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Bouddhisme guerrier au Sri Lanka

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jeudi 30 octobre 2008

bouddhisme_sri_lanka.jpgDans un pays où le bouddhisme est constitutionnellement reconnu comme la « principale religion », la paix et la compassion se font rares. Les cloches des monastères bouddhistes appellent à la prière, mais plusieurs sonnent aussi l’appel aux armes.

Le vénérable Athuraliye Rathana mène ce groupe de moines faucons qui exigent que le président Mahinda Rajapakse remplisse ses promesses faites durant les élections de 2005 d’anéantir la rébellion des Tigres tamouls. Pour Rathana, les pourparlers et les solutions politiques peuvent attendre : « Les négociations de paix ont simplement rendu les Tigres plus forts. On ne doit pas leur parler. Nous pouvons les écraser. C’est comme une opération chirurgicale », a-t-il affirmé à un journal écossais en mars dernier. Les tenants de la ligne dure comme lui soutiennent que la destruction des Tigres tamouls va mettre fin au conflit ethnique qui ravage le Sri Lanka depuis plus de 25 ans.

Pour ces « moines guerriers », la proposition des rebelles de créer un État distinct, parce que le nord et l’est du Sri Lanka sont historiquement des régions tamoules, repose sur un mythe. Ils insistent plutôt pour dire que l’île a toujours fait partie du royaume des bouddhistes cingalais.

C’est ce point de vue qui a favorisé la naissance des groupes rebelles tamouls et qui a plongé le pays dans une guerre intestine. Plus de 70 000 personnes sont mortes depuis 1983. La fin du respect du cessez-le-feu en 2006 a coûté la vie a plus de 5 000 Sri Lankais. Le gouvernement sri lankais avait alors officiellement rompu cette entente négociée par la Norvège. Les combats entre les rebelles et l’armée se sont maintenant intensifiés. Les forces sri lankaises se rapprochent d’ailleurs du quartier général des rebelles à Kilinochchi.

De leur côté, les Tigres tamouls ont lancé davantage d’attaques suicides. Le général de l’armée sri lankaise, Janaka Perera, a récemment été abattu lors d’une explosion suicide préparée par les rebelles. Ces derniers ont aussi conduit des raids aériens sur des bases militaires sri lankaises en utilisant de petits avions.

Selon l’ONU, plus de 200 000 personnes ont dû quitter leur domicile en raison des offensives de l’armée du Sri Lanka dans le nord du pays, dominé par les Tamouls.

Par communiqué, le président, Mahinda Rajapakse, affirme que « les forces de sécurité ont des ordres stricts d’éviter les pertes civiles durant ces opérations ». Le gouvernement a toutefois ordonné aux humanitaires de quitter les régions aux mains des rebelles. Aucune aide n’est donc fournie dans ces territoires du nord de l’île.

Les Tamouls se sentent pris entre le gouvernement, auquel ils n’ont pas confiance, et les Tigres tamouls, qui les empêchent de quitter les zones sous leur contrôle.

Les origines du conflit ethnique

En 1948, lorsque les Britanniques ont accordé l’indépendance au Sri Lanka, les Cingalais formaient la majorité et les Tamouls la minorité. Pour les gens de l’extérieur, les Tamouls du Sri Lanka constituent un groupe ethnique homogène. Par contre, ils sont séparés en deux : les Tamouls du Sri Lanka et les Tamouls indiens. Les Tamouls sri lankais vivaient dans le nord et l’est de l’île avant l’arrivée des Britanniques. Les colonisateurs ont alors amené les Tamouls du sud de l’Inde pour les faire travailler dans les plantations de thé. Lorsque les Britanniques sont partis, la très forte présence de Tamouls dans l’administration publique, le système d’éducation et l’économie a créé un malaise chez les Cingalais des campagnes.

Des sentiments traditionalistes, exacerbés par les idées de penseurs bouddhistes comme Anagarika Dharamapala, étaient déjà en vogue parmi les Cingalais. Les politiciens s’en sont servis afin d’accroître leur popularité. Personne n’a mieux réussi que le premier ministre Solomon Bandaranaike, dont la première loi qu’il fit adopter en 1956 instaura le cingalais comme unique langue officielle.

Cingalais anglican de naissance, Solo-mon Bandaranaike s’est converti au bouddhisme popularisé par le nationalisme de cette époque. Comme tout bon converti, il agit avec ferveur. Il met fin au statut de langue tamoule et impose la maîtrise du cingalais comme critère d’embauche dans la fonction publique. Les Tamouls doivent donc apprendre le cingalais pour éviter d’être renvoyés. Cet affront est encore vivement ressenti chez les Tamouls assez vieux pour l’avoir vécu.

En réponse à la montée du nationalisme cingalais, les Tamouls s’organisent en mouvement en s’inspirant du modèle de non-violence prôné par Gandhi. Le premier ministre Bandaranaike fait par la suite preuve d’ouverture en signant un pacte permettant une autonomie politique aux Tamouls dans le nord et l’est du pays. Il en paye rapidement le prix. Il est assassiné par un moine bouddhiste en 1959.

Sa femme, Srimavo Bandaranaike, la première femme première ministre au monde, le remplace, mais elle met de l’huile sur le feu. Dans le domaine de l’éducation, elle promulgue des politiques de « standardisation » qui haussent la barre d’entrée à l’université des étudiants tamouls, tandis que les Cingalais jouissent de critères d’admission moins rigoureux.

Toutefois, c’est à Junius Jeyawardena que revient la palme pour avoir envenimé le plus les relations entre Cingalais et Tamouls au Sri Lanka. Ce chrétien converti au bouddhisme a été le premier à gagner l’appui des moines bouddhistes, afin de tirer profit du respect dont ils font l’objet. C’est sous l’administration de Jeyawardena que le mécontentement des Tamouls, particulièrement chez les jeunes, atteint son apogée. Ils créent alors des groupes rebelles armés qui ont pavé la voie aux émeutes de juillet 1983.

Le plus long conflit ethnique en Asie

Le président Mahinda Rajapakse mène présentement la même politique de domination par les bouddhistes cingalais. Pressé par un parti nationaliste cingalais (Janatha Vimukthi Peramuna) qui a quelques moines comme représentants au parlement, le président sri lankais élu en 2005 a intensifié la lutte contre les Tigres tamouls dès 2006.

De nombreuses violations des droits de la personne ont été rapportées depuis que Rajapakse est au pouvoir. Par exemple, des journalistes ont été enlevés et des Tamouls ont été chassés de la capitale, Colombo. De leur côté, les Tigres tamouls ont continué à recruter des enfants-soldats et à se servir de civils comme boucliers humains.

Au fil des ans, les deux questions qui ont entraîné une guerre civile ont été corrigées : le tamoul a été rétabli comme langue officielle et les politiques de « standardisation » ont été abolies. Malgré tout, la discrimination persiste envers les Tamouls. Ils doivent avoir en tout temps un carnet d’identification qui mentionne leur origine ethnique, et ils font l’objet d’incessantes vérifications policières. De plus, des communautés tamoules souffrent dans leur ensemble de décisions prises par les autorités pour combattre les rebelles. Par exemple, en 2006, l’armée a fermé la principale route vers le nord du pays, ce qui a empêché la livraison de biens de première nécessité et fait grimper le prix de la nourriture dans cette région.

L’appui aux Tigres tamouls varie. Les Tamouls du Sri Lanka sont divisés en groupes qui ne parlent pas d’une seule voix, comme le voudraient les rebelles. Les Tamouls vivant dans la capitale disent qu’ils ne retourneront pas au Nord, même si un nouvel État y est créé. Les Tamouls de l’Est soutiennent que ceux du Nord ne les respectent pas. De leur côté, les Tamouls indiens se considèrent comme à part, puisque leurs parents viennent de l’Inde.

Mais tous s’entendent sur un point : ils sont des citoyens de deuxième classe dans leur propre pays. Ils n’appuient pas nécessairement les méthodes des Tigres, mais ils jugent que les rebelles constituent une force qui compte pour contrer la domination du gouvernement cingalais bouddhiste. De tous les groupes qui sont nés dans les années 1980, seuls les Tigres tamouls ont résisté. Les autres ont disparu ou ont joint le gouvernement. Pour Pakiasothy Saravanamuttu du Centre for Policy Alternatives à Colombo, les Tamouls appuient les rebelles : « De manière générale, la vaste majorité des Tamouls pensent que les Tigres vont leur procurer la meilleure entente. Historiquement, c’est le cas. »

Le premier ministre de l’Inde, Manmo-han Singh, a lancé au début d’octobre un appel en faveur d’une entente négociée. Même si le président Rajapakse a promis une dévolution des pouvoirs aux régions tamoules en cas de victoire de l’armée, les Tamouls ne le croient pas. « Il y a un an, le président a assuré qu’en plus des opérations militaires, il y aurait un plan politique. Ce processus n’est pas allé de l’avant », mentionne un spécialiste des questions de défense Iqbal Athas.

Selon l’analyste politique DBS Jeyaraj, « le danger, c’est que si les rebelles perdent la guerre, alors il y aura peu de pression pour que le gouvernement sri lankais décentralise les pouvoirs dans les régions tamoules ».

Les forces gouvernementales affirment pouvoir bientôt prendre les zones contrôlées par les rebelles dans le Nord. Le futur des Tigres, mais aussi de tous les Tamouls du Sri Lanka, se joue présentement dans des batailles sur le terrain.


Par Nachammai Raman

Source : www.alternatives.ca

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