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Prix Nobel de la Paix à Liu Xiaobo

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08.10.2010

Le prix Nobel de la paix 2010 a été attribué le 8 octobre à l’opposant chinois emprisonné Liu Xiaobo. Jamais un dissident chinois n’a été lauréat de cette récompense. Pour Marie Holzman, sinologue, et Claude B. Levenson, spécialiste du Tibet, le choix du jury d’Oslo peut avoir un immense impact sur l’avenir de la Chine.

Des manifestants hongkongais demandent la libération de Liu Xiaobo, décembre 2009
Des manifestants hongkongais demandent la libération de Liu Xiaobo, décembre 2009

Comment se fait-il que, depuis que cette haute distinction existe, l’on compte neuf lauréats français du Prix Nobel de la Paix, huit Anglais, vingt Américains, quelques Birmans, Japonais, Timorais, un Vietnamien, un Tibétain (le dalaï-lama) et aucun Chinois ? Pourquoi, du temps de la Guerre froide, l’Occident n’a cessé de soutenir, de traduire, d’accueillir les dissidents russes, tchèques, polonais, et a réussi à se souvenir de leurs noms sans trop de peine, alors qu’aujourd’hui pratiquement personne n’est capable de retenir ou de citer le nom du moindre militant pour la démocratie en Chine ? Voilà pourtant plus de trente ans que les démocrates chinois s’évertuent à nous dire qu’ils croient aux valeurs universelles, qu’ils aspirent à la liberté, au pluralisme et que seule la démocratie peut rendre la Chine véritablement moderne et acceptable pour les autres pays de la planète?

Sans parler des innombrables victimes de la période maoïste, qui n’eurent même pas l’occasion de revendiquer la liberté d’expression, qui peut citer le nombre de victimes de la dictature chinoise depuis le début des réformes économiques, en 1979, et de l’irrésistible ascension de ce nouveau géant qu’est la Chine? Les premiers opposants ouvertement favorables à la démocratie qui s’exprimèrent en 1978, Wei Jingsheng, Xu Wenli, Ren Wanding, et bien d’autres, connurent tous entre 12 et 18 ans de prison pour avoir simplement demandé le respect des droits de l’homme, et la liberté. Par la suite, le massacre de Tiananmen en juin 1989 provoqua la mort de plusieurs centaines de manifestants, ou de simples badauds désarmés, après un immense mouvement populaire qui, pendant près de deux mois, avait envahi les rues et les places des plus grandes villes de Chine. Ils réclamaient le dialogue avec leur gouvernement, la fin de la corruption et du népotisme. Leurs exigences n’avaient rien de révolutionnaire…

Aujourd’hui ce sont les pratiquants de Falungong, un mouvement spirituel qui a fait quelques dizaines de millions d’adeptes depuis le début des années 1990, qui sont violemment pourchassés, persécutés, arrêtés et torturés. Au Tibet et au Xinjiang, le rouleau compresseur du pouvoir en place semble avoir perdu tout contrôle de lui-même depuis la fin de l’année 2008: les arrestations de moines, d’imams, d’intellectuels, d’hommes et de femmes d’affaires, les exécutions capitales et les menaces de mort sont monnaie courante. Sous prétexte de lutter contre le séparatisme et le terrorisme, la police armée intervient partout et instaure un régime de terreur en imposant une forme d’assimilation à marche forcée des ethnies non Han.

Il existe pourtant de nombreux Chinois qui se sont dressés pour dénoncer cette violence, pour alerter l’opinion mondiale de ce qui se passait dans leur pays, pour encourager les pays démocratiques à résister aux sirènes du gain facile en Chine grâce à un prolétariat surexploité et sous-payé. Certains ont laissé quelques vagues souvenirs dans nos mémoires: Harry Wu, qui dénonce le laogai, frère jumeau du goulag; Hu Jia, qui obtint le Prix Sakharov du Parlement européen en 2008, mais qui se languit toujours en prison malgré un état de santé déplorable; Gao Zhisheng, un avocat qui, pour avoir défendu des pratiquants de Falungong, a été torturé pendant des mois en 2009 et qui a par la suite tout simplement «disparu» au printemps 2010, la police affirmant ne plus savoir où il était! Le laogai a finalement lâché sa proie en renvoyant Gao chez lui pendant dix jours, pour le capturer et le «volatiliser» de nouveau. Sa famille, ses amis sont à nouveau sans nouvelles de Gao Zhisheng depuis près de six mois…

Si le Comité du Nobel de la Paix voulait bien prendre conscience de l’immense impact que l’attribution de son prix à quelqu’un comme Liu Xiaobo aurait sur l’avenir de la Chine, il n’hésiterait pas longtemps avant de lui décerner sa récompense prestigieuse. Voilà plus de vingt ans que Liu Xiaobo se bat « à mains nues » contre le pouvoir du Parti communiste chinois. En termes mesurés, en adjurant ses concitoyens à renoncer à toute forme de violence, en réfléchissant aux voies que ce pouvoir pourrait emprunter pour sortir de l’ornière dans laquelle il s’est fourvoyé depuis 1989, en acceptant trois peines de prison successives sans jamais perdre espoir, sans gémir sur son propre sort, Liu Xiaobo est une source d’inspiration pour la planète.
Avocat infatigable de la résolution pacifique des conflits au Tibet et au Xinjiang ainsi qu’avec les pays voisins de la Chine, qui enveniment le climat de la région, attisent le nationalisme et la discrimination, Liu Xiaobo écrivait encore en décembre 2009: « Je suis persuadé que la Chine continuera à progresser sur la voie des réformes politiques, et je suis plein d’espoir concernant la liberté qui arrivera dans ce pays à l’avenir, car aucune force ne peut endiguer le désir de l’humanité pour sa liberté. La Chine finira par devenir un Etat de droit, où le respect des droits de l’Homme triomphera. Et je m’attends à voir l’impact de ces progrès au moment où ma sentence sera prononcée. Je suis certain que le verdict de la Cour sera juste, et qu’il résistera à l’épreuve de l’histoire. »

Quelle confiance inébranlable dans l’avenir du monde pour un homme qui venait de passer un an en détention sans jugement! Ce même homme finira, le jour de Noël 2009, par être condamné à 11 ans de prison, simplement parce que, s’inspirant de la Charte 77, lancée à l’époque par Vaclav Havel pour s’opposer à la dictature soviétique, Liu Xiaobo devint l’un des auteurs et le porte-parole de la Charte 08, qui ne demandait rien d’autre que la démocratie pour la Chine. Pour Liu, pour un cinquième de l’humanité, une marque de reconnaissante de la part de l’Occident serait certainement une forme de verdict à l’égard de la dictature chinoise, un verdict juste, qui résisterait à l’épreuve de l’Histoire.

Wan Yanhai (Etats-Unis), militant pour les droits des malades du sida, et Han Dongfang (Hongkong), du China Labour Bulletin, se sont associés à cet article.


Marie Holzman, Claude Levenson

Source : www.courrierinternational.com (Le Temps)

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