Accueil Espace Bouddhiste Interreligieux Le patriarcat de Constantinople (2/4) – L’ethnarque

Le patriarcat de Constantinople (2/4) – L’ethnarque

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L’ethnarque

La disparition de l’Empire byzantin créa un vide historique et juridique, puisque c’est l’empereur, par exemple, qui convoquait les conciles. Ce vide fut comblé par le Patriarche de Constantinople, grâce au rôle d' »ethnarque » responsable du millet orthodoxe, que le Sultan lui accorda. « Ethnarque » c’est à dire chef de la « nation » chrétienne, au sens musulman pour lequel le civil et le religieux sont inséparables. Certes Moscou s’est proclamé autocéphale en 1448, en prenant prétexte de la « trahison » de la foi par Constantinople au concile d’union de Florence. Mais l’extension vers l’est de la Pologne-Lituanie permet au Patriarcat d’y reconstituer, sous sa dépendance, la métropole ukrainienne de Kiev (jusqu’à l’absorption de l’Ukraine par la Moscovie à la fin du 17ème siècle).

Dans ce nouveau contexte, la primauté de Constantinople fonctionne utilement jusqu’au 19ème siècle. Le Patriarcat réunit assez régulièrement, chaque fois qu’un problème grave se pose, les patriarches orientaux et leurs synodes, et souvent de nombreux évêques. Seul cet accord du primat et de ce qui reste de la Pentarchie permet alors l’élévation d’une Eglise à la dignité patriarcale. Pour la Russie en particulier, cette élévation, réalisée en 1589 par le patriarche Jérémie II, fut confirmée par les conciles de Constantinople en 1590 et 1593. L’Eglise russe admise au cinquième rang dans une Pentarchie momentanément complétée, fut toujours consultée, même après l’introduction, en 1721, du système synodal. En 1848 par exemple, Constantinople eut soin de se mettre d’accord avec le Saint Synode russe au moment d’élaborer l’encyclique conciliaire sur le problème de l’infaillibilité.

Ainsi ont été réunis à Constantinople les conciles de 1454 et 1484 (pour rejeter l’union de Florence), de 1590 (pour instaurer le patriarcat russe), de 1638 (pour préciser la position orthodoxe entre Réforme et Contre-Réforme), de 1663 (sur les troubles dans l’Eglise russe), de 1735 (pour résister à l’offensive uniate et au re-baptême des orthodoxes imposée par Rome après des siècles de communicatio in sacris sporadique), de 1848 et 1872 (sur de difficiles problèmes ecclésiologiques). L’érection du Patriarcat de Moscou et l’arbitrage rendu dans la crise de l’Eglise russe au 17ème siècle ont permis de préciser la primauté de Constantinople dans des termes qui montrent que dans une Eglise « déchirée », Constantinople entend assurer comme l’intérim de la Rome du premier millénaire : Question : Tout jugement des autres Eglises peut-il être porté en appel devant le trône de Constantinople et celui-ci peut-il résoudre toute affaire ecclésiastique ? Réponse : Ce privilège était celui du pape avant que l’Eglise n’ait été déchirée par les présomptions et la malveillance. Mais l’Eglise étant désormais déchirée, toutes les affaires des Eglises sont portées devant le trône de Constantinople, lequel prononce la sentence car, d’après les canons, il a le même primat que l’ancienne Rome. (Tome patriarcal et synodal de 1663). Le combat contre le nationalisme religieux.

Au 19ème siècle, le recul de l’empire ottoman et la poussée du mouvement des nationalités amènent donc la multiplication des Etats nationaux dans l’Europe du sud-est. Chaque nation revendique et établit d’autorité -sauf la Serbie qui obtint au préalable l’assentiment de Constantinople- son indépendance ecclésiastique. La politique et le nationalisme inversent l’échelle traditionnelle des valeurs : la nation n’est plus protégée et défendue par l’Eglise, c’est l’Eglise qui devient une dimension de la nation, un signe d’appartenance nationale, et qui donc doit servir l’Etat. Ainsi l’autocéphalie traditionnelle tend à se transformer en autocphalisme à la fois absolu et homogène. Non plus interdépendance mais indépendance. Calquant le fonctionnement de l’administration ecclésiastique sur celui du pouvoir d’état. Et les évêques devenant de quasi-fonctionnaires.

L’autocéphalisme se théorise peu à peu, il affirme que le fondement de l’ecclésiologie n’est pas le principe eucharistique, mais le principe ethnique et national. L’Eglise « locale » signifie désormais l’Eglise « nationale », avec application absurde de l’analogie trinitaire, la « primauté d’honneur » devenant « l’égalité d’honneur ».

Le dernier concile de la Pentarchie se tint en 1872 à Constantinople et condamna avec beaucoup de fermeté le phylétisme, c’est-à-dire le nationalisme ecclésiastique (l’Eglise bulgare, qui venait de proclamer son autocéphalie sans l’accord de Constantinople, exigeait l’établissement à Constantinople même, pour la minorité bulgare, d’un évêché ne dépendant que d’elle et donc entièrement soustrait à la juridiction de l’évêque local).

« Le phylétisme, c’est-à-dire la distinction fondée sur la différence d’origine ethnique et de langue, et la revendication ou l’exercice de droits exclusifs de la part d’individus et de groupes de même pays et de même sang, peut avoir quelque fondement dans les états séculiers, mais il est étranger à notre propre ordre… Dans l’Eglise chrétienne, qui est une communion spirituelle destinée par son chef et son fondateur à com- prendre toutes les nations dans l’unique fraternité du Christ, le phylétisme est quelque chose d’étranger et de totalement incompréhensible. La formation, dans un même lieu, d’églises particulières fondées sur la race, ne recevant que les fidèles d’une même ethnie,… et dirigés par les seuls pasteurs de même race, comme le veulent les adeptes du phylétisme, est un événement sans précédent… »… Chaque Eglise ethnique cherchant ce qui lui est propre, le dogme de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique » reçoit un coup mortel. Si les choses sont ainsi – or elles le sont – le phylétisme se trouve en contradiction manifeste avec l’esprit et l’enseignement du Christ, et s’y oppose… »

par Olivier Clément

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