La biodiversité est à la mode. Soit. Mais concrètement, qu’est-ce ? Robert Barbault, professeur à Paris 6 et directeur du département Ecologie et gestion de la biodiversité au Muséum d’histoire naturelle depuis 2002, explique les bases de cette notion fondamentale en matière d’environnement.
Un an après l’année Darwin – et son développement sur la théorie évolutive des espèces – 2010 est très logiquement l’année internationale de la biodiversité. Une décision vraisemblablement prise en 2002 à Johannesburg, quand les pays avaient pour objectif la fin de l’érosion de la biodiversité en… 2010 ! Si l’objectif n’est pas atteint, les bonnes résolutions semblent gagner du terrain. Le Muséum d’histoire naturelle s’est donc mobilisé sur cette question, véritablement présente au coeur de ses métiers. Car derrière ce terme scientifique et relativement vague pour le public, ne se cachent pas seulement la Nature et les espèces sauvages. S’y retrouvent également la culture et les relations entre tous les êtres vivants. Et Robert Barbault est catégorique : l’homme fait partie de l’arbre du vivant. Il est acteur de la biodiversité. Il l’utilise, la détruit ou en fabrique à travers les variétés agronomiques développées au cours de l’histoire de l’agriculture, par exemple.
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Auriez-vous une définition simple pour expliquer le terme de « biodiversité » ?
Il s’agit du tissu vivant de la planète. Et qu’est-ce qui caractérise la vie sinon la diversité ? Diversité des espèces, de la génétique, des paysages, des formations végétales… On appelle »biodiversité » ce tissu vivant qui ne peut pas se maintenir, dans un monde changeant, sans se diversifier.
Pourquoi la biodiversité rencontre-t-elle des problèmes ?
On a fini par nous convaincre qu’il y avait la nature d’un côté et l’homme de l’autre. Et le fonctionnement du système économique prouve bien que la fracture est consommée entre l’homme et la nature puisque c’est uniquement la finance qui le gouverne. Or nous dépendons étroitement de l’environnement. Pendant longtemps, l’étendue des ressources paraissait inépuisable. Puis il y a eu une croissance exponentielle des populations humaines et de leurs besoins économiques. Du coup, on s’aperçoit que la nature s’effrite, qu’il y a des pollutions, que des espèces disparaissent…
Comment agir pour le bien de la biodiversité au quotidien ?
Il faut changer les habitudes de l’homme. Les problèmes de biodiversité concernent l’ensemble des acteurs de la société, pas seulement les naturalistes, mais aussi les industriels qui peuvent avoir des activités nuisant à l’état de la nature et éventuellement à leurs propres intérêts dans le futur.
Selon vous, la solution serait-elle de sensibiliser les populations par le biais des plus jeunes dès l’école ?
C’est la meilleure solution. Au muséum, il y a beaucoup d’actions dans ce sens. Par exemple, la mise en place d’une galerie des enfants sur la biodiversité. Cela va permettre de sensibiliser les familles. Malheureusement, quand on écoute les informations, on observe l’existence d’une pensée commune affirmant qu’on ne peut rien changer. C’est un fait : les lobbies impliqués dans ce type de développement n’ont pas forcément intérêt à ce que les mentalités changent trop vite. Du coup, on continue de laisser croire qu’on ne peut rien faire individuellement. C’est extrêmement nocif. Non seulement les gens se sentent coupables, mais ils ne savent pas comment orienter leurs actions.
Nous sommes responsables de la disparition de certaines espèces, ou tout du moins, nous accélérons le processus. Mais certaines espèces n’étaient-elles pas vouées à disparaître ?
Tout à fait. La différence c’est que la dynamique d’extinction actuelle est amplifiée par le développement de la technique et des besoins de consommation, ce qui risque de provoquer un effondrement négatif pour l’espèce humaine. Ce n’est pas un problème pour la biodiversité, elle en a connu d’autres. Le problème est pour nous. Peut-on continuer à vivre décemment, ainsi que nos enfants et nos petits-enfants, dans un monde qui aura perdu une grosse partie de ses espèces, avec toute la richesse que cela représente ? Il faut faire prendre conscience que ce n’est pas seulement une question de gais papillons et de jolies fleurs. Quand les paysages sont détruits, les conditions de vie sont mauvaises. Cela entraîne une crise écologique qui génère une crise sociale, donc une crise économique. Tout est lié.
Finalement, la biodiversité n’est-elle pas une nouvelle façon de parler d’écologie ? Même combat, nouvelle formule ?
Pour moi, c’est effectivement un concept écologique. Le mot »biodiversité » est venu au monde à Rio en 1992, lors d’un événement politique sur l’environnement et le développement durable. La biodiversité a des enjeux multiples. D’une part, autour de la diversité du vivant, des appétits d’utilisation, de surexploitation ; d’autre part, le souci de préserver ce potentiel de diversité qui représente un patrimoine pour l’humanité. Et pour bien comprendre ces enjeux, il faut un regard écologique. Parce que vivre, c’est trouver à manger et éviter d’être mangé, pour se multiplier, durer. Toute la construction du tissu vivant s’est faite à travers des relations mangeurs/mangés, appelées »chaînes alimentaires ». Nous sommes pareils. Nous avons besoin de ressources, de nourriture et de ne pas être mangé, d’où les médicaments. On fonctionne exactement comme les autres espèces.
Vendredi 11 juin 2010, 90 états ont accepté une recommandation favorable à la création d’une plateforme intergouvernementale sur la biodiversité. Quel impact cette décision va-t-elle avoir ?
Elle prouve que nous sommes conscients du besoin de mobiliser les connaissances et les informations, comme cela a été fait pour le climat. Avoir réussi à trouver un accord est déjà intéressant. En plus, il s’agissait d’une initiative française, cela fait donc plaisir de voir qu’il est possible de faire partager de telles idées. Mais les difficultés demeurent. On risque de s’exposer à des actions de rejet. Le mot »biodiversité » soulève des hostilités même à l’Académie des sciences, chez quelques collègues influents. La puissance des lobbies est une chose assez attristante. Cela me rassure de voir des actions individuelles entreprises par des agriculteurs et éleveurs audacieux qui se lancent dans des pratiques agricoles ou élevages novateurs, par exemple la restauration de races en voie de disparition comme la vache nantaise.
Pensez-vous que l’intervention de la politique soit nécessaire pour arriver à des résultats ?
C’est l’intervention du citoyen et du politique qui est nécessaire. Parce que la biodiversité soulève tous les problèmes de démocratie. Et c’est sur le terrain que se situe la vraie démocratie… Montrer qu’il existe des alternatives possibles, voilà la difficulté. Parce qu’on finit par croire que pour nourrir 9 milliards d’habitants, il faut nécessairement des OGM et une intensification de l’agriculture industrielle. Mais non. Il y a des alternatives, ce que montrent justement le vivant et la biodiversité, c’est qu’on ne peut pas avoir les mêmes solutions partout. Notre modèle de développement – qui tend à uniformiser – est à angle droit avec la réalité écologique qui promeut la diversité. (…)
Vous refusez d’avoir un discours alarmiste sur la situation. Pourquoi ?
Il y a toujours de l’espoir. L’espèce humaine est capable de tout, du pire, mais aussi du meilleur. Finalement, notre appartenance au monde du vivant est quelque chose de prodigieux et d’encourageant. Il ne faut pas oublier que l’accès à la vie sociale, c’est-à-dire la coopération entre individus est une étape majeure dans l’évolution du vivant. Le succès de l’espèce humaine est basé sur des compromis entre les intérêts de l’individu et ceux du groupe. L’emphase mise aujourd’hui sur la compétitivité nous l’a fait perdre de vue : il était temps que la biodiversité nous rappelle l’importance égale de la coopération, de la solidarité. Donc la crise de la biodiversité est une chance pour l’espèce humaine de revoir et de recadrer son positionnement pour partir dans de nouvelles aventures qui nous fassent honneur.
Source: EVENE