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Le choix du rendez-vous se portera sur le service hospitalo-universitaire de l’hôpital Sainte-Anne, où ce médecin psychiatre est spécialisé dans le traitement des troubles anxieux et de l’estime de soi. « C’est mon activité de soignant qui est au centre de mon identité », analyse de sa voix douce et posée ce rugbyman qui a « raccroché ses crampons », mais reste un supporteur fervent du Stade toulousain.
Il exerce dans cet hôpital parisien depuis 1992, peu après avoir quitté Toulouse. « J’y ai vécu la mort de mon meilleur ami. Y rester m’était devenu douloureux. » En laissant derrière lui la ville rose, il rompt aussi avec une pratique de la médecine dans laquelle il ne se retrouve plus : «Surmené, débordé, il m’arrivait d’être heureux qu’un patient annule un rendez-vous, car cette pause dans mon emploi du temps me permettait de respirer et de rattraper mon retard : ce n’était pas normal ! »
Il réalise que cette pression quotidienne entraîne une perte d’empathie, incompatible avec son travail de thérapeute dans lequel il se refuse à se mettre en « pilote automatique ». « J’ai besoin de recharger régulièrement mes batteries pour avoir de la joie et conserver un élan, une disponibilité envers les autres », dit-il.
Son bureau ne laisse rien transparaître de la personnalité de son occupant, si ce n’est une simplicité quasi monacale. Un lit, un bureau impeccablement rangé, deux sièges, et des murs vides. « J’y suis très heureux. Dès mon arrivée, mes chefs de service m’ont permis de travailler comme je le souhaitais et de prendre mon temps avec les patients. L’équipe a aussi adopté mes méthodes atypiques pour traiter les personnes confrontées à des phobies sociales ou victimes de timidité maladive. » […]
La gentillesse est une nécessité absolue
Une hérésie pour ce vrai « gentil » qui commence tous ses courriels par : « J’espère que vous allez bien », et croit en la force de la douceur et de la compassion. « En tant que médecin, à mes yeux, la gentillesse est une nécessité absolue », explique-t-il. Une perception qui le place à mille lieues de la « neutralité bienveillante » prônée par les psychanalystes.
Loin des divans, la question religieuse occupe une large place dans l’existence de cet homme qui reconnaît vivre une « spiritualité bicéphale ». Le catholicisme, d’abord. Fils de militants communistes et athées, baptisé « par convenance sociale », il a reçu, dit-il, « le minimum syndical » de l’instruction religieuse.
Un désintérêt qui bascule lorsque son meilleur ami meurt dans ses bras lors d’un accident de moto. « J’avais 25 ans. J’ai alors fait ma première retraite dans le monastère bénédictin d’En-Calcat (Tarn). Ça a été un grand choc. J’ai pu constater que la vie nous distrait beaucoup de tout ce qui est essentiel. Dans le recueillement, je me souviens d’avoir été confronté à mes inquiétudes existentielles. J’y ai été très aidé par le père hôtelier de l’époque, le P. Denis, un homme extraordinaire. »
Une autre rencontre importante le rapprochera du catholicisme : celle de sa femme, issue d’un milieu pratiquant « avec une foi joyeuse et équilibrée ». « J’ai trouvé dans ce mouvement charismatique une vision du monde proche de mon travail. Dans ma belle-famille, on met en pratique sa foi, la générosité, l’engagement social, bien plus qu’on n’en parle. Je m’y suis ancré. »
Dans cette soif inépuisable de connaissances qui l’anime, il se plonge dans la Bible, assiste à des cours de théologie… Il est bouleversé par « l’incroyable clairvoyance émotionnelle de Jésus qui véhiculait un message d’amour à une époque bien plus violente que la nôtre ».
On peut avoir une foi catholique et une sensibilité bouddhiste
Le bouddhisme arrivera aussi dans sa vie par le biais d’une rencontre. Un hasard ? Pas si sûr. « Cette immense doctrine qui concerne la moitié de l’humanité me semblait sympathique, de loin. » Matthieu Ricard, écrivain, traducteur en français du dalaï-lama, lui a servi de guide et de modèle. « On peut avoir une foi catholique et une sensibilité bouddhiste, ce n’est pas incompatible. Peu à peu, je me suis imprégné des concepts d’impermanence, de l’ego comme illusion. Ils nous rappellent que tout passe, nos souffrances, notre existence ; et que le nier accroît nos désarrois. »
Autant d’ouvertures qui touchent l’homme et interpellent le médecin. Et qui le conduiront à s’intéresser à la méditation, transformée en outil de soin, à la fois dans le domaine de la prévention et comme arme thérapeutique supplémentaire pour lutter contre la douleur, la dépression et les troubles anxieux. Mais aussi, sur le plan personnel, parce que la pratique régulière de la méditation permet d’éviter la fameuse « usure compassionnelle ».
Lors d’une semaine consacrée au rapprochement entre bouddhisme et neurosciences, Christophe André, qui se décrit comme un simple « moine soldat » de la psychiatrie, côtoie le dalaï-lama dans sa résidence de Dharamsala. « Je ne suis pas dans l’admiration éperdue, mais je suis sensible à la façon dont il traite les autres, avec une convivialité, une intelligence et une gentillesse réelles. Pour moi, cela a été une vraie belle rencontre. »
Au palmarès des « psys » favoris des médias
Son parcours original, son succès éditorial, son charisme, et aussi ses domaines de prédilection (troubles anxieux et de l’estime de soi) le hissent au palmarès des « psys » favoris des médias. À force de fréquenter les feux de la rampe, ne craint-il pas de s’y brûler les ailes ?
« Les médias sont des outils fantastiques de diffusion du savoir et de la connaissance. Ils sont des relais de notre travail. Je continue à collaborer, même si aujourd’hui je dis non, plus souvent que oui. » Il y voit cependant au moins deux écueils : le premier est lié à la vulgarisation. « À la fin d’une émission consacrée à un de ces sujets, tout le monde peut se penser dépressif ou schizophrène. Mais certaines personnes vraiment concernées peuvent être incitées à demander conseil. »
Le second écueil ? « C’est l’idéalisation absolue. Les gens s’imaginent que parce que Rufo, Cyrulnik ou moi, nous passons à la télévision, nous sommes meilleurs que les autres. Mais beaucoup de bons thérapeutes n’écrivent pas de livre et ne passent pas à la télé ! D’ailleurs, le temps donné aux médias, c’est un peu du temps volé aux patients. » À mille lieues de « l’archétype de normalité » qu’il prétend être, Christophe André est sans doute, comme le titre d’un de ses livres, un homme «imparfait, libre et heureux».
Auteur: Marie Auffret-Pericone
Source: www.la-croix.com