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Olivier Germain Thomas, écrivain voyageur

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Écrivain, voyageur et romancier, Olivier GERMAIN-THOMAS est aussi producteur et réalisateur d’émissions (Mishima, Le Clézio…). Il anime actuellement (2008) For intérieur sur France Culture. Depuis 30 ans l’Asie est son lieu de prédilection, et il en rapporte des livres, des récits en forme de promenades littéraires et culturelles. Olivier Germain Thomas est un érudit et un grand voyageur qui affirme «qu’une civilisation de l’image ôterait à l’humanité sa capacité imaginative et la disparition de l’écrit atrophierait son esprit». Il a reçu en 2006 un Grand Prix de littérature par l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre. Son dernier livre, le Bénarès-Kyoto (le Rocher) a obtenu le prix Renaudot essai 2007.

Le Bénarès-Kyoto

Le Bénarès-Kyôto est le récit d’un périple accompli par voie terrestre et maritime à travers une grande partie de l’Asie, qui correspond à la voie suivie par le bouddhisme. La première partie est un voyage en Inde, parcourue en train du nord au sud. Puis vient la Thaïlande, le Tonkin. La Chine, méconnue, le Japon, enfin.

Les pays et les paysages

On sait qu’OGT arpente l’Asie depuis trente ans, et qu’il a été «piqué» par l’Inde. Un chroniqueur a écrit que sa sagesse est de savoir que «nulle clé, jamais, n’ouvrira les portes de l’Inde, ni la géographie et les saisons, ni 50 000 années d’histoire, ni l’entrelacs de ses mythes et ni ses dix religions.» OGT, plutôt que de nous dire: «L’Inde, c’est ceci», se borne à constater: «L’Inde est» ou, dans l’un de ses autres récits: «L’Inde n’est nulle part.» Il écrit aussi: «Il faut se lever tôt pour étonner un Indien. Disons, être levé depuis quatre mille ans.»

Et enfin ceci: «Pour comprendre l’Inde, l’une des méthodes consiste à regarder un escalier en spirale après avoir bu trois whiskies.»

Bénarès est une ville aux «ruelles si étroites et si encombrées qu’y croiser une vache demande un art de toréador.» La vallée du Gange défile comme un film. «Passages au ralenti sur de vieux ponts métalliques qui grincent, accélérés alors que les touches multicolores des saris sont courbés sur les champs…»

Pékin est livré aux démolisseurs, aux autoroutes urbaine, aux «foules mécaniques.» Mieux vaut rester dans les jardins «afin de préserver la Chine de Segalen, de refuser les canailleries du réel.»

L’art du voyage

OGT a déjà plusieurs voyages à son actif. Expérience. Mais: «Les souvenirs de voyages j’en ai fait un tas. Quand le vent se lève ils s’envolent.» Et maintenant, avec le recul: Est-ce qu’il faut encore voyager, et pourquoi? Réponse possible: «Les voyages ont été mes écoles. Ils ont chambardés les raisons étroites, m’ont donné à voir l’envers du sable et du ciel.»

On comprend vite que l’auteur n’est pas un adepte du tourisme de masse. Et qu’il préfère la solitude, la disponibilité, la lenteur. La lenteur – ou au moins l’absence de précipitation – est un credo. Laissons le temps de la découverte, les choses ont leur rythme «qui n’est pas celui de nos perceptions conscientes.» Pourtant, dans les premières lignes du «Bénarès» il écrit:

«Maintenant je me hâte. Je sais que le temps est compté, certes le mien, mais surtout la durée où cette terre présentera encore des visages d‘une glaise antique. Rien ne semble pouvoir arrêter la machine à malaxer. A quand le safari vers la dernière tribu, le dernier dieu borgne, le dernier chant de pluie?»

«Être vide est un état de disponibilité, d’attente, d’état poétique sans colle aux pieds. C’est un état fragile à la merci de la moindre distraction. Soyons vacant, nous saisirons le murmure des choses.» Cette vacance, ce vide, si important pour certaines cultures, n’est pas un état naturel dans nos sociétés. Et pourtant, pour le voyageur, quoi de mieux que cet état de disponibilité, de «poétique sans colle aux pieds?» La vacance, être vide, la disponibilité, sont nécessaires en voyage.

Quelques autres règles fixées par le voyageur: laisser à ses intuitions et impulsions le soin de choisir un itinéraire; s’imposer de ne jamais solliciter l’aide d’une agence de voyage; n’avoir aucune adresse de personnes à rencontrer sur place. «L’incertitude me plaît et m’inquiète. Les enfants connaissent cet attelage.»

«Traverser de part en part la Chine en ignorant la langue est aussi une manière de pratiquer un art du voyage qui n’aura bientôt plus cours.»

Le sens du voyage

Une pensée de Montaigne (chez qui OGT trouve des propos à rapprocher de l’enseignement du bouddhisme), est en exergue au «Bénarès»:
«Mes pensées dorment si je les assieds. Mon esprit ne va si les jambes ne les agitent.»

OGT pose et se pose les questions classiques: faut-il voyager, pourquoi?

«Le clair: j’aime voyager, j’aime le mouvement des pas, la rencontre des regards, la récolte d’images sur des territoires inconnus, la contemplation d’une lumière qui n’est plus une fiction. L’obscur vient des simulacres du désir. Je cherche peut-être quelque chose dont j’ignore l’existence. Quel visage, quelle aventure, quelle grotte?»

Certains moments peuvent être inoubliables. Et même plus forts encore: «Je n’étais plus un voyageur français du début du XXIe siècle, j’étais à la jonction du ciel et de la terre un être jeté au sein d’une aventure stupéfiante impossible à comprendre, la même depuis les bisons de Lascaux ou les poteries de Banpo, une histoire qui… Arrêt de bus!»

«Le voyage ouvre, épuise, épure, charge, fait craquer les meubles familiers, fait apparaître les images d’un parchemin inachevé. Il nous rajeunit et nous patine.»

«Je me suis embarqué pour briser des parois.»

L’orient et l’Occident

Le récit est traversé de remarques sur les modes de vie et les cultures de ces deux entités. Et la confrontation n’est jamais simple.

Comment expliquer les mœurs et coutume des habitants du «Pays de la Loi» (la France) à un chinois même lettré? Comment expliquer que nous sommes à la fois «adeptes de la raison et des symétries, mais désordonnés, sentimentaux, girouettes?» Que nous «courons derrière toutes nouveautés, mais refusons de bouger une vielle pierre?» Que nos femmes sont «brillantes et émancipées, habiles dans les jeux des nuages et de la pluie, mais attentives aux enfants et au bœuf mironton.?»

Ailleurs, le point de vue chinois: «les occidentaux ne comprennent rien à la Chine. Vous venez avec un fatras d’idées sur Confucius, Lao-Tseu, le bouddhisme et je ne sais quoi. Tout le monde s’en fout en dehors des vielles femmes. La Chine ancienne est morte pour toujours. Vous avez changé depuis Robin des Bois, non?»

Plus loin, le point de vue japonais: «Expliquer la cérémonie du thé ou un jardin sec sont des aberrations. Les Japonais nous regardent en souriant leur enseigner ce qu’ils sont. Sodeska. C’est donc ça! S’exclament-ils pour nous faire plaisir quand on décortique leurs poèmes, leurs danses, leur mentalité, leur érotisme et tout le tralala. Ensuite, ils vaquent. J’en ai connu qui ricanaient.»

Pour conclure: le Bénarès – Kyôto est l’un des récits de voyages qu’il faut garder dans sa bibliothèque. A relire. Ne donne pas tout lors de la première lecture.
Les premières lignes. «Assis devant le fleuve, je suis retenu par le prodige le plus simple qui soit: un lever de soleil tandis qu’une famille (père, mère, deux filles, deux garçons) s’immerge. Cercles sur l’eau. Dans la rue, au-dessus des escaliers qui descendent vers la Yamuna, on entend un chant. Des hommes se frayent un passage en courant. Ils portent une civière sur laquelle une vielle femme est étendue. Son visage est peinturluré de rouge, la couleur des flammes qui l’attendent sur le bûcher. La foule s’écarte avec naturel, se referme avec indifférence.» Editions du Rocher.

Un matin à Byblos

Que reste-t-il de Byblos, la plus vieille cité du monde, dit-on, cette ville qui, faut-il le rappeler, a livré le premier témoignage de notre écriture, cette écriture qui, «après quelques contorsions, sert encore à plus de la moitié des terriens à inscrire sur des feuilles leur génie, leurs mensonges, leurs désirs et leurs musiques, sans oublier leurs sottises»? Byblos, c’est quelques ruines «qui ne stimulent l’intelligence et les sens que si l’on a du goût pour les rayonnages cachés.» Que ressent-on à sa vue?
«Rien des éblouissements de Baalbek ou de Palmyre. Ces ruines sont une femme voilée assise devant la mer. Il faut venir ici avec son chargement de mythes.»

Voilà l’essentiel de ce que l’on apprendra à la lecture de ce récit de voyage. Byblos est un mille-feuilles pour archéologues ou matins du monde et d’aujourd’hui superposent des fragments égyptiens, assyriens, babyloniens, perses, grecs, romains, byzantins, arabes, francs. Bref: si le paysage offre quelques belles échappées sur la mer bleue, il vaut mieux savoir où l’on va avant d’y aborder. Mais alors, que trouve-t-on dans ce livre, écrit par un écrivain voyageur, comme il est précisé sur la quatrième de couverture?

Comme souvent dans un bon récit de voyage, du moins les récits contemporains, qui ne peuvent rivaliser avec les reportages télé ou le fait que chacun peut aller voir quand il le veut ou presque, on en apprend plus sur l’auteur, sur ses sujets de prédilections ou ceux qui ont affleurés à l’occasion de ce voyage, que sur le voyage proprement dit et sur les lieux visités. Et là il y a matière.

Comme le voyage, le livre est un «vagabondage». L’auteur le dit lui-même:
«L’ensemble peut paraître décousu. C’est ma manière. J’aime assembler les éléments qui n’ont pas l’habitude de convoler.»

Le récit dérive très souvent vers de petites dissertations, méditations, sur des sujets divers: l’éducation, la culture, le muet, les vertus de la récitation, les Écritures, le Temps, l’Amour… On lira donc de très belles pages sur le livre, la lecture, la littérature, son pouvoir (dans le bon sens du terme: «il y a moins de dégâts avec la littérature qu’avec de faux prophètes»), sur l’intérêt qu’il y aurait à fréquenter Rabelais, La Fontaine, Diderot, Rimbaud et d’autres dès le plus jeune âge. Belles réflexions sur la langue, la culture. «L’Histoire est pleine de peuples conquérants aux biceps plus impressionnants que la culture. Leurs empires tombent vite.» Quelques analyses – plus discutables à mon avis, mais ça n’est que mon avis – sur l’Europe et la nécessité d’avoir une langue commune autre que l’anglais.

Et le voyageur dans tout ça? Pour l’auteur, le voyageur doit rester vacant. «Soyons vacant, nous saisirons le murmure des choses.» Cette vacance, ce vide, si important pour certaines cultures, n’est pas un état naturel dans nos sociétés. Et pourtant, pour le voyageur, quoi de mieux que cet état de disponibilité, de «poétique sans colle aux pieds?»

Un autre mot qui découle de cette lecture: humour. Rendre la connaissance ludique, utiliser l’humour comme épice, sont bien des volontés de l’auteur, qui ne s’en prive pas. Ce qui rend la lecture très agréable (apprendre en s’amusant). Et il y a parfois des fins de paragraphes qui sont ponctués de chutes ahurissantes, des pirouettes complètement décalées, qui remettent en place les idées trop sérieuses. Ou qui offrent d’autres perspectives. Sans parler du glossaire, liste de mots existants mais avec des définitions un peu spéciales, ou donnant la définition des néologismes du cru, comme ce très beau «vénusté», grâce, beauté digne de Vénus.

Un matin à Byblos est donc l’un de ces «petits livres dont la chute ne fait pas mal aux pieds» mais qui renferme suffisamment de matière pour, une fois arrivé au terme, y revenir, réfléchir, creuser, discuter.
«Pour écrire un livre, comme pour dénouer une pelote, il suffit de trouver le bon bout. Ensuite on tire.»

Pour la lecture c’est un peu pareil, le lecteur est ici tiré, très facilement, très aisément, par un contenu intéressant présenté avec une langue recherchée, travaillée mais sans être exigeante, sans demander le recours aux dictionnaires, sans pédanterie, sans effets inutiles. Une belle langue, qui réconcilie avec la lecture. Pour dire autrement: on peut proposer des textes de qualité sans ennuyer le lecteur. Ce livre est le contre exemple de ceux qui pensent que l’on doit niveler la culture par le bas.

Les premières lignes: «Il existe, au bord d’une mer qui fut le nombril du monde, une ville qui porte le nom de Livre. C’est une ville de chevet puisqu’elle a veillé sur les rêves des hommes pendant plus de sept mille ans. Il est dans l’ordre des choses que Byblos soit considérée comme la plus ancienne des villes. Elle s’étend sur un tertre rocheux de dix hectares; elle possède la forme d’un oeil qui domine la mer et regarde le ciel sans ciller.»
Éditions du Rocher 2005

La traversée de la Chine à la vitesse du printemps

Ce récit au très beau titre – les mêmes fleurs s’ouvrent à cinq cent kilomètres de distance – nous conduit à travers la Chine, après l’Inde, la Thaïlande, le Laos, le Vietnam, et avant le Japon, objets d’autres récits. Après une pensée pour les Tibétains, l’auteur arrive dans un pays qui connut «l’aventure sanglante du maoïsme». Il est à la recherche «d’une voie spirituelle qui ne fût pas embrigadée par un dogme», espérant «des visages, une terre et cette confrontation d’un esprit occidental avec l’un des trois grands pôles de l’aventure humaine.»

Les premières lignes: «A l’exaltation qui pourrait naître de cet instant serré entre deux mondes, je dis « Au trou! » Dans la gare terminus, je me concentre sur les seules questions matérielles. Derrière moi, des montagnes en forme des cônes glacés dont mes filles sont friandes dessinent une ligne aussi dansante que la carapace d’un dragon; devant, l’inconnu. La gare vietnamienne de Lang Son est quasi déserte. A l’approche de la frontière chinoise, le train s’est peu à peu vidé. Je guette un moyen de transport avec le souci mesquin de ne pas me faire arnaquer. Une moto se présente; faute de cheval ou de palanquin, prenons.»Éditions du Rocher.

«En 2003, j’ai traversé la Chine en trains et cars. Étant entré dans le sud, j’ai vu peu à peu les fleurs s’ouvrir au rythme de mon voyage jusqu’aux abords de la Mongolie. J’avançais donc à la vitesse du printemps.»


Rencontre d’écrivain avec Olivier Germain-Thomas
envoyé par silosmla. – Futurs lauréats du Sundance.


Source: ecrivains-voyageurs.net

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