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Jigmé Rinpoché — Maîtriser son esprit (partie 1)

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MAITRISER SON ESPRIT

partie 1

Bouddha_enseignement.gifAvant d’écouter un enseignement, il importe de tourner l’esprit vers quelque chose d’authentique et d’être conscient de l’attitude qui nous anime. Pour cela, on récite une prière adressée aux trois objets de refuge ou Trois Joyaux : le Bouddha, le Dharma et la Sangha.

Le Bouddha représente le personnage historique qui a parachevé les qualités inhérentes à l’esprit. Le terme « bouddha » renvoie surtout à l’aspect de sagesse qui est en nous, à ce potentiel qui ne demande qu’à s’épanouir : nous prenons conscience que notre esprit est non-séparé de l’esprit du Bouddha.

Le Dharma signifie le chemin. Ce sont tous les enseignements donnés par le Bouddha, qui permettent d’accéder à une compréhension très profonde du véritable sens de la nature de l’esprit. Ces enseignements nous indiquent l’attitude correcte à adopter dans toute activité.

La Sangha désigne l’ensemble des amis spirituels autour de nous. Il existe deux types de sangha, l’un ordinaire et l’autre extraordinaire.
La sangha ordinaire est constituée de tous les amis spirituels qui nous guident sur le chemin à travers leur expérience. La sangha extraordinaire est formée de tous les êtres qui ont déjà parcouru le chemin et parfaitement réalisé le sens de l’enseignement du Bouddha et la nature de l’esprit.

En second lieu, on développe la bodhicitta ou esprit d’éveil, c’est-à-dire l’attitude altruiste : l’esprit se tourne véritablement vers autrui afin que tout ce qu’on accomplit par le corps, la parole ou l’esprit œuvre pour le bienfait des êtres, alors qu’habituellement on est centré sur soi-même. La bodhicitta consiste à diriger son énergie vers les êtres et à ne plus être obnubilé par soi.
Enfin, on pratique le gourou-yoga. Le gourou-yoga se rapproche de la prière de refuge, car on s’ouvre à la grâce de tous les maîtres. Étant donné que notre esprit a en lui le potentiel de Bouddha, la pratique du gourou-yoga permet de réaliser cette fusion avec l’esprit pur.

Habituellement, on récite les prières en tibétain, mais quand on ne le peut pas, ce n’est pas un problème : le principal est de comprendre le sens de ces prières et de tourner son esprit vers le refuge et les Trois Joyaux en pensant que l’enseignement reçu sert non seulement notre bienfait, mais surtout et avant tout celui de tous les êtres.

MARIKPA OU L’IGNORANCE

II est nécessaire, tout d’abord, d’avoir une véritable compréhension de ce que nous sommes et de la nature intime de bouddha. Tous les êtres sans exception, notamment les humains, ont des qualités intrinsèques de sagesse et de compréhension qu’il suffît de laisser réémerger. L’aspect de sagesse est déjà présent, mais il est temporairement recouvert par marikpa. Ce terme signifie : être dans l’état d’ignorance, ne pas être conscient des pensées qui nous animent ni du sens de nos actions. Pour réaliser la nature de bouddha, on apprend à devenir conscient de l’état d’ignorance afin de le transformer.

Tous les enseignements du Bouddha ont pour objectif premier d’apporter un éclairage sur ce qu’est l’ignorance, sur ce qu’elle implique et sur la manière d’y remédier. Beaucoup d’enseignements expliquent que le plus important est de prendre conscience de ce qui se manifeste dans l’esprit, pour ainsi comprendre les conditions où sont plongés tous les êtres, dont nous-même. Si nous entreprenons une action, il s’agit de l’exécuter en connaissance de cause.

Les enseignements du Bouddha conseillent de s’entraîner sans rechercher de solution extérieure. Nous avons trop souvent tendance à penser que l’extérieur est l’unique source d’intérêt, et notre attention s’y porte naturellement pour en recevoir des bienfaits. Cela est vrai en partie, mais il faut voir que l’essentiel est en nous-même et que c’est à notre propre esprit de s’entraîner. Si l’on comprend que toutes les solutions sont déjà présentes en nous, on peut exercer l’esprit à prendre plus profondément conscience de sa propre nature, à être de plus en plus présent à lui-même. Pour remédier à la confusion qui naît de cette habitude de sans cesse porter l’attention vers l’extérieur, on essaie de se tourner vers soi-même et d’observer l’état dans lequel on se trouve. L’esprit est semblable à un éléphant sauvage qu’il faut progressivement apaiser et maîtriser, de façon à canaliser ses grandes capacités dans un sens positif. L’esprit est vagabond. En l’observant, on prend conscience de la situation dans laquelle on se trouve et des émotions perturbatrices, sources de tension et de confusion à l’intérieur de nous.

L’ignorance dont il est question ici ne doit pas être entendue dans le sens de stupidité ou de manque d’éducation : elle renvoie à un état qui peut être clair en soi, mais dont on n’a pas conscience.

Plutôt que de parler d’ignorance, on devrait dire « le fait de ne pas avoir conscience ».

La plupart du temps, nous sommes dans un état d’esprit limité, et pourtant l’esprit peut dépasser ces limites car il possède une dimension illimitée. Ce
manque de conscience de l’état illimité de l’esprit nous plonge dans l’ignorance. L’esprit est très actif pendant la journée ou la nuit, mais une dimension de liberté est perdue à cause du manque d’espace entre les pensées ; l’esprit en lui-même est clair, mais temporairement enfermé dans certaines limites. Au début, on ne sait même pas qu’on possède ce potentiel. Une fois qu’on l’a découvert, on tente d’en prendre véritablement conscience, mais on se heurte à la difficulté de trouver l’espace permettant une telle prise de conscience car l’esprit est toujours préoccupé par des pensées : en regardant à l’intérieur, on s’aperçoit qu’un flot incessant de pensées nous bloque continuellement.

Il est très important de retrouver cet espace qui permet de s’ouvrir aux qualités de bouddha. Pour cela, on utilise la discipline ; et de nouveau apparaît l’image de l’éléphant à dompter. La discipline nous permet d’acquérir la maîtrise de l’esprit, car elle nous apprend à utiliser l’esprit de manière à être conscient de tous les actes que l’on entreprend.

La discipline peut être envisagée selon deux aspects. L’aspect ordinaire consiste à imposer des règles à une personne ayant un comportement erroné, l’autre aspect représente un engagement de conduite personnelle en accord avec ses propres souhaits. Cette harmonie sert à retrouver l’espace intérieur et à prendre conscience de chaque instant, car si l’on est physiquement présent mais que l’esprit n’est pas là, on se trouve dans l’incapacité de contrôler les situations, ce qui représente une entrave pour le développement de l’aspect de sagesse. On doit donc entraîner l’esprit à être là, ici et maintenant, et l’exercer à ne pas vagabonder sans véritable objectif. Nous éprouvons tous la sensation de posséder une certaine lucidité, tout en partageant le sentiment qu’effectivement existe une dimension plus vaste de compréhension et de connaissance, sentiment qui nous pousse à tenter d’aller plus loin. La méconnaissance des moyens à utiliser pour atteindre ce but conduit à la déception et à la perturbation de l’esprit. La clé du chemin vers la connaissance et la sagesse consiste à retrouver un espace intérieur et à établir l’esprit dans la conscience de soi.

L’exemple d’un étang un peu agité est souvent utilisé. Sous l’influence du mouvement, des particules de boue troublent l’eau et le fond n’est plus visible ; pourtant, même trouble, l’eau possède toujours la qualité de limpidité. Cette qualité de l’eau disparaît temporairement et ne s’exprime plus dans la mesure où beaucoup d’impuretés sont en suspension. Il en va de même pour l’esprit troublé par la confusion. L’esprit a une grande capacité de clarté, mais sous l’influence de l’agitation intérieure, la lucidité ne s’exprime plus. Afin que cette qualité revienne, l’esprit doit être apaisé, tout comme l’eau boueuse doit reposer afin de redevenir limpide.

En retrouvant l’espace et en prenant conscience de soi, on peut s’ouvrir à la dimension de lucidité de l’esprit. Quantité de pensées sont présentes en nous. Nous devons prendre conscience qu’elles ont une dimension de sagesse et une dimension illusoire : des certitudes et des doutes se mélangent tout à la fois dans l’esprit, ce qui ne laisse pas beaucoup de place pour un espace à travers lequel regarder et être à l’aise.

En premier lieu, le Bouddha a enseigné de rechercher l’espace qui permet d’accéder à soi-même et de s’entraîner à percevoir sa propre nature de bouddha. Ainsi se crée une habitude qui peu à peu remplace l’ancienne habitude dans laquelle nous n’avions pas assez d’espace. Cela ne veut pas dire que nous sommes différents ou que notre comportement est modifié d’une façon radicale, car nous vivons de la même manière. Mais, au lieu de manquer d’espace, notre capacité de regard et de conscience s’accroît.

LA MÉDITATION

Afin de créer cet espace, il est nécessaire d’entraîner l’esprit. Il existe un moyen pour cela : la méditation, fondement de la découverte de soi-même. Méditer en tibétain se dit Gom, qui signifie « se familiariser », ce qui ne veut pas dire créer quelque chose d’artificiel ou travailler avec son imagination, mais au contraire s’établir dans un état naturel où les qualités sont présentes, sans rien changer, en demeurant tel quel. Dans cet état, on ne porte aucun jugement sur ce qui se manifeste ; on demeure simplement présent. C’est un état naturel, mais très difficile à retrouver et dans lequel il n’est pas facile de demeurer car pensées et concepts s’élèvent sans cesse. Il faut se rendre compte que l’idée qui émerge dans l’esprit est un mouvement naturel de l’esprit ; mais si l’on crée artificiellement cette idée, on s’éloigne de cet état naturel de détente. C’est une chose à laquelle il faut veiller, sans empêcher les pensées d’émerger, car cette émergence n’est pas en soi négative ; le tout est de prendre conscience de ce mouvement.

On essaie de s’ouvrir à la nature de son esprit, sans porter de jugement. Quand apparaît une pensée ou dès qu’il y a le moindre changement dans l’esprit, on considère cela comme un mouvement naturel, sans juger : on prend simplement conscience du mécanisme qui se produit. Plus on prend conscience de l’idée et du concept élaboré a partir de l’idée, plus on a conscience de ce mécanisme, et plus on peut aller en profondeur afin de connaître véritablement tous les mécanismes de l’esprit.

Il existe des méthodes pour retrouver cet espace et prendre conscience de chaque instant que l’on vit, de chaque mouvement et chaque vague de l’esprit. Quels que soient les noms donnés aux différents types de méditation, ils permettent d’établir un état de calme dans lequel l’esprit est parfaitement clair, lucide et apaisé. On s’aperçoit qu’une très forte « énergie » est présente dans cet état, qui diffère de l’état de calme ordinaire. Un état ordinaire de calme et de détente nous conduit plutôt à la torpeur et au sommeil, ou nous emporte dans des rêveries. Là, il s’agit d’un état de calme qui est véritablement le calme de la présence. Ce n’est pas quelque chose que l’on crée, le potentiel est déjà là et on le retrouve de façon naturelle; on le laisse émerger et on en prend conscience.

Le fait de s’établir dans un état de calme permet également de percevoir l’activité ordinairement relative de l’esprit : nous nous comportons de façon inappropriée, en détournant les qualités présentes en notre esprit. Lorsque nous méditons et que nous sommes véritablement ouverts et apaisés, nous pouvons nous rendre compte des qualités présentes en nous et de cette énergie dont nous parlions précédemment. On voit aussi comment cette énergie est en fait totalement ligotée et transformée par le désir et l’attachement, par l’idée qu’on a de soi-même, par les émotions perturbatrices, par la séparation qu’on établit entre soi et autrui. Lorsqu’on parle de l’orgueil, il ne s’agit pas uniquement de l’orgueil manifeste, mais de quelque chose de beaucoup plus subtil et difficile à percevoir. On peut aussi examiner la jalousie, qui n’est pas nécessairement ce qui se manifeste en tant que jalousie dans notre vocabulaire ordinaire. Là encore, cela peut être beaucoup plus subtil : on parvient à prendre conscience des racines de ce qui peut-être surviendra sous la forme de la jalousie. Lorsqu’on regarde un arbre, on se dit que c’est un arbre. Lorsqu’on regarde une racine, on n’a pas forcément l’idée de l’arbre dans tous ses détails, et pourtant c’est de la racine que procède l’arbre. Et si nous regardons notre esprit avec attention, nous y découvrons les racines qui sont la source d’émotions conflictuelles telle que la jalousie. Il ne faut pas oublier que ces racines sont également source de qualités, car l’énergie de l’esprit qui se manifeste ordinairement sous forme d’émotions conflictuelles possède aussi un aspect de sagesse. L’émotion est ordinairement source de conflit ou de confusion, mais une fois reconnue, elle acquiert une dimension de sagesse. Il est très important d’avoir toujours présente à l’esprit cette double potentialité des choses. Une émotion n’est pas forcément quelque chose de négatif, car elle possède un aspect qui est au-delà de l’émotion ordinaire : c’est l’aspect de sagesse. Lorsque l’esprit est clair, il n’est plus nécessaire de passer son temps ainsi à tout examiner, car les choses deviennent évidentes.

Pour pratiquer la méditation, l’esprit doit être libre de toute attente. Il ne faut pas vouloir méditer pour obtenir telle ou telle chose. Trop souvent, lorsque nous entreprenons quelque chose, nous en attendons un résultat ; or, le simple fait d’attendre ce résultat alimente encore davantage le flot des pensées. Dans la méditation, il s’agit de s’établir dans un état naturel sans attendre quoi que ce soit. Il ne faut pas non plus qu’il y ait de doutes quant à ce que l’on entreprend. Ne pas avoir de doutes signifie ne pas porter de jugement sur ce que l’on fait – ne pas chercher à savoir si l’on est en train de bien faire ou de mal faire, etc. – et demeurer dans un état entièrement naturel. Dès lors, l’esprit s’apaise et s’éclaircit de lui-même, sans qu’il n’y ait rien à faire. Nous avons des idées sur tout, même sur la méditation. Si tel est le cas, nous risquons de tomber dans l’extrême qui consiste à porter un jugement et à vouloir corriger ce nous sommes en train de faire. Et, au lieu de nous ouvrir à un état naturel, nous créons quelque chose d’artificiel. La méditation doit naître naturellement sans que nous portions de jugement, sans que nous attendions quoi que ce soit. Tout doit être accepté, tout doit être équilibré ; on demeure parfaitement équanime vis-à-vis de tout ce qui se passe, développant simplement la conscience, instant par Instant, de ce qui se manifeste dans l’esprit. Voilà ce qu’on nomme Gom en tibétain, ou la méditation. Il ne faut pas non plus se figer ou se bloquer sur quoi que ce soit. Si l’on attache un chien à un poteau, infailliblement le chien voudra s’en aller, car il est attaché. Si l’on force l’esprit à demeurer stable, en le ligotant et le maintenant à toute force dans cet état de stabilité, il voudra partir à droite et à gauche, ce qui créera des tensions. Si, par contre, on n’oblige pas le chien ou l’esprit à rester là, aucun problème ne se pose : l’esprit n’a plus tendance à fuir quelque chose qu’on veut lui imposer. Tout se passe de façon détendue, et l’esprit s’établit dans son état naturel sans aucune tension. Il faut donc être très attentif à ne pas s’enfermer dans des contraintes. Au niveau du corps, de la parole et de l’esprit, tout doit se faire dans une très grande détente. On médite, en prenant le souffle comme support. La respiration reste naturelle, mais se situe plus en profondeur. Le corps est complètement détendu, tout comme la parole et l’esprit. Pour éviter les tensions au niveau de l’esprit, il faut être attentif à ce qui se déroule au niveau du corps, car les deux sont très liés. Nous restons simplement présents au souffle qui sort et entre en nous. Nous posons notre esprit sur ce souffle, de façon détendue et non figée. On pense souvent que la concentration est comme une action, source de tension et de stress. Si l’on est trop concentré, même au niveau de la respiration tout est figé et solidifié. On essaye de retrouver un état plus large, avec beaucoup plus d’espace, où tout s’établit de façon naturelle et profonde. L’esprit se pose sur ce mouvement de la respiration. Nous nous ouvrons à un état de lucidité et de clarté et prenons conscience de tout ce qu’il y a, tout en restant présents à la respiration, sans nous laisser emporter à droite et à gauche, et en veillant également à ce que cette détente ne soit pas confondue avec de la torpeur. Lorsqu’on se détend et qu’il n’y a pas la dimension de lucidité, on risque de sombrer dans le sommeil et la torpeur, et ceci n’est pas la méditation telle qu’on l’entend ici. Il faut aussi être attentif à ne pas avoir l’esprit embrouillé par toutes sortes de pensées qui ne feront que l’obscurcir. On ne laisse pas non plus l’esprit vagabonder et suivre les pensées, ou s’enfoncer dans la rêverie, car là encore il ne s’agit pas de la méditation permettant de retrouver l’espace de notre nature, mais bien plutôt de l’aspect illusoire.

LA PRÉCIEUSE EXISTENCE HUMAINE

En tibétain, Bouddha se dit Sangyé. Ces deux syllabes ont un sens précis. La syllabe Sang signifie qu’il n’y a plus d’obscurcissement, que tout est parfaitement clair, qu’on est purifié de l’ignorance. Gyé signifie que sont parachevées les qualités de sagesse et de connaissance. Tous les êtres ont cette nature de Bouddha ; il convient donc de la laisser s’épanouir pour qu’émergent les qualités inhérentes à l’esprit. Pour cela il est bien de suivre un chemin, que l’on nomme le Dharma. C’est la voie qui nous conduit à cet épanouissement. Elle se trouve dans tous les actes de la vie quotidienne, dans toutes les attitudes de l’esprit, dans la compréhension que l’on a de ce qui se passe en nous et autour de nous. Cette compréhension peut être développée à des niveaux différents, mais si l’on souhaite aller très avant dans cette découverte, on se tourne vers la méditation. C’est par la méditation qu’on s’ouvre de façon intime et profonde à ces qualités et à cette nature de bouddha.

Beaucoup d’enseignements font référence au « précieux corps humain ». Il s’agit d’un état doté de nombreuses possibilités, et d’une grande capacité de progrès dans la compréhension des qualités de l’esprit. La précieuse existence humaine nous permet de progresser, pour peu que nous tournions notre esprit vers l’éveil. Dans cette démarche d’évolution, il y a deux niveaux ; un niveau absolu ou ultime, et un niveau plus relatif.

Au niveau absolu, le précieux corps humain nous donne la possibilité d’accéder à la véritable réalisation de la nature de notre esprit. A un niveau plus relatif, cette découverte intérieure nous permet d’agir pour le bienfait d’autrui. Avec une compréhension vaste et lucide de ce qui se manifeste dans notre esprit, nous sommes à même d’agir pour le bienfait de tous les êtres autour de nous.

On ne peut pas garder ce type de connaissance pour soi ; il faut au contraire l’utiliser au profit de tous. Pour ce faire, il faut générer encore et encore la bodhicitta. On accède ainsi à un état de connaissance de plus en plus large et profond, qui nous permet d’agir pour le bienfait de tous les êtres. C’est pour cette raison que l’existence humaine est très précieuse, car d’ores et déjà nous possédons la capacité et les moyens d’agir de façon tout à fait positive. Et pour peu qu’on se souvienne de ces qualités et de la bodhicitta, on agit sans se préoccuper de soi-même, allant toujours plus avant de manière a être bénéfique pour soi et pour tous les êtres sans exception. Générer la bodhicitta aux niveaux absolu et relatif peut être envisagé de façon très générale, dans l’attitude ou dans l’action, mais il faut aussi aller dans le détail et voir que tout ce qu’on fait permet d’entraîner l’esprit à la bodhicitta, quelles que soient les circonstances dans lesquelles l’action est entreprise. On entraîne l’esprit à développer une motivation correcte, pour lui-même mais aussi pour le résultat qui découle de cette action, qui doit être en harmonie avec notre esprit et avec la situation qui nous entoure. Il n’est pas question de distinguer tel ou tel moment ou tel ou tel type d’action : on peut développer la bodhicitta vis-à-vis de sa famille, dans son travail, au cours d’une activité domestique. Quelle que soit l’action, elle représente une opportunité de développer la bodhicitta, d’être conscient de notre attitude lorsque nous entreprenons une action.

Qu’est-ce qui nous anime ? Qu’est-ce qui nous motive ? Que sommes-nous en train de faire ? Quel résultat découlera de cette action?
Cette prise de conscience de toutes les phases d’une activité doit nous permettre d’accéder à des actions justes, non teintées ou souillées d’impuretés, mais au contraire parfaitement pures. Ceci doit être quelque chose de régulier, de tous les instants, de parfaitement limité.

LE CYCLE DES EXISTENCES

Lorsqu’on s’engage dans une pratique, c’est avec l’intention de développer une démarche spirituelle et d’approfondir la connaissance de l’esprit. Cette démarche doit inclure tous les êtres : notre motivation première doit être d’aider tous les êtres à se libérer de la souffrance, afin qu’ils s’ouvrent à un état de paix et de joie. Dans le bouddhisme, on parle de se libérer du samsara. Samsara veut dire le cycle des existences ; il s’apparente à un cercle dans lequel nous tournons sans fin. Nous sommes « enfermés » dans ce cercle à cause de notre ignorance, et puisque nous ne sommes pas conscients des actes que nous entreprenons, ceux-ci entraînent des résultats qui sont le fruit de l’ignorance. Il existe une loi, la loi du karma, suivant laquelle tout acte entraîne un résultat. Et si nous agissons sous l’emprise de l’ignorance, il est évident que le fruit de notre action est aussi sous l’emprise de l’ignorance ; ce n’est donc pas quelque chose de véritablement positif, tendant à nous libérer.

Puisque nous sommes ainsi en train d’errer dans le samsara, il faut tenter d’en sortir et de progresser, il faut apprendre à voir les conditions dans lesquelles nous sommes placés. Le cycle des existences ne doit pas être perçu comme étant complètement mauvais et rempli de souffrances. C’est un état dans lequel existent souffrance et joie, mais on y est enfermé et en état de dépendance. Pour s’en affranchir, il faut comprendre la nature du samsara et regarder quelles sont véritablement les difficultés et les circonstances, quelles sont les causes, qui provoquent la souffrance, quelles sont les conditions dans lesquelles se trouvent tous les êtres qui errent dans ce cycle. Lorsqu’on s’engage sur un chemin spirituel, la motivation première est la volonté de contribuer à ce que tous les êtres se libèrent de ce cycle de l’ignorance et de la souffrance. Il s’agit d’un souhait très profond. On qualifie également le samsara d’océan de souffrance sur lequel on est ballotté. Vouloir aider les êtres à s’en libérer signifie vouloir les aider à rejoindre une Terre Pure qui servira de havre de paix.

Il ne faut pas faire une distinction trop définitive entre le samsara et le nirvana, ni penser que le samsara n’est que souffrance alors que d’un autre côté existe le nirvana qui n’est que joie. Le samsara est un état dans lequel il est possible d’accéder à la joie et à un certain bonheur, mais ces états sont temporairement voilés. Il ne faut pas croire non plus que le samsara et le nirvana sont des mondes qui existent quelque part à l’extérieur de nous. L’état de bonheur ultime et l’état du cycle des existences correspondent simplement à notre état d’esprit ; ce ne sont pas des mondes extérieurs.
Il faut aussi bien comprendre ce qu’est le karma, Il s’agit d’une loi infaillible correspondant au fait que chaque action entraîne une conséquence. Le karma ne doit pas être regardé comme une sorte de jugement rendu par quelqu’un d’extérieur, qui considérerait que puisque nous avons fait ceci nous méritons cela. Ce n’est pas du tout ainsi que ça se passe ; c’est quelque chose de beaucoup plus naturel.

Tout acte entraîne naturellement un résultat, mais celui-ci ne doit pas être compris comme étant figé ou définitif. En effet, il est toujours possible d’évoluer en changeant la direction que nous prenons et par là-même le sens de notre vie. On est tenté de se dire : « Je m’engage dans cette voie et je fais ceci parce que c’est mon karma ». Ce faisant, on se fige dans une situation. C’est une solution erronée, car à chaque instant nous possédons la capacité de choisir et la possibilité de changer le sens que nous donnons à notre vie. Le karma est effectivement une loi, mais ce n’est en aucun cas un système figé à l’intérieur duquel nous ne pouvons rien faire.

LA SAISIE DUALISTE

Le cycle des existences est donc entièrement induit par l’ignorance, par le fait que nous ne sommes pas conscients de l’endroit où nous nous trouvons, de ce que nous faisons, de qui nous sommes, etc. Il est important de s’interroger sur la source de cette absence de conscience. On se rend très vite compte que la racine de l’ignorance provient du fait que nous sommes attachés à l’idée d’un moi ; c’est ce qu’on nomme la saisie égocentrique. Celle-ci est véritablement à l’origine de tous les problèmes. Croire à une identité qui existerait indépendamment de tout autre chose conduit à s’accrocher à deux idées : l’idée de moi et l’idée de l’autre. De là découle tout le système dont est issu le samsara, et dans lequel nous nous trouvons enfermés. L’absence de conscience ou ignorance entraîne Timouk : nous avons une certaine compréhension et conscience des choses, mais très légère et grossière, difficile à intégrer et à utiliser. A partir du moment où l’on n’a pas véritablement conscience des choses, on est sous l’influence de l’attachement et du rejet : on est attiré par certaines choses et on en rejette d’autres. Attachement signifie : aimer certaines choses, certains amis, certains lieux. Nous créons ainsi un territoire mental qui nous plaît et nous attire. A l’opposé, nous repoussons les personnes que nous n’aimons pas et les circonstances que nous trouvons désagréables. Nous créons là encore une sorte de territoire mental dans lequel nous sommes enfermés. Le samsara est le fruit de tout cela. Nous avons créé des mondes dans lesquels nous sommes soumis à de nombreuses tensions et souffrances. Il est très important d’avoir conscience de la cause de ce samsara, de repérer la source de l’ignorance, car c’est ainsi que nous pouvons véritablement progresser.

Timouk signifie que l’obscurité règne dans notre esprit : tout en étant capables, de percevoir un certain nombre de choses, nous ne sommes pas à même de nous en servir. Il faut donc éclaircir cela, et pour ce faire, il est bon de développer la bodhicitta ou esprit altruiste. Le fait de se tourner non plus constamment vers nous-mêmes mais vers les autres nous fait prendre conscience des conditions dans lesquelles se trouvent les êtres. On essaye de développer cette pensée altruiste dans l’action, et peu à peu, la notion de « moi et l’autre » diminue. La distance entre moi et l’autre va constamment en s’amenuisant, car prenant conscience des conditions dans lesquelles nous nous trouvons et de celles dans lesquelles se trouvent les autres êtres, nous nous rendons compte qu’elles sont similaires ; reconnaissant nos besoins, nous nous apercevons que les personnes qui sont en face de nous ont exactement les mêmes. Nous comprenons que nous sommes tous semblables. Peu à peu, la dualité diminue et Timouk, l’obscurcissement, se dissipe ; on comprend mieux ce qu’il convient de développer et ce qu’il convient d’abandonner.

Nous vivons avec la pensée que les problèmes viennent de l’extérieur : nous pensons que les pensées qui apparaissent et les désirs qui se manifestent sont provoqués par l’extérieur. On se dit finalement qu’en changeant d’endroit on se sentira beaucoup plus libre et que les problèmes disparaîtront. Malheureusement, cela ne se passe pas ainsi, et partout où nous allons, nous nous retrouvons plongés dans les mêmes circonstances et les mêmes états d’esprit. Il faut bien constater que tout provient de l’intérieur : nous créons nous-mêmes les situations et les états d’esprit dans lesquels nous sommes plongés. Du fait que nous sommes perpétuellement préoccupés par nous-mêmes, nous projetons toutes les causes vers l’extérieur sans nous apercevoir que notre esprit est à l’origine de toute chose. Dans les enseignements, il est fréquemment fait mention de la nécessité d’aller plus avant dans l’observation des choses et d’écouter de manière ouverte. Nous avons l’impression de tout savoir, mais nous ne sommes pas vraiment attentifs à l’écoute ou au regard que nous portons sur les choses, et nous restons à un niveau de compréhension superficiel. Si l’on écoute et regarde véritablement, on se rend compte que la cause de certaines perturbations, des tensions, des désirs, etc, est en nous-mêmes et non à l’extérieur. On comprend alors que, puisque tout provient de notre état d’esprit, le samsara et le nirvana ne dépendent que de l’esprit et ne sont pas des mondes extérieurs. II faut savoir que tout ce que l’on voit, tout ce que l’on ressent, tout ce qui nous anime dépend uniquement de notre état de conscience. Cette nécessité d’une démarche visant à approfondir l’écoute nous fait revenir tout naturellement à la méditation, puisque méditer permet d’être plus présent à tout ce qui s’élève à l’intérieur de l’esprit.

La méditation est une démarche indispensable afin de véritablement voir la nature de tout cela. Si l’on perd une petite pierre précieuse au milieu d’un nuage de poussière, le meilleur moyen de la retrouver est d’attendre que la tempête s’apaise et de laisser la poussière retomber ; on a ensuite quelque chance de retrouver la pierre. Il en va exactement de même pour l’esprit. Si jamais nous sommes dans la confusion, très agités, passant notre temps à parler, si nous sommes ballottés à droite et à gauche, nous ne pouvons pas percevoir les choses. Il faut créer un espace, il faut laisser s’installer le calme et la détente, afin que s’établisse une certaine clarté nous permettant d’être véritablement présents à ce qui s’élève dans notre esprit.

Lorsqu’on parle d’un espace, on parle d’un lieu de méditation qui peut être calme, mais on parle aussi d’un espace à l’intérieur même de l’esprit : il s’agît de créer un espace intérieur pour que s’établissent la détente et le calme. Calme ne signifie pas « absence d’activité », mais « être relaxé afin que toute activité coule dans la détente ». Une fois qu’on est établi dans cet état, la vigilance se fait jour et la lucidité apparaît ; dès lors, on est beaucoup plus présent à tout ce qui se manifeste.

Cette conférence comprend deux autres parties :
Maîtriser son esprit – partie 2
Maîtriser son esprit – partie 3

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