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L’ Hindouisme et la Relation de Gourou au Disciple

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L’ hindouisme et la relation de gourou au disciple

Le gourou dans la tradition

saiphoto7.jpgLa relation de gourou à disciple est la colonne vertébrale de la tradition hindoue, elle en assure la continuité. La cohésion de l’hindouisme ne vient pas de ses dogmes ou de sa hiérarchie, mais d’un ensemble de pratiques ainsi que de la focalisation sur la personne du gourou. Il s’agit plus d’une orthopraxie que d’une orthodoxie. Là où d’autres religions se transmettent par une proclamation publique de la foi, l’hindouisme se transmettra principalement par un gourou chuchotant à l’oreille de son disciple un mantra. On peut voir dans la profusion des rites, croyances, philosophies et pratiques hindoues soit une richesse, soit une confusion; cela dépend de son point de vue au départ. Mais ce qu’il y a de certain, c’est que le gourou, en tant que synthèse vivante de la tradition, incarne Punité au-delà de la diversité des apparences.

Le Sadgourou, le gourou réel, a cherché par lui-même dans différentes directions et, telle l’abeille, a fait son miel de diverses fleurs. On peut reprendre l’image hindoue classique que Shankaracharya utilisait à propos de son maître Govinda :  » Il a baratté comme les dieux le grand océan et en a extrait le nectar.  » Par sa pratique spirituelle qui l’a mené, au-delà des épreuves et des remous en tout genre, à la réalisation, le gourou est comme le dieu Shiva qui préside à la création d’un monde nouveau. C’est un processus dangereux, car la première chose qui se dégage de la mer de lait est en fait du poison, mais ce dernier se transforme en nectar quand Shiva a le courage de l’avaler. Par sa recherche et sa synthèse du meilleur de la tradition, le gourou a installé le divin en lui-même, un peu comme le poète dont parle R. M. Rilke :  » À la manière des abeilles, il construit Dieu avec le plus doux de chaque chose.  »

L’hindouisme reconnaît quatre buts dans la vie humaine :
– la satisfaction des désirs sensuels (kama),
– la volonté de pouvoir matériel et social (artha),
– l’unité avec l’ordre moral et universel (dharma)
– et la libération (Moksha).

Ce dernier but, la libération, constitue aussi une science en soi (moksha-shastra). Parallèlement à ces quatre buts, il y a quatre stades dans la vie humaine :la vie de jeune homme qui étudie (brahmacharya), le mariage (grihastha), la vie de  » préretraite « , souvent en couple dans la forêt à l’époque ancienne (vanaprastha), et le renoncement, la solitude et l’indépendance complète (sannyas). Ce quatrième stade de l’existence humaine est considéré traditionnellement comme le plus apte pour l’enseignement du quatrième et dernier de ses buts, la libération. Ce renoncement est un des traits caractéristiques de l’Inde, qu’elle soit hindoue, bouddhiste ou jaïn.

L’idée de libération et d’union avec l’absolu, base commune de la spiritualité indienne, est particulièrement développée dans les Oupanishads,  » la fin des Védas « , dont l’enseignement a été systématisé ultérieurement par la philosophie du Védanta. Cela ne signifie pas que toute la civilisation indienne soit mystique ou monastique, loin de là. Chaque quête y a sa place; de plus, le matérialisme a toujours été présent : d’après lui, nous ne sommes sur cette terre que pour avoir un certain nombre de plaisirs et le minimum d’ennuis; il porte l’appellation caractéristique de lokayata,  » ce que pensent les gens « …

Les brahmanes intéressés par leur tradition peuvent combiner vie de famille et pratique religieuse, même si cette dernière inclut plusieurs heures de rituel quotidien.

Comme je n’écris pas une thèse de doctorat, je ne m’attacherai qu’aux aspects de la tradition qui me semblent perdurer dans l’Inde actuelle, et je passerai sur ceux qui se sont éteints au cours des siècles. Les étudiants en indologie trouveront cependant en note des références bibliographiques suffisantes pour approfondir la question.

Du gourou au Gourou

Le mot gourou a de multiples acceptions : il est de la même racine que le latin gravis et a donc le sens de grave, sérieux, qui a du poids, prestigieux. A Rome, on parlait par exemple de gravis auctor pour désigner une autorité parmi les magistrats, un sénateur en particulier. Cette notion de  » pesanteur du sacré  » se retrouve en Occident dans la légende de saint Christophe qui, au fur et à mesure qu’il traverse la rivière, a de plus en plus de difficultés à supporter le poids de l’Enfant Jésus.

La société indienne traditionnelle avait deux pôles. Le roi et le brahmane : le premier faisait la commande et payait les frais du sacrifice, le second accomplissait le rituel. La classe des brahmanes n’est pas sans rapport avec celle des druides à l’autre extrémité du monde indo-européen. En un sens, tous ceux qui accomplissent un rituel méritent d’être appelés gourous par ceux qui en bénéficient. Par la suite, gourou a pris une nuance plus spécifique d’enseignant purement spirituel, d’être réalisé qui parle de sa propre expérience (Sadgourou), bien que gourouji reste aussi un terme de respect très courant en hindi actuel pour tout aîné qui est censé en savoir un peu plus que les autres.

L’acharya est l’enseignant religieux au sens général du terme; il donne des directives au peuple; le pandit, quant à lui, est un spécialiste des textes et des coutumes; il n’a pas de responsabilité spirituelle décisive. Cette nette distinction entre le pandit et le Sadgourou qui, lui, enseigne la spiritualité d’expérience, ainsi que l’autorité suprême dont bénéficie ce dernier, est l’un des facteurs ou l’un des signes de la vitalité spirituelle de l’hindouisme.

D’après l’étymologie traditionnelle fréquemment citée par les hindous, gou signifie  » ténèbres  » et rou signifie  » détruire, dissiper  » : le gourou est donc celui qui dissipe les ténèbres. Nous nous attacherons dans ces deux chapitres à cerner surtout la notion de Sadgourou, de gourou qui mène à l’être (sat). Quand la notion de gourou est indûment étendue au domaine intellectuel ou social, elle devient trop souvent une étiquette facile pour justifier n’importe quelle autorité, voire n’importe quel autoritarisme.  » Abandonner sa volonté propre  » n’a de sens que si on le fait entre les mains d’un être qui a aussi abandonné la sienne, qui n’a plus d’ego. Sinon, il s’agit d’une exploitation réglée de l’homme par l’homme, qu’elle soit grossière ou subtile.

Le Sadgourou, l’être qui a atteint l’absolu, est un phénomène très rare. Dans les Oupanishads, on ne parle que d’une poignée de rishis complètement réalisés, tels Yajnavalkya, Angiras, Ashvapati, Kaikeya… Certaines écoles ne reconnaissent pas la possibilité de libération dès cette vie givanmoukti), elles n’acceptent de libération complète qu’au moment de la mort. Les écoles influencées par le yoga, le védanta et le tantra, admettent la possibilité de libération dès cette vie, les écoles dévotionnelles et dualistes la refusent.
Peut-être ces dernières assimilent-elles la libération au samadhi sans conscience du monde extérieur, et ne voient-elles pas clairement la possibilité
de samadhi au sein de l’action. Elles sont attentives, comme le christianisme, à maintenir la séparation entre l’âme et Dieu, l’être humain pouvant devenir comme Shiva (shivaiva bhavati) mais non pas Shiva lui-même (çhiva eva bhavati).

Quoi qu’il en soit, toutes les traditions hindoues reconnaissent l’importance fondamentale du Sadgourou pour révéler Dieu, ou le Soi, caché dans le cúur du disciple. Ce modèle, cet archétype du Sadgourou reste encore actuellement le point de focalisation de la conscience hindoue quand elle s’oriente vers la recherche spirituelle. J’ai pu constater, lors de mon travail sur le terrain, qu’étant donne sa souplesse structurelle, il n’était pas près de disparaître.

On peut se demander si avoir l’esprit fixe sur un individu n’est pas une limitation, un appauvrissement des possibilités multiples du mental. Une histoire des Pouranas, reprise par Ramana Maharshi, exprime l’opinion contraire . Shiva, le dieu suprême, et son épouse Parvati étaient assis sur le mont Kailash avec leurs deux enfants – Ganesha, le dieu éléphant et Soubrahmanya.

Shiva présente un fruit aux enfants et leur dit

 » Il sera pour celui qui revient le premier après avoir fait le tour du monde.

 » Soubrahmanya s’élance, mais Ganesha se contente de faire le tour de ses parents,

et c’est lui qui obtient le fruit.

Essayer de cerner ce qu’est le Sadgourou et ce qu’est le Soi manifesté en lui est la plus noble des activités de l’esprit, même si elle n’est pas la plus spectaculaire.Cela ne signifie pas que la tradition indienne soit rigidement attachée à la présence d’un gourou en chair et en os comme seule source d’enseignement.

Dattatreya est célèbre pour avoir reçu l’enseignement de vingt-quatre gourous, y compris l’abeille, le corbeau, l’océan, la prostituée et la tisseuse de vêtements. Une des premières expressions de l’ouverture d’esprit indienne dans son accueil des enseignements de différentes origines est ce verset du Rig-Veda :  » Puissent de nobles pensées nous venir de toutes les directions.  » Le gourou est une aide permettant au disciple de se remémorer sa vraie nature. Il est comme le ministre du roi qui retrouve la trace du prince qui avait été enlevé tout enfant par les habitants de la forêt. Pour ne pas l’effrayer, il commence à aller lui rendre visite dans la forêt elle-même, puis l’invite de temps à autre au palais, puis l’embauche comme aide dans les cuisines, puis comme valet de chambre du roi, jusqu’au moment où le roi lui-même lui révélera sa véritable nature de prince.


Docteur Jacques Vigne
– Extrait du Livre « Le Maître et le Thérapeute »
– Autres extraits de ce livre : Première rencontre avec le gourou

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