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Maîtriser son esprit – partie 3 – Jigmé Rinpoché

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Nota :

Cette conférence comprend deux autres parties :
Maîtriser son esprit – partie 1
Maîtriser son esprit – partie 2


LES POISONS SUBTILS

Bouddha_enseignement.gifLes émotions perturbatrices présentes dans l’esprit conduisent à des comportements incorrects si nous n’y prenons pas garde. Pour progresser, il importe de connaître la racine des choses et de savoir ce qui nous porte inconsciemment à agir. Il faut reconnaître la présence très forte de la saisie égocentrique, celle de l’orgueil qui se manifeste en toutes sortes de circonstances, ainsi que celle de la jalousie. Nous devons nous méfier des petites choses qui nous paraissent infimes, mais qui ont pourtant une très grande portée quant au résultat : parfois des circonstances minimes induisent des résultats très rapides et qui font boule de neige.

On doit développer la bodhicitta, et c’est pour cette raison qu’il faut s’entraîner à se tourner vers autrui. De plus, la bodhicitta est un remède à toutes les actions entreprises sous l’influence de l’orgueil ou de la jalousie. Orgueil et jalousie sont souvent présents de façon très subtile, sans qu’on en ait conscience. Si l’on n’y prête pas attention, cela peut créer beaucoup d’obstacles, car c’est ce qui va interférer entre l’attitude, la motivation première et l’action. On peut très bien vouloir agir de façon altruiste et inconsciemment, de façon sournoise, se retrouver sous l’influence de l’orgueil et de la jalousie. Finalement, notre action sera différente de ce qui nous animait au départ. Si l’on parvient à prendre conscience de ce genre de mécanisme, il se produira de moins en moins souvent. On ne se laissera plus emporter facilement. Nos actes seront de moins en moins teintés d’orgueil ou de jalousie. C’est un entraînement progressif de l’esprit. Chaque circonstance nous donne la possibilité de comprendre comment ce mécanisme subtil peut interférer entre une attitude correcte et une action qu’on voudrait vraie.
Ces choses très fines sont difficiles à voir. Lorsqu’on reçoit des enseignements, il est facile de voir les choses grossières et de tenter d’y remédier. Mais ce sont les choses les plus infimes qui risquent de devenir des obstacles à la longue, car on est tenté de se dire qu’elles sont sans importance et de ne pas chercher à les voir. Ces petites choses induisent des comportements erronés, qui induisent à leur tour des habitudes erronées dont il est difficile de se défaire. De temps en temps, on rencontre des petites choses qu’on n’aime pas et qui font naître en nous l’insatisfaction ou la colère. On tombe alors dans un état de critique ; on critique ses voisins, ses proches, ses amis, etc. Un certain plaisir à critiquer s’élève. Cette joie devient une habitude qui ne semble pas trop grave ni trop importante. Pourtant, c’est important ! Il faut déceler la racine de ce comportement, la cause de ce petit plaisir à critiquer. On s’aperçoit alors qu’il s’agit d’un jeu très subtil de la jalousie.

On critique quelqu’un parce qu’on en est jaloux, et plutôt que de s’avouer cette jalousie et de tomber dans l’aversion directe, plutôt que d’essayer de nuire à cette personne, on bascule dans l’insatisfaction contrebalancée par un certain plaisir à critiquer. Il est donc très important de voir la racine de tout ce processus, sinon nous versons dans la critique permanente sans avoir conscience de la jalousie qui se cache derrière, risquant ainsi d’adopter des habitudes négatives qui s’amplifieront et nous paraîtront naturelles. A la fin, nous ne voyons même plus que nous sommes constamment en train de critiquer.

Si on veut développer l’amour et la compassion, il faut veiller à ce que cet amour et cette compassion soient équanimes et se déploient vraiment envers tous les êtres, sans qu’il y ait la moindre distinction de niveau ou de type d’êtres. Nous nous montrons souvent condescendants envers ceux que nous considérons comme inférieurs et ne voulons pas tourner notre esprit vers les êtres qui nous sont supérieurs. C’est une attitude incorrecte. Il faut vraiment développer L’amour et la compassion sans qu’il y ait la moindre trace de jalousie ou d’impureté, c’est-à-dire de façon équanime envers tous.
A regarder tout en détails, ne risque-t-on pas de passer son temps tourné vers soi-même ? En fait, il ne s’agit pas d’être obnubilé par ses propres actions et ses propres pensées. Il y a deux manières d’être conscient. Soit on regarde et analyse le moindre geste, la moindre pensée afin de voir s’ils sont en accord avec ce qu’on devrait penser. Cette situation n’est pas confortable, et ce n’est pas le type de comportement souhaité. L’autre manière consiste à se montrer simplement attentif aux pensées et à veiller à ne pas agir de façon insensée.

On regarde le passé pour en tirer des leçons ; cela nous sert d’encouragement. Ainsi, au lieu d’être obnubilés par nous-mêmes, nous devenons conscients et attentifs dans la détente, ce qui nous aide à modifier les empreintes dans l’esprit. Si l’on se rend compte qu’on s’est comporté de façon erronée dans le passé, il n’est pas question de passer sa vie à le regretter, mais d’utiliser cette erreur en la transformant en quelque chose de bénéfique. Cette erreur était due au fait qu’à l’époque nous étions dans une situation où nous n’avions pas conscience des choses et donc agissions par ignorance, inconscience et insouciance.

A partir du moment où nous en prenons conscience, elle devient bénéfique, puisque, forts de cette nouvelle compréhension, nous pouvons modifier notre comportement actuel, Ainsi, plutôt que de traîner derrière soi toutes sortes de regrets, on est heureux de voir les erreurs commises dans le passé car on s’en sert comme d’un outil de transformation et de changement. Le souvenir des leçons du passé nous aide à développer une prise de conscience basée sur l’expérience directe. Notre esprit est ainsi plus détendu et, sans se culpabiliser, utilise ses expériences de façon positive afin de progresser. Beaucoup de choses traînent dans notre esprit, en particulier des idées toutes faites. Si l’esprit est lucide et détendu, s’il se tourne vers le positif sans éprouver de culpabilité à cause des erreurs du passé, l’angoisse, l’amertume et l’insatisfaction permanente se dissolvent.

Il est bien sûr illusoire de croire qu’on va supprimer tout désir ou se détourner de toute forme d’attachement. C’est un état qui est normal, On ne prétend pas ne plus avoir de désir ou ne plus avoir d’attachement. L’important est d’accepter qu’ils soient là et de prendre conscience de leur présence. Il en va de même pour la jalousie et l’orgueil. Ces émotions sont présentes en nous de toutes façons. La seule chose que nous puissions faire est de réaliser leur présence, car ainsi nous ne nous laissons plus emporter et ne tombons plus aussi facilement sous leur emprise. Les résultats de nos actions deviennent alors bénéfiques. Les trois émotions – orgueil, jalousie et désir – sont ordinairement présentes dans nos rapports quotidiens, que ce soit en famille ou avec des amies Ce sont des valeurs très subtiles qui entrent puissamment en ligne de compte dans les rapports parents-enfants ou hommes-femmes, etc. Il y a toujours un profond attachement et des traces de jalousie, et si l’on n’y prend pas garde, les émotions s’accumulent, et de cette accumulation découlent des situations délicates et difficiles à résoudre. Si l’on a conscience des émotions perturbatrices, on peut éviter de tomber dans de telles situations. Nous ne sommes plus sous leur emprise directe et les circonstances deviennent plus harmonieuses ; nous sommes plus ouverts et plus à même d’accepter ce qui auparavant nous heurtait. Et ceci se passe à tous les niveaux, que ce soit dans le contexte familial ou dans un contexte plus large.

Cette prise de conscience est source d’harmonie et d’ouverture.
Tout ce qui a été dit jusqu’à maintenant sur l’amour et la compassion, etc., est facile à comprendre, mais difficile à mettre en pratique si d’entrée de jeu on veut que cela se passe de façon parfaite. Et constater qu’on n’y arrive pas est décourageant. Il faut donc y aller progressivement. En toutes circonstances, il faut développer l’attention et d’abord prendre conscience de ses émotions avant de vouloir s’en libérer ; ainsi, peu à peu, on apprend à modifier son comportement. Une habitude de vigilance se crée et les choses se font plus facilement. C’est un peu comme lorsqu’on apprend à conduire une voiture. Au début, ou est très concentré et complètement tendu. Au fur et à mesure de l’habitude, les choses se simplifient, les difficultés sont surmontées et s’apaisent d’elles-mêmes. Ensuite, on monte dans sa voiture et on se met à rouler sans appréhension. Tout ce qui nous semblait insurmontable au départ se met en place par la force de l’habitude. Dans le cas de l’entraînement de l’esprit, c’est exactement la même chose. Il faut progresser étape par étape, être vigilant quant aux circonstances et aux actes de notre vie et essayer de développer la prise de conscience de nos actions.

Dès lors, naturellement et graduellement, de nouvelles habitudes se constituent. On s’aperçoit ensuite qu’on agit dans un sens correct. Il ne faut donc pas se décourager si parfois on n’arrive pas à surmonter tel ou tel obstacle, mais voir que le fait d’en constater la présence et d’en prendre vraiment conscience est le moyen qui nous permettra de le surmonter. Plutôt que de perdre courage, il faut se souvenir que, peu à peu, à force de modifications très légères, une habitude nouvelle s’installera dans notre esprit. Et c’est grâce à l’habitude, grâce à cette répétition, que l’esprit s’entraîne et peut véritablement progresser.

LA DEDICACE
On termine cet enseignement par la dédicace et on dédie le fruit qui en résulte à tous les êtres. Ceci a un double sens : nous entraîner à l’esprit de l’Eveil, et faire décroître l’attachement à l’idée de nous-mêmes. Si nous pensons à toujours offrir à autrui, notre propre attachement diminue. On a trop souvent tendance à garder pour soi le fruit de ce que l’on entreprend, d’où l’attachement à ce que l’on fait. Par exemple, on reçoit un enseignement et on s’attache aux bienfaits de cet enseignement pour soi-même, ce qui a pour effet d’en diminuer la portée nécessaire.

Il y a deux manières d’approcher la dédicace :
– tout offrir à tous les êtres sans aucune exception et sans aucun attachement ;
– ou s’efforcer de comprendre véritablement le sens de ce que l’on a fait et reçu, de prendre conscience du concours de circonstances et de la somme d’opportunités dues à tous les êtres qui nous permettent d’être là. Il en résulte un grand bienfait qu’on désire faire partager à tous ces êtres.

Ordinairement on profite des opportunités sans les partager ; là nous prenons conscience de tout ce que cela représente d’être ici, quelles sont les causes de notre présence et grâce à qui nous pouvons être dans ce temple, etc.

Ces deux aspects sont identiques, et chacun au moment de la dédicace tourne son esprit vers l’offrande à autrui selon la manière qui lui semble la plus proche de lui-même. La prière de dédicace est en tibétain, mais cela ne doit pas être un problème pour les personnes qui ne la connaissent pas d’important est de prendre conscience de ce qui est dit et d’avoir une démarche d’ouverture et d’offrande envers autrui. Cette prière dit que, quelle que soit la pratique accomplie – écoute, réflexion ou méditation – toutes ont pour but d’œuvrer dans le sens du bienfait de tous, de permettre l’établissement d’une plus grande harmonie et d’un état de paix. Nous souhaitons que l’harmonie et la paix procurées par ces enseignements ne soient pas pour nous seuls, mais qu’elles profitent à tous. C’est cela l’idée de base de la prière de la dédicace.

QUESTIONS/ REPONSES

Est-ce que Chiné est la méditation la plus adaptée pour pacifier l’esprit?
– La méditation de Chiné est effectivement la plus appropriée pour le calme mental, car Chiné signifie « la méditation du calme mental ». Cette méditation permet de pacifier l’esprit et de demeurer dans un état stable.
Chiné est un mot tibétain. La première syllabe « Chi » signifie « pacifier » ; tout est peu à peu apaisé. Dans cette méditation, l’esprit est calmé, alors qu’habituellement il est tout empli de pensées allant dans tous les sens. La deuxième syllabe « né » signifie « demeurer » rester sans bouger, non pas dans un état dépourvu de pensées, mais dans un état où l’on n’est plus distrait, dans lequel on ne se laisse plus emporter par les pensées qui s’élèvent dans l’esprit. Expliquer ce qu’est la méditation de Chiné est très difficile, car il n’existe pas véritablement de mots pour la décrire. C’est au fur et à mesure de la pratique de la méditation qu’on prend conscience, depuis l’intérieur, de ce qu’est cet état de calme mental. cela ne correspond en effet à rien d’exprimable par des mots ! C’est un état qui apparaît et devient manifeste lorsqu’on avance dans la pratique.

Quel est le sens des voeux de bodhisattva ? Quand peut-on les prendre ?
– Le sens des vœux de bodhisattva est simple. Il est lié à l’amour et la compassion : l’esprit se tourne vers le bienfait d’autrui dans tous les actes de la vie, si petits soient-ils. Si notre esprit est ainsi orienté, on peut dire que nous sommes engagés dans la voie des bodhisattvas.
Nous pouvons prendre le vœu ou ne pas le prendre. La prise de vœu ne va pas nous transformer d’un coup. C’est beaucoup plus une affaire d’attitude d’esprit. Encore que le fait de prendre ces vœux de bodhisattva soit un peu comme la prise de refuge : il ne s’agit pas simplement de quelque chose de formel, c’est un engagement qui nous aide à développer une motivation et qui nous pousse à aller toujours plus avant. La période à laquelle on prend ces vœux n’a pas d’importance. C’est lorsqu’on se sent prêt. lorsqu’on aspire vraiment à les prendre, que le moment est harmonieux. Il y a une cérémonie au cours de laquelle on prend un engagement formel. On dit souvent que la cérémonie n’est pas importante, mais elle a quand même une grande portée; car c’est par la cérémonie qu’on reçoit véritablement une grande énergie, une forte bénédiction, une capacité plus large à respecter les vœux. Cette cérémonie ne nécessite aucune préparation, si ce n’est d’avoir l’esprit prêt à agit dans ce sens. De temps en temps, des lamas donnent ces vœux de bodhisattva. Le jour où vous sentirez que vous avez envie de les prendre et que vous êtes prêts à le faire, vous pourrez les
recevoir.

Nous expérimentons des situations dans lesquelles nous éprouvons de la souffrance dans nos rapports avec les autres, alors que notre propre attitude d’esprit n’en est pas responsable. Pouvez-vous expliquer cela ?
– La souffrance vient de nous. Tout ce que nous ressentons et percevons provient de notre esprit, mais on peut en avoir une perception différente et attribuer cela à des circonstances, etc. Tout dépend du degré de compréhension et de conscience que nous avons de la réalité des choses que nous sommes en train de traverser. On a parlé précédemment de différents stades ; l’écoute, la réflexion et la méditation. II peut être bon, après avoir écouté ce qui vient d’être dit, de prendre le temps de réfléchir à son sens véritable. Quand on réfléchit, une compréhension plus subtile apparaît, et peu à peu le sens de ce qui a été dit se manifeste avec évidence. Si l’on regarde bien, la souffrance n’existe pas : à un niveau très profond, il n’y a pas de souffrance. Tout dépend du degré de perception et de compréhension qu’on a des choses. Si l’on est complètement conscient de tout, la notion de souffrance disparaît. Si l’on n’est pas vraiment conscient, la notion de souffrance venant de moi ou de l’autre apparaît. Il est donc bon d’essayer d’avoir une compréhension juste et équilibrée de tout cela, pour voir quelle est la cause profonde de la souffrance. Même avec le sentiment que, dans une situation particulière, nous n’avons rien fait pour que la souffrance se manifeste, il faut prendre conscience que la cause de cette souffrance est en nous et non à l’extérieur.

La souffrance physique qui provient par exemple d’une maladie est-elle de la même nature que les autres souffrances ? Peut-on dire que si l’on avait la juste compréhension, la souffrance physique n’existerait pas ?
– Oui, je le pense. Ce type de souffrance peut être assimilé aux autres types de souffrance. Cela dépend en fait de notre niveau de connaissance et de compréhension de l’esprit. Lorsqu’il s’agit de considérer que la souffrance directe du corps provient de l’esprit, c’est faire appel à la notion de vacuité, c’est-à-dire à une compréhension qui se situe au plus haut niveau de sagesse : voir l’aspect de vacuité de toute chose. Ce niveau de compréhension très élevé est difficile à exprimer. On peut dire qu’il y a deux niveaux de réalité. Si on se limite à une compréhension du premier niveau – le niveau relatif – cela implique que les objets, le corps, etc. ont une existence. Mais à un second niveau, plus profond, cette existence peut être envisagée sous un autre angle et complètement remise en question. La souffrance physique peut ainsi être considérée d’une façon beaucoup plus large, qui dépend des qualités de réalisation de l’esprit.

Comment peut-on visualiser la compassion ?
– Plusieurs moyens peuvent être utilisés. n peut tout d’abord réaliser ce que sont les êtres, dans quelles conditions ils vivent, ce que sont leurs besoins. Et par rapport à cette compréhension, on développe une attitude de compassion sans attachement. Pour cela, il est peut-être plus facile de visualiser les conditions des êtres qui nous sont proches : nos enfants, nos parents, nos amis, etc. Cela nous ,permet d’avoir une idée non pas générale et vague, mais au contraire très proche de la réalité des choses, et donc de développer une compassion véritablement sincère et profonde. Mais il faut aussi dépasser ce stade et veiller à ne pas faire preuve d’un attachement trop fort vis-à-vis de ces êtres, car on développe alors une compassion limitée à un groupe de personnes chères. Il est bon de prendre conscience de notre attachement envers nos proches et des limites de notre compassion, afin de peu à peu élargir le champ d’investigation. C’est un entraînement progressif : on part d’une donnée susceptible de provoquer en nous une attitude de compassion pour, au fur et à mesure, élargir ce champ d’expérience.

Comment faire pour ne plus souffrir ?
– De but en blanc, il n’existe pas de recette pour ne plus souffrir. Cela semble difficile. Par contre, il est possible de faire décroître peu à peu la souffrance. Il faut comprendre que cette souffrance provient de ce que nous nous accrochons à l’idée d’un moi : étant donné qu’on est préoccupé par soi-même, on tombe souvent dans l’insatisfaction, et de là dans la souffrance. Si l’on tente de faire décroître cette constante saisie de l’ego, la souffrance diminue peu à peu. Au départ, le problème est d’accepter de travailler pour que notre idée d’un moi décroisse, d’accepter de nous préoccuper un peu moins de nous-mêmes. C’est effectivement un point qu’il faut résoudre, car à partir du moment où l’on est d’accord pour s’engager dans ce sens, il se présente beaucoup de possibilités. Le tout est de trouver la faille ou le point-clef qui nous donne envie d’aller dans ce sens. Pour cela, il est bon de réfléchir à la situation dans laquelle nous nous trouvons, et de prendre conscience du fait que nous sommes en permanence centrés sur nous-mêmes, afin de voir ce que cela implique et de le voir de manière assez large, parce qu’il y a forcément un aspect des choses qui nous poussera à changer. Tant que nous n’aurons pas trouvé cette raison de changer qui nous est propre, sans doute ne serons-nous pas très motivés. Prenons l’exemple de ceux qui font du ski : si l’on n’a pas vraiment trouvé une raison de faire du ski, on se demande ce qu’on ferait sur une piste à monter et descendre. Mais lorsqu’on a rencontré le plaisir ou la raison d’être de faire du ski, on glisse alors sans envie de s’arrêter.

J’ai cru comprendre que la critique est une aversion qui n’est pas reconnue. Je voudrais savoir, une fois l’aversion reconnue, quel travail on doit accomplir ?
– Pour l’instant, on ne parle pas des grandes crises, mais des crises ordinaires qui se déroulent durant la journée. On se trouve souvent dans un état où l’on critique les autres. Par exemple dans notre travail, il nous arrive de critiquer notre chef de bureau sans nous poser de questions, convaincus d’avoir raison de le critiquer. Or c’est là qu’il importe d’être vigilant, afin de voir la racine de la critique et d’y remédier. Si l’on n’y prête pas attention, la critique s’amplifiera, car non seulement on critiquera, mais on se réjouira de le faire. Un plaisir encore plus grand s’élèvera lorsque le voisin se mettra lui aussi à critiquer la personne qu’on n’aime pas ! C’est ainsi que se créent des situations qui deviennent véritablement « boulimiques », dans le sens où l’on ne s’arrête plus. Il faut apprendre à se demander pourquoi on est critique et ce qui nous anime alors, On se rend compte qu’il s’agit de la jalousie ou de l’orgueil, etc. ; l’important est de bien voir la racine. Une fois qu’on a reconnu qu’on dit du mal de quelqu’un par jalousie par exemple, si cela devient vraiment manifeste en notre esprit, la critique disparaît d’elle-même et n’a plus aucun sens, Cette prise de conscience contribue à faire décroître un état qui autrement aurait tendance à se développer.

Que faire lorsqu’on reconnaît qu’on éprouve de la jalousie envers quelqu’un ?

Il n’y a rien à faire. Le tout est de reconnaître cette jalousie. Dès qu’on en prend conscience, elle se met à décroître d’elle-même et ce n’est plus une émotion qui nous emporte. Avant nous alimentions nous-mêmes l’émotion du fait de notre inconscience, mais une fois que nous l’avons reconnue, elle se transforme d’elle-même.

– A propos des vœux de bodhisattva, de façon très concrète, si une maison est envahie par des souris, des frelons, des mouches, des guêpes, etc., que faire ?
Lorqu’on prend les vœux de bodhisattva, on décide effectivement de ne pas tuer ; mais c’est une décision personnelle, un engagement qui nous est propre. Il n’existe pas un code du bon bodhisattva. Il n’y a pas de règles précisant de faire ceci ou cela dans tel ou tel cas ; il faut voir selon les circonstances et selon ses propres capacités. Il importe d’agir au niveau où l’on se trouve. C’est vous qui avez pris les vœux ; or les vœux servent à progresser et à développer la bodhicitta. Progresser signifie partir du stade où l’on est pour évoluer. Vous allez donc agir en fonction de vos propres capacités. Vous n’allez pas agir en fonction d’une règle idéale ou comme aurait agi dans la même circonstance un grand bodhisattva. Il faut faire avec ce que l’on a. C’est donc un choix personnel, sans jugement extérieur. On se penche sur la situation et on agit en son âme et conscience. Il est difficile de répondre à votre question, d’autant plus que je ne peux pas vous dire de tuer les insectes qui vous gênent ! Il est impossible de répondre à cette question de façon ferme et définitive.

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a effectivement des situations comme celle-là, qu’on ne peut pas éviter et qu’il faut affronter. En voiture par exemple, on tue des insectes et parfois de petits mammifères. On sait que cela se produit dès qu’on se met au volant, mais telle est la situation : on en est à ce stade ! Il faut d’une certaine manière l’accepter. Le cas de la maison envahie d’insectes et de souris est similaire. Il est important de savoir qu’on commet une action pouvant nuire à certains êtres ; il y a peut-être la possibilité de porter remède à cette action à travers des purifications, des prières, des pratiques, des souhaits, qui constituent de puissants moyens pour remédier à des situations où l’on doit prendre des décisions de cet ordre.

– Il a été question à un moment d’une tristesse qu’on peut éprouver au fond de soi, lorsqu’on reconnaît les erreurs du passé. Pouvez-vous développer davantage ce point ?
– De façon ordinaire, tous nos comportements sont source de tensions. Celles-ci sont de deux sortes : il y a la tension provenant des situations immédiates et temporaires, comme le travail, le contact avec les gens dans notre vie personnelle. Elle est surtout reliée à des émotions conflictuelles telles que l’attachement, la jalousie et l’orgueil.

Il y a une autre tonne de tension dans l’esprit, qui elle s’enracine dans le passé et dépasse le cadre de cette vie présente. Elle peut aussi provenir de notre jeunesse. Elle n’est pas présente chez tous, mais certains individus éprouvent des sentiments d’insatisfaction ou d’amertume : ils ont la sensation d’avoir perdu quelque chose, ils sont en recherche. C’est une espèce de sentiment très ancien qui ne trouvera vraiment sa solution que si l’on en recherche l’origine en profondeur. Pour cela il faut s’ouvrir à une autre dimension. Le plus souvent, on est simplement préoccupé par le futur immédiat. Une compréhension plus large consisteà étendre cela au niveau de plusieurs vies. Il est donc assez difficile d’introduire cette valeur, mais on peutcomparer cela aux émotions ordinaires telles que l’attachement, la jalousie ou l’orgueil. Si l’on prend conscience des traces de ce sentiment d’avoir perdu quelque chose, il se transforme peu à peu, comme pour les émotions. Au fur et à mesure on se libère naturellement de ce sentiment d’insatisfaction profonde.

Milarépa développe cette idée dans beaucoup de ses poèmes quand il parle de se libérer des conditions du samsara. La peur provient de l’attachement à l’idée d’un soi. Plus on s’ouvre, plus cette peur décroît. Au départ, c’est le fait d’être toujours centré sur nous-mêmes qui nous empêche de nous ouvrir.

Cette conférence comprend deux autres parties :
Maîtriser son esprit – partie 1
Maîtriser son esprit – partie 2

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