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Inde — Un bûcher funéraire plus écolo

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18.01.2010

Fini les fagots, place à la bouse de vache. Dans certaines régions de l’Inde, le rituel hindouiste de la crémation des morts s’effectue désormais avec ce combustible bien plus abondant que le bois, témoigne Down to Earth.

Une marche funéraire au-dessus du Gange, en mars 2005
Une marche funéraire au-dessus du Gange, en mars 2005

Par une soirée d’août, dans le district de Darbhanga [Etat du Bihar, dans le nord de l’Inde], des hommes s’affairent sur un bateau. Ils entassent dans un chaudron de terre cuite attaché à la proue des pains de bouse et de l’herbe sèche. Puis ils y introduisent un cadavre humain. Ils arrosent le tout de carburant et y mettent le feu. Une fumée monte dans le ciel. Ce chaudron est un bûcher funéraire. Le bois se faisant rare, c’est de cette façon que les personnes qui vivent sur des bateaux durant les crues de la rivière Bagmati procèdent à la crémation de leurs proches.

Depuis quelques années, l’incinération au moyen de déjections animales s’est répandue dans le district. Nombreux sont ceux qui préfèrent au bois ce combustible bon marché, disponible en quantité dans la plupart des foyers en milieu rural.

Le terrain crématoire [espace en plein air réservé à la crémation, dans la religion hindouiste] de la région de Kusheshwarasthan, par exemple, propose désormais des pains de bouse pour les bûchers funéraires. Chaque pain de forme cylindrique pèse 1,5 kilo. Il en faut environ 200 kilos pour brûler un corps. Dans une fosse circulaire, les cylindres sont disposés en couches, entre lesquelles repose le cadavre. On les tasse bien dans le trou, en y laissant une petite ouverture pour les derniers rites. “Quatre ou cinq crémations ont lieu chaque mois”, précise Dheeraj Tiwari, un prêtre du crématorium de Kusheshwarnath.

C’est Vidyanath Jha, professeur de botanique et doyen du M.R.M. College, à Darbhanga, qui est à l’origine du succès de cette pratique. Alors qu’il enquêtait sur la disparition des vergers de manguiers dans cette zone, M. Jha s’est aperçu que de nombreux arbres étaient abattus pour les besoins de la crémation, leur bois étant censé porter chance. Cherchant une solution de substitution au bois, M. Jha a découvert une communauté de potiers qui recouraient aux chaudrons en terre et aux pains de bouse pour incinérer leurs morts.

Désormais, une opération de crémation sur quatre dans le district se fait avec des excréments animaux, indique M. Jha, qui, depuis cinq ans, n’a pas ménagé sa peine pour populariser la pratique. Ce sont les kumhars, nom de la caste des potiers, qui lui ont appris la technique. “Ils sont experts dans l’art d’arranger les pains de bouse de manière à produire le maximum de chaleur, indispensable à la crémation”, explique-t-il. “Cette pratique est transposable ailleurs dans le pays pour sauver des arbres”, plaide-t-il. Le Bihar possédant une couverture forestière éparse et aucun crématorium électrique, il faudrait également adopter cette méthode dans d’autres districts. Sur les trente-huit divisions administratives que compte cet Etat, sept n’ont pas de forêt, et dans le nord, celle-ci ne représente que 1,92 % du territoire.

Au début, M. Jha redoutait la réaction des communautés hindoues où il allait porter la bonne parole. Il eut la surprise de ne se heurter à aucune résistance. La raison, a-t-il compris, tenait au fait que les excréments bovins sont également considérés comme des porte-bonheur. Depuis quelques mois, les catégories aisées et les citadins sont à leur tour conquis, rapporte M. Jha.

Cependant, des scientifiques ont critiqué l’utilisation de déjections animales dans les bûchers funéraires. A les en croire, la bouse devrait servir de fumier pour développer l’agriculture ou de combustible pour la production de biogaz.

Tout en acceptant ces reproches, M. Jha rappelle à ses détracteurs l’ampleur de la pénurie d’énergie, le sous-développement de la région et le recul des zones forestières dans le Bihar. “Chaque opération d’incinération nécessite entre 240 et 280 kilos de bois, c’est-à-dire l’abattage d’un arbre adulte”, souligne-t-il. Il est en train de rédiger un rapport sur la crémation par combustion de pains de bouse. Si celui-ci pouvait faire bouger les autorités, sa tâche en serait facilitée.

Repères
Dans la religion hindouiste, la crémation est considérée comme la troisième naissance du défunt, après sa naissance biologique et la seconde naissance constituée par le mariage. Le feu doit permettre de libérer l’âme du corps afin que celle-ci passe plus facilement dans l’autre monde. Le corps, sur un brancard en bambou, est immergé dans l’eau du fleuve, puis brûlé sur un bûcher. Ce sont des intouchables, situés au plus bas de l’échelle sociale, qui s’occupent du bûcher. Ils sont considérés comme impurs, et aucune personne de plus haute caste ne doit toucher un
cadavre. Ces «ouvriers de la mort» contractent de nombreuses maladies. Les sadhus, des ermites qui ont choisi la voie de l’ascétisme, sont directement immergés dans le fleuve, car leur pureté les a déjà libérés. De même les lépreux, les femmes enceintes et les enfants de moins de 10 ans sont purs et n’ont pas besoin du feu salvateur. Il y a des lieux de crémation au bord de toutes les rivières. Dans tout le sous-continent, le lieu le plus sacré reste la ville de Bénarès, où environ 200corps brûlent chaque jour, au bord du Gange.

Par Alek Gupta

Source : www.courrierinternational.com (Down to Earth)

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