La prise de conscience de soi a de nombreux sous-niveaux différents. Trois d’entre-eux sont d’importance particulière. Ce sont la prise de conscience du corps, la prise de conscience des sentiments, et la prise de conscience des pensées.
La prise de conscience du corps et de ses mouvements.
Dans les soûtras, le Bouddha encourage ses disciples à être constamment conscients du corps et de ses mouvements. On devrait prendre conscience du fait de marcher, d’être assis, debout ou couché. On devrait prendre conscience de la position de nos mains et de nos pieds, de nos mouvements, de nos gestes, etc. Selon cet enseignement, si l’on a pris conscience, on ne peut rien faire de manière hâtive, confuse ou chaotique. Nous avons un merveilleux exemple de cela avec la cérémonie du thé japonaise. A première vue, la cérémonie du thé japonaise tourne autour d’un acte très ordinaire, que nous faisons tous les jours : faire et boire une tasse de thé. C’est quelque chose que nous avons tous fait des centaines et des milliers de fois. Comment cela est-il fait dans la cérémonie du thé japonaise ? Cela est fait d’une façon très différente, car cela est fait avec prise de conscience.
Avec prise de conscience, la bouilloire est remplie d’eau. Avec prise de conscience, elle est mise sur le feu de charbon de bois. Avec prise de conscience on s’assied et on attend que l’eau bouille, écoutant le frémissement de l’eau et des bulles, et regardant danser les flammes. Enfin, c’est avec prise de conscience que l’on verse l’eau bouillante dans la théière, avec prise de conscience que l’on verse le thé, qu’on l’offre, et qu’on le boit, observant pendant tout ce temps un silence complet. D’un bout à l’autre, c’est un exercice de prise de conscience qui représente l’application de la prise de conscience aux choses de la vie quotidienne. Cette attitude, nous devrions l’avoir dans toutes nos activités. Elles devraient toutes être conduites sur le même principe que la cérémonie du thé japonaise, tout étant fait avec prise de conscience et attention, et donc avec tranquilité, calme et beauté, ainsi qu’avec dignité, harmonie et paix.
Mais si la cérémonie du thé japonaise représente un certain niveau de prise de conscience dans la vie quotidienne, et un certain type de culture spirituelle — celle du bouddhisme d’Extrême-Orient, et en particulier du Zen —, quelle cérémonie ou institution analogue y a-t-il qui représente l’attitude de l’Occident aujourd’hui ? Quelle chose avons-nous, dans laquelle transpire tout l’esprit de notre culture commerciale ? Après avoir retourné cette question dans mon esprit, j’ai décidé que ce qui était caractéristique de notre culture était le repas d’affaires. Durant un repas d’affaires vous essayez de faire deux choses à la fois : vous essayez de prendre un bon repas, et vous essayez de conclure une bonne affaire. Ce genre de comportement, où l’on essaie de faire deux choses contradictoires à la fois, est tout à fait incompatible avec une véritable, réelle et profonde prise de conscience. C’est aussi très mauvais pour la digestion.
La prise de conscience du corps et de ses mouvements aura pour effet, si elle est pratiquée continuellement, de ralentir ces mouvements. Le rythme de la vie deviendra plus régulier. Tout sera fait plus lentement et délibérément. Mais cela ne veut pas dire que l’on fera moins. Penser cela est une erreur. La personne qui fait tout lentement parce qu’elle le fait avec prise de conscience et délibération peut peut-être faire plus que celle qui donne l’impression d’être très occupée parce qu’elle court toujours à droite et à gauche et qu’elle a de nombreux papiers et dossiers sur son bureau, mais qui en fait n’est pas occupée mais confuse. Une personne réellement occupée fait les choses calmement et méthodiquement, et comme elle est pleine d’attention et ne perd pas de temps en futilités et en agitation, à long terme elle accomplit en fait davantage.
Prise de conscience des sentiments.
Avant tout, la prise de conscience des sentiments correspond à la prise de conscience de l’état dans lequel on est : un état heureux, triste, ou intermédiaire — terne, gris, neutre. En prenant plus conscience de notre vie émotionnelle nous constatons que les états émotionnels défavorables — ceux qui sont liés à l’avidité, à la haine ou à la peur — tendent à être résolus, tandis que les états émotionnels favorables — liés à l’amour, à la paix, à la compassion et à la joie — tendent à s’affiner. Si, par exemple, nous sommes par nature un peu emportés et enclins à la colère, alors en développant la prise de conscience des sentiments nous allons commencer par prendre conscience de nos émotions coléreuses une fois que nous avons été en colère. Avec un peu de pratique nous allons prendre conscience que nous sommes en colère. Et avec un peu plus de pratique nous allons prendre conscience que la colère est sur le point d’apparaître. Si, ainsi, nous continuons à appliquer la prise de conscience à notre vie émotionnelle, les états émotionnels défavorables comme la colère vont finir par s’apaiser, ou au moins à être mis sous contrôle.
Prise de conscience de la pensée.
Si on leur demande soudain : « A quoi pensez-vous en ce moment ? », la plupart des gens doivent confesser qu’ils ne savent pas. C’est parce que, souvent, nous ne pensons pas réellement, nous laissons simplement nos pensées aller à la dérive dans notre esprit. Nous n’en prenons pas clairement conscience ; nous ne sommes que vaguement conscients de nos pensées, d’une façon terne, comme dans la pénombre. Il n’y a pas de pensée dirigée. Nous ne décidons pas de penser à quelque chose, et ensuite pensons réellement à cela. Les idées flottent dans notre esprit d’une manière vague, lâche et nébuleuse. Elles entrent en flottant et elles sortent en flottant, parfois simplement tournant, roulant et tourbillonnant dans notre esprit.
Nous devons donc apprendre à regarder, à chaque instant, d’où viennent les pensées et où elles vont. Si nous faisons cela nous verrons que le flux de pensées diminue, et que le bavardage mental qui est sans cesse présent s’arrête. Finalement, si nous persistons assez longtemps dans cette prise de conscience des pensées, l’esprit devient à certains moments — durant certains pics de méditation — complètement silencieux. Toutes les pensées discursives, toutes les idées et tous les concepts s’effaceront, et l’esprit restera silencieux et vide, bien qu’en même temps plein. Ce silence, ce vide de l’esprit, est bien plus difficile à réaliser et à expérimenter que le simple silence de la parole ; mais c’est à ce point, quand du fait de la prise de conscience l’esprit devient silencieux et les pensées s’évanouissent, ne laissant derrière elles que l’attention et la conscience pures et claires, que commence la vraie méditation.
Ces trois sortes de prise de conscience de soi — la prise de conscience du corps et de ses mouvements, la prise de conscience des sentiments et des émotions, et la prise de conscience des pensées — devraient être pratiquées, nous dit-on, tout le temps, quel que soit ce que nous faisons. Tout au long de la journée et même, avec quelque pratique, de la nuit — même durant les rêves — nous devrions continuer à prendre conscience. Si tout le temps nous prenons ainsi conscience : conscience de la position de notre corps, de notre façon de poser le pied ou de lever le bras ; conscience de ce que nous disons ; conscience de nos sensations, que nous sommes heureux, tristes, ou neutres ; et conscience de ce que nous pensons, que cette pensée soit dirigée ou non — si tout le temps nous prenons conscience de cette façon, pour la totalité de notre vie si possible, alors nous verrons que graduellement et imperceptiblement, mais néanmoins sûrement, cette prise de conscience transmutera et transformera tout notre être, tout notre caractère. D’un point de vue psychologique, la prise de conscience est l’agent de transformation le plus puissant que nous connaissions. Si nous chauffons de l’eau, l’eau se transforme en vapeur. Si, d’une façon similaire, nous appliquons la prise de conscience à tout contenu psychique, ce contenu est affiné et sublimé.
Par Urgyen Sangharakshita
Source : Centre Bouddhiste de l’Ile de France