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Déc. — Lettre de l’Université Bouddhique Européenne (UBE)

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Actualité de l’UBE

Université Bouddhique Européenne
Université Bouddhique Européenne

Les prochains cours à Paris

Le bouddhisme et les dieux

Le bouddhisme se présente comme un non-théisme : une « religion » n’exigeant la croyance en aucun Dieu créateur. Mais si cette absence permet de le distinguer des religions révélées (judaïsme, christianisme, islam), le bouddhisme n’a jamais nié, pour autant, l’existence des dieux et des états divins qui leur sont associés ; et ceux-ci sont multiples et nombreux…
Si l’on veut éviter un comparatisme simpliste entre déisme et bouddhisme, il faudra tout d’abord préciser quelle vision l’Occident s’est faite de Dieu et du divin. Puis on étudiera les différentes présentations que les grands courants du bouddhisme ont proposé des dieux et des divinités, leur nature, leurs rôles, leurs pouvoirs, leurs relations avec les humains…

Cours de Niveau 2 – séance n° 3 : samedi 19 décembre 2009, de 15h à 18h

Dieux et divinités du Mahâyâna sino-japonaisCours public donné par Jérôme Ducor

Cours de Niveau 2 – séance n° 4 : samedi 9 janvier 2010, de 15h à 18h

Dieux et divinités du Mahâyâna indo-tibétainCours public donné par Philippe Cornu

Etude de Textes : samedi 30 janvier 2010, de 15 h à 18 h

La réfutation bouddhique de l’existence de DieuCours public donné par Marc Ballanfat

Lecture du second chapitre du « Tattvasamgraha » dans lequel le philosophe Santarakshita réfutr le théisme du Nyaya en montrant que les preuves de l’existence d’un dieu ordonnateur du monde se révèlent très fautives. On pourra comparer cette réfutation avec la critique kantienne des preuves de l’existence de Dieu.

Rencontre-débat : samedi 6 février 2010, de 15 h à 18 h

La question de Dieu – Dieu en question

Face aux théories théistes de divers mouvements religieux, les bouddhistes indiens ont eu l’occasion de développer une critique de l’idée de Dieu, notamment dans son rôle de créateur. Ce discours a généralement été repris, sans grandes modifications, face aux missions chrétiennes rencontrées à partir du XVIe siècle, ignorant ainsi les différences importantes existant entre la notion indienne de Dieu et celle développée dans les monothéismes. Cette critique bouddhiste est-elle valide face au Dieu des chrétiens ?

Cette rencontre réunira les membres du Centre de Recherche sur le Bouddhisme Contemporain (CRBC), laboratoire de l’ISTR de l’Institut catholique de Paris : enseignants de l’UBE – Jérôme Ducor, Philippe Cornu et Dominique Trotignon – et Thierry-Marie Courau, Dennis Gira, Paul Magnin et Eric Vinson.

à la « Maison des Associations du XIVe arrondissement », 22 rue Deparcieux 75014 Paris (M° Denfert-Rochereau) ; entrée gratuite, dans la limite des places disponibles


Séminaires d’études

Les deux premiers séminaires sont confirmés et il reste quelques places disponibles (3…) pour chacun d’eux. Si vous êtes intéressés, merci de vous faire connaître rapidement !

1er cycle : Bouddhisme tantrique et alchimie

directeur d’étude : Françoise Bonardel

Nombre d’Occidentaux portent aujourd’hui au tantrisme indo-tibétain un vif intérêt, sans réaliser qu’ils renouent ainsi avec l’art secret que fut en Occident l’alchimie. La plupart des pratiques tantriques du Vajrayâna mettent en ouvre un processus de « transmutation » d’ordre alchimique, dont on rappelera les bases théoriques et la finalité, concrète et spirituelle. Ce rapprochement invite à s’interroger sur la nature réelle de la non-dualité qui, dans un cas comme dans l’autre, en est le fondement : coïncidence des opposés ou vacuité (sûnyatâ) ?

Calendrier des sessions : les lundis : 18 janvier, 22 février, 22 mars et 19 avril 2010

2e cycle – La Base primordiale de l’esprit, selon l’approche du Dzogchen

directeur d’étude : Philippe Cornu

Connaître l’esprit est une clé pour comprendre le karma, l’illusion et la méditation. Le Yogacara présente déjà une analyse très fine des fonctions de l’esprit. Mais le Dzogchen ou Grande Perfection va plus loin, car la nature fondamentale de l’esprit, dénommée Base primordiale, est à l’origine à la fois du samsâra et du nirvâna. Comprendre la Base et son dynamisme permet d’embrasser la génèse de tous les phénomènes et leur possible libération au sein de l’espace de la réalité. Philippe Cornu s’appuiera notamment sur l’oeuvre de Longchenpa (1308-1364) pour aborder ce thème.

Calendrier des sessions : les mardis : 19 janvier, 2 février, 9 et 30 mars 2010



Actualité de l’édition

Quelques livres nouvellement parus et à paraître prochainement

La présentation des « livres à paraître » était possible grâce au service « Electre », base de données des professionnels du livre, accessible (presque) gratuitement sur Minitel…

Depuis le 1er décembre dernier, ce service n’existe plus sur Minitel
et nécessite, sur Internet, un abonnement au tarif (très… trop !) élevé.
Nous ne serons donc plus en mesure, dorénavant, de vous fournir ce genre d’informations…

Voici – en raout d’honneur – les dernières informations dont nous disposions !

L’art du pardon, de la bonté et de la paix

Jack Kornfield

Editions : Pocket, coll. « Spiritualité » – Date de parution : 05/11/2009

N° ISBN : 978-2-266-17850-1- Prix de vente : 6,50 €

Présentation du livre par l’éditeur : Moine bouddhiste formé en Thaïlande, en Birmanie et en Inde, J. Kornfield propose un choix de citations, d’anecdotes et de récits édifiants rappelant combien le pardon et la bienveillance ont le pouvoir de transformer chaque personne en apportant la paix intérieure.

Niveau de lecture : Tout public

Le yoga de la sagesse

Tenzin Gyaztso, XIVe Dalaï-lama

Editions : Le Seuil, coll. « Points, Sagesses » n° 154 – Date de parution : 05/11/2009

N° ISBN : 978-2-7578-1540-3 – Prix de vente : 7,00 €

Présentation du livre par l’éditeur : Issu d’un enseignement donné par le dalaï-lama en 1986, cet ouvrage explique comment la pratique tantrique s’imbrique dans celle du bouddhisme.

Niveau de lecture : Tout public

Le miroir au sens limpide : trésor du dzogchen

Nuden Dorje, commentaires de James Low

Editions : Almora – Date de parution : 18/11/2009

N° ISBN : 978-2-35118-043-3 – Prix de vente : pas d’indication de prix

Présentation du livre par l’éditeur : Ce livre traite de la vue et de la pratique du dzogchen, la grande perfection naturelle, voie directe permettant d’actualiser la nature essentielle de l’esprit. Le dzogchen est une école de bouddhisme tibétain dont les enseignements pénètrent peu à peu en Occident grâce à des maîtres comme Namkhai Norbu ou Sogyal Rimpoché. Le texte expose les différents points de cet entraînement spirituel.

Niveau de lecture : Tout public

Le Vessantara-jataka

ou L’avant dernière incarnation du Bouddha Gautama : une épopée bouddhique


Traduction et présentation de Jean-Pierre Osier

Editions : Cerf, coll. « Patrimoines » – Date de parution : 19/11/2009

N° ISBN : 978-2-204-08982-1 – Prix de vente : 24,00 €

Présentation du livre par l’éditeur : Ce récit en vers et en prose raconte comment le roi Vessantara a conquis la perfection du don en donnant son propre corps, son royaume, sa femme et ses enfants pour parvenir à la perfection de l’éveil comme Bouddha.

Niveau de lecture : Public motivé

Petit traité de zen à l’usage des femmes

Grazyna Perl et Arnaud Gonzague

Editions : Seuil – Date de parution : 31/12/2009

N° ISBN : 978-2-02-098298-6 – Prix de vente : 17,00 €

Présentation du livre par l’éditeur : La peintre d’origine polonaise, maître zen de tradition coréenne, sous le nom de maître Bon Yo, partage ses réflexions sur le bouddhisme zen et les sociétés modernes, la place des femmes dans le bouddhisme, etc.

Niveau de lecture : Tout public



Actualités du bouddhisme en France

1-Cernuschi-expo
1-Cernuschi-expo

Expositions

Musée Cernuschi

du 18 septembre 2009 au 3 janvier 2010

Les buddhas du shandong

Cette exposition de buddhas et bodhisattva trouvés en 1996 dans la ville chinoise de Qingzhou (Province du Shandong) est présentée pour la première fois en France au musée Cernuschi.

Toutes les statues datent du VIe siècle, apogée de la statuaire bouddhique en Chine. Encore inconnues du grand public, les pièces par leur taille, le raffinement de leur traitement, leur état exceptionnel de conservation et les restes de leur polychromie, constituent l’un des sommets de la statuaire asiatique.

– Musée Cernuschi

musée des arts de l’Asie de la Ville de Paris

7 avenue Vélasquez 75008 Paris

(l’entrée de l’avenue Vélasquez se situe au niveau du 111-113 boulevard Malesherbes, et par le Parc Monceau, allée centrale)

Tél. 01 53 96 21 50

Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, sauf les lundis et jours fériés.

=> en savoir plus


Musée Guimet

du 7 octobre 2009 au 25 janvier 2010

Au pays du Dragon : arts sacrés du Bhoutan

Cette exposition réunira pour la première fois une centaine d’œuvres bouddhiques prêtées par divers temples et monastères du Bhoutan, royaume himalayen situé entre le Tibet et l’état indien de l’Assam, et qui constitue une enclave miraculeusement préservée et vivante du bouddhisme tibétain.

Objets de culte, composée d’une majorité de thangkas, peints ou brodés, parfois de très grandes dimensions, mais aussi de sculptures métalliques et de quelques objets liturgiques, s’échelonnant du VIIIe au XIXe siècles, ces pièces n’avaient jamais pour la plupart été présentées en dehors du Bhoutan.

Une série de films exceptionnels et inédits, tournés dans le pays, consacrés aux danses bouddhiques rituelles ou cham, accomplies par les moines lors de certaines grandes fêtes, complètera l’exposition.

En outre, deux moines bhoutanais qui accompagneront celle-ci, exécuteront des rituels journaliers, dans un espace aménagé pour l’occasion au sein du musée, et qui sera accessible au public.

– Renseignements : Musée national des Arts asiatiques-Guimet

6 place Iéna, 75016 Paris. Tél. 01.40.73.88.18.



Actualités du bouddhisme sur Internet

L’Union Bouddhiste de France vient de se doter d’un nouveau site Internet entièrement rénové : http://www.bouddhisme-france.org/

On y trouvera plusieurs rubriques présentant :

– l’Union Bouddhiste de France, fédération de centres bouddhistes de France
– l’émission de télévision « Sagesses bouddhistes » (programme des prochaines émissions, transcription de certaines d’entre elles, etc.)
– les reliques du Bouddha historique, installées à la grande Pagode du Bois de Vincennes (cérémonies, histoire des reliques, quand et comment les voir, etc.)
– les activité à la Grande Pagode du Bois de Vincennes
– les livres présentés lors des émissions « Sagesses bouddhistes » et la documentation juridique concernant les centres bouddhistes
– les « Lettres d’information » de l’UBF…


Buddhachannel
Buddhachannel

Le site Buddhachannel propose, depuis trois ans, de nombreux articles
ainsi que des reportages vidéos consacrés au bouddhisme (plus de 1000 à ce jour : enseignements, actualités, reportages, etc.).

Chaque semaine, un dossier thématique propose un ensemble de contributions sur un thème donné, dont régulièrement un thème lié au bouddhisme.

Certains événements donnent aussi lieu à des dossiers particuliers…

www.buddhachannel.tv

Les « Dossiers » thématiques hebdomadaires à venir…

du 30 novembre au 6 décembre : Himalaya, Himalayens
du 7 au 13 décembre : Moines de Thaïlande
du 14 au 20 décembre : Offrande
du 21 au 27 décembre : Joyeuses Fêtes
du 28 décembre au 3 janvier : 11ème Congrès Sakyadhita Vietnam 2010
du 4 au 10 janvier : L’esprit du Débutant
du 11 au 17 janvier : Thich Nhât Hanh & le Village des Pruniers
du 18 au 24 janvier : Bouddhisme & écologie
du 25 au 31 janvier : Et le Tibet?



Saint Josaphat

quand l’église chrétienne canonisait le Buddha…

saint Josaphat enseignant (manuscrit grec du XIIe siècle)
saint Josaphat enseignant (manuscrit grec du XIIe siècle)

Aussi étrange que cela puisse paraître, catholiques et orthodoxes célèbrent le Bouddha comme un saint chrétien, sous le nom de saint Josaphat… du moins l’ont-ils fait pendant longtemps – sans le savoir !

L’histoire de saint Josaphat et de saint Barlaam, qui se déroule en Inde, il y a bien longtemps, a été un véritable « best seller » au Moyen-Age. La renommée de saint Josaphat était telle que le pape Sixte Quint, en 1583, le fit officiellement entrer dans le « Martyrologue » chrétien. Sa fête est célébrée, dans l’église catholique, le 27 novembre, alors que les orthodoxes grecs le célèbrent le 26 août et les orthodoxes russes le 19 novembre.

C’est en 1860 que deux érudits, Labourlaye et Liebrecht, indépendamment l’un de l’autre, ont pu établir que Josaphat et Bouddha n’était qu’un seul et même personnage. Depuis lors, de nombreux chercheurs se sont penchés sur la question et l’on peut désormais, avec un peu de certitude, suivre le long et étonnant cheminement de cette histoire…


De l’Inde à la Méditerranée…

icône russe
icône russe
Tout commence en Inde, bien évidemment !

Il faut attendre les alentours de l’ère chrétienne pour voir apparaître, dans la littérature bouddhique, des biographies du Bouddha à peu près organisées. Simples compilations, au départ, d’épisodes épars dans les textes des Sûtra et du Vinaya (recueils des enseignements du Bouddha et des règles de vie monastiques), ces biographies deviendront bientôt des oeuvres à part entière, fort élaborées, dont on connaît plusieurs grands exemples, comme le Buddha-carita du poète Asvaghosa (IIe s.) ou le Lalita Vistara (IIIe-IVe s.).

Au cours de ces premiers siècles de l’ère chrétienne, le bouddhisme se répand en Asie centrale, grâce, notamment, au grand empire Kushan qui s’étend depuis la vallée du Gange jusqu’aux confins du désert de Takla-Makan, véritable porte d’entrée des célèbres « routes de la Soie ». Entre Chine et Perse, ces routes sont jalonnées de nombreuses villes-oasis par où transitent les marchandises de toute l’Asie… mais aussi les religions et leurs légendes !

Or, c’est dans la ville de Tourfan (dans la province actuelle du Xinjiang chinois) qu’on a découvert un fragment de manuscrit d’origine manichéenne, écrit en vieux persan, rapportant un dialogue entre deux personnages appelés Bylwhr et Bwdysf (Budasf), qui correspond à un passage connu de la légende de saint Barlaam et saint Josaphat.

Que la vie du Bouddha ait pu intéresser les manichéens ne doit pas nous surprendre. On dit du Perse Mani (216-273), fondateur du manichéisme, qu’il s’est rendu lui-même en Inde… où on l’aurait d’ailleurs comparé au Bouddha ! Cet homme, hors du commun et chrétien d’origine, se disait inspiré par l’apôtre Thomas (dont on pensait qu’il avait évangélisé l’Inde) et souhaita réaliser une synthèse du christianisme, du zoroastrisme de Perse et du bouddhisme.

On ignore avec quelle forme du bouddhisme il a pu être en contact (à cette époque, diverses écoles du bouddhisme ancien, mais aussi du Mahâyâna, étaient implantées en Asie centrale), mais la biographie du Bouddha, si populaire chez tous les peuples bouddhistes, devait vraisemblablement lui être connue, notamment tout ce qui se rapportait à son enfance et à sa vocation – qu’on retrouvera dans la légende de saint Josaphat.

Mani a sans doute été sensible à l’orientation ascétique présente dans ces textes, tout comme aux enseignements sur la vanité des choses mondaines, que lui-même professait. De plus, on constate que la communauté bouddhique offre quelques points de ressemblance avec celle que lui-même préconise : les bhikkhu (moines) et upasaka (laïcs) bouddhistes jouent, les uns vis-à-vis des autres, à peu près le même rôle que les « élus » et les « auditeurs » du manichéisme, les seconds soutenant matériellement les premiers, qui se vouent complètement à leur démarche spirituelle et à l’enseignement ; de même Mani recommande à ces « élus » de respecter cinq « commandements » qui correspondent, à peu de choses près, aux cinq préceptes bouddhiques. Cela dit, on ne trouvera nullement dans les textes bouddhiques le rejet total du corps, présenté comme une menace pour l’âme, seule existante, qu’enseigne Mani !

De l’Asie centrale et de la Perse, la biographie du Bouddha pénètrera plus tard le monde arabe et parvient finalement aux bords de la Méditerranée : une bibliographie d’origine arabe nous apprend que, dans la seconde moitié du VIIIe s., au sein de la communauté des ismaélites de Syrie, des textes persans sont traduits, d’abord en syrien puis en arabe, sous le nom de « Livre de Bilawhar et Yûdâsaf » (Kitab Bilawhar wa-Yudasaf). Les musulmans, peu sensibles aux vertus ascétiques, restent assez proches de leurs modèles perses et ne font que retranscrire les textes en y ajoutant quelques remarques d’ordre monothéiste qui n’altèrent pas le récit même de la vie du Bouddha.

Histoire de Bilawhar et Yûdâsaf

Manuscrit médiéval représentant Josaphat, hors du palais d'où son père l'observe, lors de sa rencontre avec un lépreux et un aveugle.
Manuscrit médiéval représentant Josaphat, hors du palais d’où son père l’observe, lors de sa rencontre avec un lépreux et un aveugle.
Il y a bien longtemps, en Inde, vivait un roi du nom d’Abénès. Païen, serviteur d’idoles, il se désespérait de n’avoir pas de fils pour lui succéder quand naquit enfin un garçon, qu’il nomma Yûdâsaf. Mais un sage devin lui annonça que ce dernier ne régnerait pas sur le royaume de son père parce qu’il deviendrait « un grand guide sur la voie de la vérité ».

Le roi, mécontent, fit chasser les hommes de dieu de son royaume et décida d’enfermer son fils dans un palais splendide, à l’abri du spectacle des misères de ce monde. Il était interdit de lui parler « de mort, de vieillesse, d’infirmité, de pauvreté » et, si un serviteur tombait malade, on le chassait et on le remplaçait par un bien portant.

Yûdâsaf, devenu adulte, se plaignit de sa réclusion. Son père organisa alors ses sorties de façon que rien de déplaisant ou de triste ne puisse être vu par le prince. Mais, bien évidemment, un jour, le prince fit la rencontre d’un lépreux et d’un aveugle, qui lui révélèrent l’existence de la maladie, puis celle d’un vieillard ridé, courbé et édenté, qui lui apprit la vieillesse. Ses serviteurs, intérrogés, finirent par lui faire comprendre, aussi, ce qu’était la mort. Ces révélations lui donnèrent à penser…

C’est alors que Bilawhar, un sage moine (monothéiste !) qui vivait dans le désert, eut l’intuition de ce que devait devenir Yûdâsaf. Il quitta son refuge et arriva en ville. Ayant rencontré le prince, il l’instruisit à l’aide de plusieurs paraboles. Certaines d’entre elles ne manqueront pas d’évoquer quelques souvenirs aux bouddhistes, comme, par exemple, cet enseignement sur l’existence comme illusion et les dangers des plaisirs sensuels…

« Ceux qui convoitent les délectations corporelles et qui laissent mourir leur âme de faim ressemblent à un homme qui s’enfuirait au plus vite devant une licorne qui va le dévorer, et qui tombe dans un abîme profond. Or, en tombant, il a saisi avec les mains un arbrisseau et il a posé les pieds sur un endroit glissant et friable ; il voit deux rats, l’un blanc et l’autre noir, occupés à ronger sans cesse la racine de l’arbuste qu’il a saisi, et bientôt, ils l’auront coupée. Au fond du gouffre, il aperçoit un dragon terrible vomissant des flammes et ouvrant la gueule pour le dévorer ; sur place où il a mis les pieds, il distingue quatre aspics qui montrent tête. Mais, en levant les yeux, il voit un peu de miel qui coule des branches de cet arbuste ; alors il oublie le danger auquel il se trouve exposé, et se livre tout entier au plaisir de goûter ce peu de miel.

La licorne est la figure de la mort, qui poursuit l’homme sans cesse et qui aspire à le prendre ; l’abîme, c’est le monde avec tous les maux dont il est plein. L’arbuste, c’est la vie d’un chacun qui est rongée sans arrêt par toutes les heures du jour et de la nuit, comme par les rats noir et blanc, et qui va être coupée. La place où sont les quatre aspics, c’est le corps composé de quatre éléments, dont les désordres amènent la dissolution de ce corps. Le dragon terrible est la gueule de l’enfer, qui convoite de dévorer tous les hommes. Le miel du rameau, c’est le plaisir trompeur du monde, par lequel l’homme se laisse séduire, et qui lui cache provisoirement le péril qui l’environne. »

Cette parabole - la plus célèbre de la légende - connut de très nombreuses représentations dans l'art occidental, au Moyen-Age et à la Renaissance. En voici quelques exemples
Cette parabole – la plus célèbre de la légende – connut de très nombreuses représentations dans l’art occidental, au Moyen-Age et à la Renaissance. En voici quelques exemples

Tout l’enseignement de Bilawhar repose sur l’opposition entre Réalité et Illusion. Suit une autre parabole qui illustre la façon de se forger un bon « karma » ! Bilawhar évoque ce qui importe et que l’on néglige, ou plutôt : ce que l’on néglige ordinairement et qui importera en fin de compte.

« Celui qui aime le monde est semblable à celui qui a trois amis. L’un qu’il aime plus que lui-même, l’autre autant que lui-même et le dernier moins que lui-même. Il est un jour convoqué par le roi et se sent en grand danger d’être jugé. Il se précipite chez son premier ami qui lui dit être trop occupé mais lui offre quelques tissus afin de se faire un vêtement. Il va ensuite voir le deuxième ami, qui lui dit avoir lui-même beaucoup de soucis mais qui accepte de l’accompagner jusqu’à la porte du palais. En désespoir de cause, il se rend chez son troisième ami. Il lui fait des excuses et implore son aide. Ce dernier lui fait bon accueil, l’appelle son ami très cher et lui rappelle qu’il lui a rendu de menus services dont il est très reconnaissant. Non seulement il l’accompagnera jusqu’au palais mais il plaidera en sa faveur. Le premier ami est la possession des richesses de ce monde qui ne peut offrir rien d’autre qu’un linceul au seuil de la mort, le second représente la famille et les amis, eux-mêmes pris par leurs propres tourments, ils peuvent seulement accompagner l’homme jusqu’au bout de sa vie. Le troisième représente les bonnes oeuvres qui témoigneront pour lui, lors du jugement. »

Suivent encore d’autres paraboles pour montrer que les véritables richesses ne sont pas matérielles puis Bilawhar quitte Yûdâsaf, lui expliquant qu’il doit encore subir un temps d’épreuves avant de le rejoindre.

A la suite de ces « Quatre rencontres », Yûdâsaf sera, en effet, soumis à plusieurs épreuves car le Roi a remarqué des changements dans le comportement de son fils et, après enquête, en est parvenu à la conclusion qu’il a été converti. Il entend alors user de ruses diverses pour le détourner de sa vocation : il organise tout d’abord un débat d’ordre théologique, mais Yûdâsaf triomphe ! Puis il soumet son fils à la tentation charnelle… celui-ci cède à moitié et, de son relâchement, naîtra un futur héritier pour le trône. De joie, le roi se convertit…

Comme le Bouddha, après la naissance de son fils Rahula, demeuré au palais, Yûdâsaf n’en continue pas moins de nourrir en secret le désir de quitter le monde et de vivre à son tour une vie d’ascèse, telle celle que lui a vanté le saint Bilawhar. Un ange bientôt lui apparaît qui l’incite à prendre la fuite… Le prince s’échappe alors : c’est le « Grand Départ » !

Quittant ses habits de prince, Yûdâsaf les échange avec ceux d’un mendiant et il mène alors enfin la vie d’ascète dont il rêvait. Durant quelques années de solitude « au désert », il est initié à la « science du grand Tout », puis revient dans son royaume, en convertit toute la population, console son père sur son lit de mort, désigne comme régent le tuteur de son fils et s’en repart définitivement mener sa vie…

enluminures du XVe siècle représentant les lamentations de Josaphat retenu au palais
enluminures du XVe siècle représentant les lamentations de Josaphat retenu au palais
On aura reconnu là les principaux épisodes de la vie du Bouddha, jusqu’à son retour dans sa ville natale de Kapilavastu, à l’occasion duquel il convertit lui aussi nombre de ses anciens compatriotes, qui deviennent bhikkhu à sa suite… y compris son fils Rahula – ce que les arabes, et leurs prédécesseurs perses, semblent ignorer ! Même l’intervention d’un ange, pour inciter Yûdâsaf à quitter le palais paternel, ne semble pas un anachronisme musulman, car bien des versions bouddhiques évoquent l’intervention des dieux à cette occasion, qui iront jusqu’à soutenir les sabots du cheval du prince pour lui éviter de réveiller les habitants du palais pensant sa fuite.

Ces textes arabes seront eux-mêmes à l’origine de plusieurs récits écrits en géorgien.

Comment Bouddha devient saint Josaphat…

Située sur la frontière de l’Europe et de l’Asie, entre Mer Noire et Mer Caspienne, la Géorgie est l’une des premières nations à avoir adopté la religion chrétienne comme religion officielle, au début du IVe s. de notre ère, et c’est bien sur ces terres que l’histoire du Bouddha commence à devenir chrétienne !…

On connaît trois rédactions géorgiennes différentes de l’histoire, dont les personnages s’appellent désormais Balahwar et Iodasaph. Une version « longue », qui nous est conservée dans un manuscrit datant du XIe s., une version « courte », dont le plus ancien manuscrit date du XIIe s., ainsi qu’une version encore plus ancienne, du IXe s., très proche encore des textes arabes et, donc, fort peu christianisée.

Les chrétiens, beaucoup plus que les musulmans, seront particulièrement sensibles aux éloges de l’ascétisme contenus dans le récit… Le monachisme est alors considéré, en chrétienté, comme la meilleure manière de vivre en imitation de Jésus et la vie du Bouddha – christianisée – deviendra une sorte de modèle de cette vocation : appel irrésistible malgré l’éducation reçue et les efforts de la famille pour en écarter, recherche de l’absolu dans la solitude, résistance aux épreuves et à la tentation – notamment de la chair ! Car quelques « entorses » par rapport à la légende initiale apparaissent et, innovation totalement chrétienne, Iodasaph résiste aux femmes tentatrices que son père lui envoie et il quittera le palais sans avoir connu d’épouse ni donné d’héritier au royaume qu’il abandonne…

Désormais entrée en territoire chrétien, l’histoire du Buddha va connaître encore de multiples traductions et adaptations successives.

Dans la seconde moitié du Xe siècle, Euthyme, un célèbre moine-traducteur géorgien résidant au monastère Iviron du mont Athos, en Grêce, effectue la première traduction en grec (Iodasaph devient Ioasaph) du récit géorgien. Cette version nous est connue par un manuscrit datant de 1021. Elle-même donnera naissance à plusieurs autres traductions : en arménien, en slave et en latin (langue dans laquelle Ioasaph devient Iosaphat ou Josaphat, puisqu’on ne fait pas de différence graphique entre « i » et « j » en latin).

Aux alentours de 1047-1048, un moine « voyageur » se rend à Constantinople où, rapporte-t-il lui-même, une « ardente curiosité [l]’entraîna parmi les livres grecs où [il] souhaitai[t] faire quelque découverte mémorable » ! Un homme survint, appelé Léon, qui lui remit un livre.

« Cet homme me pria, au nom de l’amour de Dieu et de la vénération due à la mémoire du bienheureux Barlaam, de traduire du grec en latin, en une langue accessible, cette œuvre de l’Antiquité, inconnue, qui jamais jusqu’alors n’avait été traduite et était ensevelie dans le plus profond oubli. […] Je m’engageai à la traduire mot à mot et fidèlement, à la manière des Anciens, puis je m’appliquai à en accentuer la portée là où je le crus à propos, fut-ce au prix de quelques changements, afin de rendre ma version plus attrayante pour le lecteur de bonne foi… ».

C’est cette version latine qui se répandra par la suite dans toute la chrétienté occidentale. L’incroyable succès de ce récit est certainement dû à l’œuvre de Jacques de Voragine, théologien dominicain, archevêque de Gênes, qui vécut de 1225 à 1298 et qui rédigea, vers 1264, la très célèbre « Légende Dorée », recueil de « Vies des Saints » qui connut un succès considérable ! La version qu’il y donna de la vie de saint Barlaam et saint Josaphat devint un « best seller » du Moyen-Age… On en possède encore aujourd’hui de multiples versions, en vers et en prose, ainsi que des adaptations scéniques, dans quasiment toutes les langues européennes : français, italien, espagnol, provençal, portugais, irlandais, allemand, anglais, néerlandais, norvégien et suédois !…


Pour en savoir plus…

– Deux articles de Serge Leclerc , publiés dans la revue « Tao yin » : « Bouddha, Josaphat & Barlaam : La Légende dorée et son message. »

=> http://wusong.free.fr/biblio/voidasi0/josaphat.htm

et http://wusong.free.fr/biblio/voidasi0/josapha2.htm

– Les Editions Gallimard ont publié en 1993, dans la collection « Connaissance de l’Orient », une traduction française de la version géorgienne de la vie de saint Josaphat, sous le titre « La sagesse de Balahvar. Une vie christianisée du Bouddha ». Les traducteurs Annie et Jean-Pierre Mahé ont accompagné la traduction d’une excellente introduction.

– Pour la vie du Josaphat proprement chrétien, saint et martyr, on consultera avec profit le site suisse de l’abbaye Saint-Benoît de Port-Valais, qui reproduit l’ouvrage « La Légende dorée », du dominicain Jacques de Voragine :

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/tome03/181.htm


Source : La lettre de l’UBE

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