Accueil Espace Bouddhiste Interreligieux Le patriarcat de Constantinople (3/4) – Une situation radicalement nouvelle

Le patriarcat de Constantinople (3/4) – Une situation radicalement nouvelle

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Une situation radicalement nouvelle

Dès le début du 2Oème siècle, Constantinople comprend qu’une nouvelle organisation s’impose où les Eglises nationales, qu’elle reconnaît ou va reconnaître peu à peu, seraient pleinement présentes dans une unité restaurée. La condamnation de 1872 étant restée sans effet, le Patriarcat Œcuménique admet la fin de la Pentarchie. En 1902, le patriarche Joachim III propose aux Eglises orthodoxes de se consulter tous les deux ans. En vain.

Mais les événements politiques vont changer d’une manière bien plus radicale la situation du Patriarcat. Les guerres balkaniques de 1912-1913, la première guerre mondiale, le départ des chrétiens d’Asie mineure, la fin de l’Empire ottoman et l’émergence d’une nation turque, non seulement réduisent à l’extrême le ressort direct du Patriarcat mais transforment entièrement sa situation. Fini le système du millet orthodoxe. Le traité de Lausanne, en 1923, définit et garantit le Patriarcat comme un établissement religieux demeurant à Constantinople et s’occupant des affaires purement spirituelles de la minorité de nationalité turque et « de religion grecque-orthodoxe ». Le tezkeré (arrêté) de la préfecture de Constantinople du 6 décembre de la même année stipule que « lors des élections spirituelles et religieuses qui auront lieu en Turquie, les électeurs seront des ressortissants turcs et exerceront des charges spirituelles à l’intérieur de la Turquie lors de l’élection, et que la personne qui sera élue aura les mêmes qualifications ». Ainsi les laïcs, qui participaient nombreux à l’élection du patriarche, en sont désormais exclus, ainsi que les métropolites et évêques résidant hors de la Turquie. Du statut antérieur reste seulement une clause restrictive, le droit pour le gouvernement, lorsque se prépare une élection patriarcale, de radier qui il veut de la liste des éligibles.

L' »échange des populations », prévu en 1923, amorça l’exil d’une grande partie de la population grecque-orthodoxe, et ces départs devinrent massifs avec la crise chypriote, dans les années 50 et 60. Le ressort direct du Patriarcat est donc réduit aujourd’hui, outre les petites communautés qui subsistent en Turquie (à Istanbul, et dans les îles d’Imbros et de Ténédos), à l’Athos, Patmos, les îles du Dodécanèse, la Crète (semi-autonome), la Diaspora grecque partout dans le monde -elle est particulièrement importante et influente aux Etats-Unis, et des fractions de la Diaspora russe et ukrainienne : notamment en France et en Europe occidentale, l’Archevêché d’origine russe, aujourd’hui de facto multinational, dont le siège est à Paris. Il avait obtenu la protection de Constantinople lors du plus extrême asservissement du Patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe de Finlande est une Eglise autonome qui dépend du Patriarcat. Les éparchies des « Nouveaux Territoires », c’est-à-dire des régions de Thrace et de Macédoine annexées par la Grèce en 1912-1913, continuent de dépendre de Constantinople mais leur tutelle a été confiée à l’Eglise de Grèce.

L’école de théologie du Patriarcat, dans la petite île de Halki, en Mer de Marmara, a été fermée en 1971 par le gouvernement turc. Le Patriarcat s’est doté depuis de plusieurs écoles ou centres d’études, mais hors de Turquie, ce qui pose quelques problèmes : l’Institut patriarcal d’études patristique, à Thessalonique ; le Centre orthodoxe du Patriarcat Œcuménique à Chambésy, près de Genève ; le monastère patriarcal de Ste Anastasie Pharmakolyutria en Chalcidique ; et l’Académie orthodoxe de Crète. Le renouveau de l’ecclésiologie orthodoxe.

Le renouveau de l’ecclésiologie orthodoxe au 20ème siècle, d’abord dans la Diaspora d’origine russe, avec Nicolas Afanassieff et Jean Meyendorff, ensuite dans la théoogie grecque avec Nikos Nissiotis et Jean Zizioulas, a permis une nouvelle interprétation de la primauté. On peut résumer ainsi son acquis : — L’Eglise est une communauté eucharistique en communion avec toutes les autres, communion qui s’organise autour de « centres d’accord ». Cette conciliarité permanente des Eglises s’exprime dans des phéno- mènes de « réception ». Certaines Eglises disposent d’une autorité morale plus considérable, et donc d’une capacité de « réception » plus prestigieuse. Ce sont soit des siècles fondés par les apôtres, soit des villes dont le rôle politique et culturel, voire symbolique, est, ou a été, plus marquant. Ces « centres d’accord », dans l’Eglise ancienne, ont constitué une vivante et complexe hiérarchie, allant de la région à l’Eglise universelle par la nation et l’ère de civilisation. L’autocéphalie se situe dans ce jeu d’interdépendances multiples. L’Eglise nationale n’est donc qu’une forme contingente qui, loin de se durcir en autocéphalisme absolu, devrait être relativisée. — La primauté ou « priorité » universelle est donc fondamentalement service de la communion des Eglises. Primauté d’honneur, si l’on veut, à condition de préciser que l’honneur implique responsabilité et prérogatives réelles. Dans l’Eglise orthodoxe, la primauté revient à l’Eglise de Constantinople, de par les dispositions canoniques et une longue expérience historique. Lorsque l’unité de foi sera rétablie, elle reviendra à nouveau à l’Eglise de Rome, selon le modèle, mais pleinement élucidé désormais, du premier millénaire.

Avec les théologiens byzantins et les innombrables témoignages orientaux du premier millénaire, on doit admettre un ministère pétrinien dans l’Eglise universelle, par analogie entre la fonction du primat parmi les évêques et celle de Pierre parmi les apôtres. A condition de souligner l’interdépendance du primat et de tous les évêques et aussi l’importance du sensus ecclesiae du peuple de Dieu, animé par les « hommes apostoliques », startsi ou gerontes, au charisme strictement personnel, ce que Paul Evdokimov nommait la dimension « johannique » de l’Eglise.

En 1978, bien qu’il fût en désaccord avec le Patriarcat Œcuménique au sujet de l’autocéphalie américaine (attribuée unilatéralement par Moscou, en 1970, à la fraction d’origine russe et subcarpathique des orthodoxes des Etats-Unis), le P. Jean Meyendorff écrivait, d’un point de vue surtout pragmatique, dans un article intitulé : Needed ; the ecumenical Patriarcate ( On a besoin du patriarcat Œcuménique ; The Orthodox Church, vol. 14, n° 4, p. 4 s.) : « Il est incontestable que la conception orthodoxe de l’Eglise reconnaît la nécessité d’un leadership sur l’épiscopat universel, d’une certaine autorité de porte-parole de la part du premier Patriarche, d’un ministère de coordination sans lequel la conciliarité est impossible. Du fait que Constantinople, nommée aussi « Nouvelle Rome », était la capitale de l’Empire, un concile Œcuménique a désigné son évêque -selon les réalités pratiques de l’époque- pour cette position de leadership qu’il a gardée jusqu’à aujourd’hui , même si l’Empire n’existe plus. Et le Patriarcat de Constantinople n’a pas été dépourvu d’œcuménicité, étant toujours en relation avec la conscience conciliaire de l’Eglise. Dans les années chaotiques que nous traversons, l’Eglise orthodoxe doit certainement utiliser le leadership sage, objectif et faisant autorité du Patriarcat Œcuménique ».

par Olivier Clément

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