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À cœur ouvert : une introduction à la psychologie contemplative

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arton20727.jpgL’association Karuna France propose régulièrement des week-ends d’introduction à la psychologie contemplative. Ouverts à tous, ils permettent de découvrir une autre manière de communiquer et de travailler avec les autres, au croisement de la tradition bouddhiste et des recherches de la psychologie occidentale. Récit d’une initiation à l’ouverture du cœur.


Nous sommes une petite vingtaine dans cette belle salle de méditation, lumineuse, sobre et inspirante, du centre Shambhala de Paris. Face à nous, l’enseignante américaine, Melissa Moore, une des fondatrices de la formation Karuna en Europe, nous invite à nous présenter brièvement. Il y a là, bien sûr, des thérapeutes du corps et de l’esprit, en exercice ou en formation, d’écoles diverses, curieux d’explorer cette voie de la psychologie contemplative et peut-être d’en adopter les outils dans leur pratique professionnelle. Mais nous sommes tout autant à venir d’autres horizons : des enseignants, une ancienne avocate, des artistes, un homme d’affaires, et même des chercheurs en sciences « dures »… Certains pratiquent déjà la méditation; beaucoup ne se sont jamais assis sur un coussin. Une même aspiration nous a réunis pour ce week-end, que formule simplement Melissa Moore : « La psychologie contemplative pourrait se résumer à établir un contact authentique avec son cœur, d’abord en soi, puis avec les autres, même dans les circonstances les plus difficiles. Nous avons soif de ce contact et en même temps, il nous effraie.»



D’abord la méditation


Le chemin pour revenir à la capacité fondamentale que nous avons d’entrer authentiquement en contact avec nous-mêmes et avec les autres passe par la méditation. Melissa Moore évoque les origines de la psychologie contemplative, née de la rencontre, aux États-Unis dans les années 1970, entre le maître de méditation tibétain Chögyam Trungpa et des psychologues et psychiatres occidentaux. De ces échanges ouverts ont émergé les principes fondamentaux d’une psychologie qui invite celui qui travaille avec les autres — ce qui à l’évidence ne se limite pas à un cadre professionnel mais s’étend à nos relations quotidiennes — à travailler d’abord sur son propre esprit. « Nous commençons avec nous-mêmes, en observant notre esprit, maintenant, encore et encore, dit Melissa Moore. Et nous découvrons combien notre état d’esprit est transitoire. » La méditation nous permet d’entrer en contact avec nos émotions, sans jugement, avec bienveillance, sans les ignorer, sans les refouler mais sans non plus les alimenter.


Elle est aussi allégeance au moment présent. « Il n’y a pas d’autre moment que celui-ci. C’est le plus puissant, le plus fertile », poursuit l’enseignante.

Oui mais, que faisons-nous de ce passé qui si souvent nous encombre et commande, en souterrain, nos pensées, nos émotions et nos actions ? La réponse vient, d’une simplicité déroutante : « Tout ce qui s’est passé dans le passé, si ça a de l’importance, est encore là maintenant. Tout ce qui va se passer dans le futur est déterminé par ce qui se passe maintenant. Et ce moment présent si puissant, la plupart du temps, on le rate ! »

Oui mais, dans le cabinet du psy, ne venons-nous pas fouiller ce passé ? « Je ne dis pas qu’on ne parle pas du passé : les gens s’attendent à parler du passé avec leur thérapeute, précise Melissa Moore, non sans humour. Mais les praticiens de la psychologie contemplative ont cette compréhension du moment présent : ils tiennent l’espace en étant très présents, et les gens le sentent.» Sa présence rayonnante, en cet instant, et la qualité d’attention des participants appuient ses propos de manière convaincante.


Chacun possède la santé fondamentale


Le deuxième principe de base de la psychologie contemplative est une proclamation révolutionnaire. Toute personne, peu importe son état, possède la santé fondamentale. « Encore une fois, souligne Melissa Moore, il ne s’agit pas d’ignorer les névroses et les difficultés mais nous comprenons qu’au cœur de chaque individu, il y a de la santé. C’est une santé intrinsèque, qui n’est pas conditionnée par notre histoire, nos relations, même pas par nos éventuelles pathologies mentales. L’entraînement consiste à reconnaître cette santé fondamentale en soi d’abord, puis chez les autres. Et la pratique est de tenir l’espace pour que la personne en face de nous puisse en faire l’expérience elle-même. »

Melissa Moore a travaillé avec des psychotiques, à partir de cette conviction. Elle parle de son expérience, de ses interventions en urgence, accompagnées des sirènes d’ambulance et d’un cortège de policiers. Alors, elle demandait à aller seule à la rencontre de la personne auprès de laquelle elle avait été appelée : « C’est très puissant quand on travaille avec des personnes psychotiques de tourner notre attention vers leur santé : des fenêtres de clarté s’ouvrent. Quand on va à la rencontre de quelqu’un qui traverse un épisode psychotique profond, le cœur ouvert, cette personne le sent et quelque chose s’ouvre en elle. Mais on ne peut le faire que si on a confiance dans cette santé fondamentale.»


Un exercice nous est proposé pour donner un peu corps à cette notion de santé fondamentale. Nous travaillons par deux. La pratique est contemplative : il n’y a pas de mot, pas d’analyse… idéalement du moins— nous n’en sommes qu’au tout début et nous nous rendons vite compte à quel point il est difficile de ne pas tomber dans le bavardage mental. Quelque chose se produit dans cette atmosphère ouverte et bienveillante. Une curiosité germe, une énergie circule, un élan du cœur survient.


Travailler avec ses émotions


Ce mouvement du cœur est encore ténu, et éphémère. Peu à peu, au cours du week-end, d’autres exercices, d’autres interactions nous permettront d’entrer plus profondément en contact avec des qualités qui sont en nous mais que nous recouvrons si communément par peur d’être touchés, blessés, exposés. Des sessions de méditation rythment la journée. Ce sont autant d’occasions de synchroniser le corps, la parole (dont la respiration, support de l’attention, est un aspect) et l’esprit, de cultiver cette santé fondamentale. Ce sont autant de possibilités de « créer un espace où on peut demeurer sans jugement », et de cultiver ainsi l’amitié envers soi-même qui nous fait si souvent défaut — en particulier à nous Occidentaux, champions de l’autocritique. Comment accueillir l’autre tel qu’il est si nous ne sommes pas capables de nous accueillir, tels que nous sommes en ce moment ?


La bienveillance envers soi-même — maitri, en sanscrit — conduit à la compassion (karuna). Le mot, sinon le chemin, est semé d’embûches pour quiconque a été élevé dans la culture judéo-chrétienne. Dans la tradition bouddhiste, racine de la psychologie contemplative, la compassion est une qualité du cœur éveillé, ouvert, qui rend possible une relation d’humain à humain, entre égaux. « Le chemin de la compassion est de se confronter à nos peurs et d’aller au-delà, précise Melissa Moore. La peur est toujours là, comme émotion sous-jacente, recouverte par toute une couche d’émotions qui, dans la tradition bouddhiste, sont considérés comme des poisons, perturbant l’esprit, et en même temps comme des possibilités de se réveiller. Chaque émotion, la colère, la jalousie, la passion, l’orgueil ou l’ignorance, possède une sagesse. Ce qui fait la différence, c’est la façon dont on s’identifie ou pas à l’émotion, dont on la solidifie ou non.»



Le défi de l’échange compatissant


Nous abordons ensuite l’échange compatissant, troisième pilier de la psychologie contemplative et mise en œuvre de la relation thérapeutique. « C’est une pratique, définit Melissa Moore, qui consiste à s’offrir à l’autre, pour rendre manifeste cette santé toujours présente. » L’échange compatissant va au-delà de l’empathie, la capacité à se mettre à la place de l’autre. « La position relationnelle qui est créée par le thérapeute dans la tradition occidentale est souvent de l’ordre d’une relation hiérarchique. La personne voit dans le thérapeute un expert. Dans la psychologie contemplative, on essaie de créer un espace de contact de cœur à cœur, seule possibilité de communication véritable, entre égaux. De fait, les études montrent que, parmi les pratiques modernes de thérapie, les seules dont on puisse prouver l’efficacité sont celles qui ont pour fondement ce contact d’humain à humain. Ce dont on parle ici, dit sans ambages Melissa Moore, c’est ce domaine très dangereux de l’inséparabilité entre soi et l’autre. Et on n’entre pas là sans entraînement. »


Ce qui nous est proposé est un défi, sans conteste exigeant. Sommes-nous même capables d’écouter sans juger, sans vouloir conseiller, réparer et surtout, sans se mettre à distance ? Melissa Moore nous propose de tenter l’expérience, en remarquant simplement ces réactions et tentations — des mouvements de l’esprit — pour revenir ensuite à la présence du cœur. Tour à tour, nous sommes celui qui parle et celui qui écoute et offre l’espace (l’ami compatissant) ; deux autres personnes aident à tenir l’espace par leur présence, de chaque côté du carré ainsi formé. Tous les participants partagent ensuite leur expérience, un autre élément constitutif de la formation Karuna. Catherine remarque que le fait d’être face à trois personnes l’écoutant sans rien dire, lui a donné l’espace pour qu’émerge, dans cette solitude, une solution. Alain apprécie « d’avoir pu parler d’un problème qui me tient à cœur sans que l’écoutant ne s’empresse de me proposer des conseils, des solutions — forcément contradictoires avec ceux d’un autre ami, d’une autre personne. J’ai pu vomir, dit-il, ce qui m’encombrait».


L’atmosphère est vibrante. Chacun se sent ébranlé, mis à nu. Il y a de la chaleur et une émotion qui nous relie. Nous avons touché cette possibilité de communiquer à cœur ouvert, et une voie s’ouvre pour la cultiver en soi et l’offrir aux autres.


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