ici de religion – je sais qu’aucune d’entre elles ne deviendra universelle – je parle du souci de l’autre. Là, biologiquement, les femmes ont plus de potentiel, elles savent mieux témoigner de l’affection. Des études scientifiques l’ont prouvé: si un homme et une femme voient quelqu’un en train de souffrir, la réponse de la femme est toujours plus forte.


Mais vous êtes féministe!

C’est ce que m’a dit un jour Mary Robinson, l’ancienne commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme. Elle m’a traité de dalaï-lama féministe…
Sérieusement, le souci de l’autre est important. Regardez ce qui s’est passé en Grande-Bretagne ces derniers jours. J’ai toujours vu le peuple britannique comme pacifique, et voilà qu’arrivent tous ces actes de violence. C’est bien la preuve que quelque chose manque, que l’éducation a oublié quelque chose. Et puis, pour en revenir à la réincarnation, une femme dalaï-lama serait bien plus jolie que moi, elle aurait donc plus d’effet sur les hommes…


Alors autant qu’elle soit blonde!

C’est possible. Mais, pour les Asiatiques, ce serait plus difficile à accepter.


Vous parlez de bonheur depuis des dizaines d’années. Comment expliquez-vous qu’aucun parti politique ne mette jamais le bonheur dans son programme?

Quand je regarde la BBC, que je lis les journaux, tous les titres sont sur l’économie. Les gens qui grandissent dans cette atmosphère ne peuvent que croire que l’économie est le plus important. C’est faux. Ça crée du stress, c’est même mauvais pour la santé.



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