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Le kusen Genjô-kôan de Dôgen Zenji – par Shohaku Okumura

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Le kusen Genjô-kôan de Dôgen Zenji

par Shohaku Okumura

Introduction

Shohaku Okumura
Shohaku Okumura
Le Genjô-kôan est l’un des chapitres les mieux connus du Shôbôgenzô de Dôgen Zenji.

C’est le meilleur texte par lequel commencer à étudier les enseignements de Dôgen. Le Genjô-kôan est vraiment important si l’on veut comprendre le sens de la pratique de Zazen et des activités quotidiennes en tant que pratique du bodhisattva. En tant que pratiquant, la compréhension intellectuelle seule ne suffit pas. C’est pourquoi Dôgen a écrit de nombreuses instructions sur la manière de pratiquer tous les jours. Afin de montrer comment s’asseoir en Zazen, il a écrit le Fukanzazengi, (Recommandation Universelle de Zazen), afin de montrer comment manger dans le Zendô, il a écrit le Fushukuhanpo (Dharma des Repas), et pour montrer comment travailler dans la cuisine, il a écrit le Tenzo Kyôkun (Instruction pour le Tenzo ou cuisinier dans un monastère).

Il existe de nombreuses autres instructions très concrètes sur la façon de se comporter, de travailler et quelle sorte d’attitude nous devons garder par devers nos propres vies. Non pas simplement pour la pratique dans un monastère, mais même pour nous, modernes, ses enseignements sont ils pertinents. Il y a de nombreuses façons concrètes de pratiquer qu’il a enseignées à ses élèves, et sa philosophie de base est exprimée dans le Shôbôgenzô. Et le Genjô-kôan est le premier chapitre du Shôbôgenzô. La philosophie de base de notre vie, jour après jour en tant que pratique de la voie du bodhisattva, est très précisément, et aussi de façon très concentrée, écrite dans ce court écrit, le Genjô-kôan.

Je voudrais aujourd’hui parler de ce qu’est la position du Genjô-kôan dans les écrits de Dôgen Zenji et aussi sur le sens du titre « Genjô-kôan. »

Position du Genjô-kôan dans les écrits de Dôgen Zenji

Dôgen Zenji est né en l’an 1200 d.n.è. à Kyôto, au Japon. Dans trois ans, nous en serons au 800 ème anniversaire de sa naissance. Il fut ordonné en tant que moine Tendai alors qu’il avait treize ans, au Mont Hiei près de Kyôto. Selon sa biographie, on dit qu’il avait une question au sujet de la doctrine Mahâyana, en particulier les enseignements Tendai de son temps. A l’époque, la doctrine tendai-hongaku-homon (enseignement Tendai de l’éveil originel) était très populaire et les gens disaient souvent: « Tous les êtres ont la nature de Bouddha et ainsi, ces êtres sont en fait des Bouddhas; ils sont éveillés depuis le début. » La question de Dôgen était que, dans ce cas, pourquoi les Bouddhas doivent ils éveiller l’esprit de recherche de la voie , étudier les enseignements des Bouddhas et pratiquer avant de devenir des Bouddhas. Pourquoi faudrait-il qu’ils pratiquent, si tous les êtres sont déjà éveillés, s’ils sont déjà, par nature, des Bouddhas?

Il visita de nombreux maîtres de l’époque, mais aucun de lui donna une réponse qui le satisfît. Il quitta donc l’école Tendai et commença à pratiquer le Zen alors qu’il avait dix-sept ans au Kennin-ji avec le disciple d’Eisai, Myôzen. Plus tard, Dôgen et Myôzen partirent pour la Chine ensemble, parce que le Zen était quelque chose de si nouveau au japon à l’époque, comme ça l’est en Amérique aujourd’hui. Ils voulaient donc aller en Chine ensemble et étudier le Zen chinois traditionnel, authentique. Dôgen resta en Chine pendant cinq ans jusqu’à l’âge de So they wanted ans. Il pratiqua avec le maître Zen Sôtô Nyojô, et reçut de lui la transmission du Dharma.

Il revint au Japon en 1227. Juste après son retour de Chine, il écrivit le Fukanzazengi (La Méthode Universelle de Zazen) pour montrer comment pratiquer Zazen ainsi que ses significations essentielles. Il écrivit le Bendowa (Discours sur la Pratique de Tout Coeur de la Voie) alors qu’il avait trente ans. Dans le Bendowa il discuta un peu plus du sens de zazen, dans le contexte des enseignements bouddhiques, et il fit dix-huit questions et réponses.
En 1233, il fonda son propre monastère, le Kosho-ji. La même année, il réécrivit le Fukanzazengi. Pendant la première période de pratique d’été, il écrivit le Hannya Haramitsu (Maha Prajna Paramita). Ce court ouvrage est le commentaire de Dögen sur le Sûtra du Coeur. A l’automne de la même année, il écrivit le Genjô-kôan. Je pense que ces deux courts écrits expriment sa propre compréhension fondamentale des enseignements bouddhiques. Pour lui, la pratique de Zazen est celle de la Prajñâ Pâramitâ, et dans le Genjô-kôan il exprima la même philosophie, à sa manière très poétique à lui. Dôgen Zenji demeura au Koshoji pendant dix ans et déménagea à Echizen pour fonder le Eiheiji en 1243. Il vécut encore dix ans pour établir son propre monastère dans les montagnes reculées. Il produisit de nombreux écrits jusqu’à la fin de sa vie, en 1253.

Ainsi qu’il est dit dans l’apostille du texte, le Genjô-kôan fut compilé dans la quatrième année de Kencho, c’est à dire en 1252. Quelques chercheurs ont discuter sur le sens de ce mot « compiler » (shuroku en japonais); certains pensent que c’était à l’époque où Dôgen Zenji a mis le Genjô-kôan en tant que premier chapitre du Shôbôgenzô. Le Shôbôgenzô comprend environ quatre-vingt-quinze chapitres et il y a plusieurs versions différentes, comme la version en 75 chapitres, celle en 12 chapitres, celle en 60 chapitres, celle en 28 chapitres et une autre en 12 chapitres. Traditionellement, la version en soixante et quinze chapitres était considérée comme étant la collection originale de Dôgen Zenji. Les spécialistes pensaient qu’il avait écrit douze autres chapitres après avoir compilé la version du Shôbôgenzô en 75 chapitres. A l’ère Tokugawa, les spécialistes Sôtô ont ajouté de nombreux autres chapitres et ont publié la version en quatre-vingt quinze chapitres du Shôbôgenzô (version Honzanban).

Il existe une autre école de spécialistes qui pense que Dôgen Zenji n’était pas satisfait de ce qu’il avait écrit dans la version en 75 chapitres et qu’il avait commencé la version en 12 chapitres en tant que nouveau départ d’une réécriture du Shôbôgenzô dans laquelle il entendait inclure 100 chapitres. Quoi qu’il en soit, le premier chapitre de la version en 75 chapitres du Shôbôgenzô est le Genjô-kôan. Quoique le Genjôkôan ait été écrit alors qu’il était très jeune, Dôgen l’a probablement réécrit dans l’année avant sa mort.

L’expression « Genjô-kôan » est utilisée à plusieurs reprises dans la version en 75 chapitres du Shôbôgenzô. Quelqu’un a fait le compte du nombre de fois que Dôgen utilise cette expression et on dit qu’il a écrit « Genjô-kôan » vingt-cinq fois dans les divers chapitres, et, dans le cas de « Genjô » seul, il s’en est servi plus de 300 fois en soixante-trois chapitres. Ce mot, « Genjô » est donc un mot-clef pour comprendre les enseignements de Dôgen Zenji dans le Shôbôgenzô.

Le sens du titre « Genjô-kôan »

Je voudrais ensuite parler de ce que signifie « Genjôkôan ». Ceci est Genjôkôan (le texte donne les caractères chinois) en caractères chinois; Kanji.

Ceci est le caractère chinois pour GEN (donne le kanji). GEN signifie apparaître, et être au moment présent. En japonais, (donne le kanji) signifie « moment présent », et une autre expression, GENDAI (donne les kanji) signifie « temps modernes ». Fondamentalement, GEN a ces deux significations: apparaître, se montrer, quelque chose que nous ne pouvions pas voir et que nous voyons maintenant, de sorte qu’il signifie manifestation ou actualisation, quelque chose qui était potentiel devient réel; c’est ce qu’est GEN.

JÔ (donne le kanji) signifie « devenir », « compléter », ou « accomplir ». GENJÔ en tant que terme composé signifie, comme verbe, « manifester » ou « actualiser » (apparaître et devenir). En tant que nom, il implique la réalité se produisant factuellement et actuellement.
KÔ (donne le kanji) signifie être public. Le problem est AN. (donne les kanji) KÔAN est un mot très célèbre dans le Zen, en particulier dans la tradition Rinzai. La pratique du Zen Rinzai « pratique des kôan ». Dans le cas de la pratique des kôan, ce dernier fait allusion à des histoires, ou dits rapportés des anciens maîtres chinois. Ces histoires ou dits sont l’expression de la vérité ou de la réalité.

Dès la dynastie des Song, en Chine (11ème – 13ème siècle), on a fait usages des kôan comme de méthode pour éduquer les élèves. Les maîtres Zen masters donnaient un kôan comme question avec laquelle les élèves devaient travailler.

Les maîtres Rinzai japonais, en particulier Zenji (18ème siècle) ont développé un système de pratique des Kôan. La tradition Rinzai de pratique des Kôan fut introduite en Occident par D.T. Suzuki. Dans la pratique des kôan, un kôan est une expression de la vérité ou de la réalité, et c’est aussi une question que les pratiquants doivent résoudre. Dans l’usage commun, le kanji utilisé pour kôan est celui-ci: (donne les kanji).

La partie supérieure (donne le kanji) signifie « placer » or « être calme ». La partie inférieure (donne le kanji) signifie bois ou arbre. Le sens originel de ce kanji est un pupitre. Un pupitre est un endroit où l’on réfléchit, lit et écrit. Cet « AN » a aussi le sens de papier ou de document sur le pupitre.

Il y a un autre kanji qu’on utilise pour KÔAN, et c’est (donne le kanji). Dans le cas de ce kanji (donne une partie du kanji), le côté gauche signifie « main ». Le sens littéral de ce kanji est de presser, de pousser avec une main ou un doigt. Par exemple, en japonais, massage est « an-ma. » (donne les kanji) Ce « an » est donc presser pour masser ou pour soigner. Ce kanji signifie aussi « mener une investigation » pour remettre les choses en ordre, lorsqu’elles sont désordonnées.

Ces deux caractères chinois peuvent être utilisés alternativement l’un pour l’autre parce qu’ils ont la même prononciation. On peut interpréter les deux (caractères) comme le même mot. Actuellement, même dans un dictionnaire de mots Zen comme le Zengaku-dai-jiten, ces deux sont considérés n’être qu’un seul et même mot. De sorte qu’il n’est peut-être pas approprié d’opérer des distinctions entre eux.

Le sens commun du mot kôan (donne le kanji) est celui de document public qui se trouve sur le pupitre d’un bureau du gouvernement. Ce qui signifie qu’une loi a été publiée, dans le cas de la Chine ancienne, par l’Empereur. Une fois qu’une loi a été publiée au nom de l’Empereur, elle ne peut être changée et tout le monde doit l’observer. Personne n’a le droit de la mettre en doute ou de s’en plaindre. Dans le Zen, les gens voyaient les kôans de la même manière que les document administratifs sur lesquels étaient publiées les lois ou les règlements. Les kôans expriment la nature inchangeante de la vérité ou réalitée.

Cependant, dans le plus ancien commentaire sur le Shôbôgenzô de Dôgen Zenji, fait par son disciple direct Senne, le mot « kôan » est interprété par les kanji (donne les kanji). Senne était un disciple de Dôgen Zenji qui fut son adjoint pendant un temps et compila les chapitres premier, neuvième et dixième du Eihei-koroku, la collection des conférences formelles de Dôgen Zenji. Senne fonda le temple Yokoji à Kyôto après la mort de Dôgen Zenji, et avec son propre disciple Kyogo, il écrivit le plus ancien commentaire de la version en 75 chapitres du Shôbôgenzô. Ce commentaire est communément appelé le Okikigakisho ou simplement Gosho. Depuis l’ère Tokugawa (17ème siècle), le Gosho est considéré comme le commentaire du Shôbôgenzô faisant le plus référence.

En tête de leurs commentaires sur le Genjô-kôan, Senne et Kyogo interprétaient le mot « kôan » sur la base de ce kanji (donne le kanji):

  • « KÔ (kanji) signifie être égal.
  • AN (kanji) signifie garder sa part.
  • HEI-FU-HEI (donne les kanji; égaliser l’inégalité) est KÔ (être public).
  • Garder sa part est AN.
  • KÔ (être public) signifie égaliser l’inégalité. Lorsqu’il existe des situations inégales et inéquitables, le devoir d’un fonctionnaire du gouvernement est d’égaliser les situations inéquitables pour tout le monde.
  • AN est garder sa part. Chacun a des responsabilités différentes selon son poste dans la société. Chaque profession telle qu’Empereur, ministres, foncitonnaires de haute classe, fonctionnaires de basse classe, marchands, fermiers, enseignants, médecins, etc. a sa part. Chacun a une personnalité, des capacités et une occupation différentes, et ne peut être remplacer par personne d’autre.
  • KÔ est égalité de tout et AN renvoie à l’unicité ou particularité de toute chose.

Le Gosho dit, « Kôan renvoie au Shôbôgenzô lui-même. »

Shôbôgenzô est le vrai trésor de l’oeil du dharma qui a été transmis du Bouddha à travers les ancêtres à chaque génération. Shôbôgenzô est un autre nom pour la vraie réalité de tous les êtres (shoho-jisso).

Selon le Gosho, le mot kôan exprime la réalité de notre propre vie. C’est-à-dire que nous sommes à l’intersection de l’égalité (universalité, unité avec tous les êtres) et l’inégalité (différence, unicité, particularité, individualité). Le Vide inclut autant l’unité que la différence.
Toute chose au monde a des différences; rien n’est égal. De même, dans la société, il y a plusieurs sortes de discriminations, d’inégalités, de situations iniques. Egaliser de telles inégalités c’est être public. « Public » est l’opposé de privé. En tant que personne privée, chaque personne est différente. Par exemple, une personne qui tient une position publique doit penser que tout le monde est égal. C’est là le sens de « être public. » Un personnage public devrait réfléchir à la façon dont tous peuvent devenir égaux.

« AN » signifie que chacun devrait prendre la responsabilité de soi-même. KÔ et AN se trouvent en opposition, dans le cadre de cette dynamique. KÔ, c’est être public, nous devrions considérer tout le monde en tant qu’égaux, et An signifie qu’en tant que persoonne privée, chaque personne a une personnalité différente et unique et que chaque personne s’occupe de choses différentes.

J’utilise souvent l’exemple d’une main: ceci est une seule main et chaque main comprend cinq doigts. Lorsque nous la concevons comme une collection de cinq doigts, chaque doigt est indépendant et possède une forme et une fonction différente. Le pouce possède sa propre forme et sa propre fonction. Nous ne pouvns pas les échanger. Chaque doigt a sa propre façon particulière d’être. Et pourtant, en tant que main, tous les cinq doigts fonctionnent ensemble et il n’y a pas de séparation. Il s’agit vraiment d’ « une seule » main. Nous pouvons la voir comme simplement une main et aussi comme une collection de cinq doigts. Mais pas seulement la main; chacun de nous est pareil. Nous avons les deux côtés de l’universalité et de l’individualité. Et ce ne sont pas deux aspects séparés. Chaque côté est absolu. Une main est à 100% cinq doigts. Lorsqu’on appelle ça une main, ce ne sont pas cinq doigts. Et quand nous appellons ça cinq doigts, la main est cachée. Dans le Genjôkôan, Dôgen Zenji exprime ceci par: « Lorsqu’un côté est illuminé, un autre côté est obscur ». Cet univers en entier est un seul univers, il n’y a pas de séparation en son sein. Et pourtant, lorsque nous le voyons sous un autre aspect, cet univers est une collection de milliards d’êtres différents, individuels et uniques. Rien ne peut être le même; tout a sa propre situation dans un temps et un espace spécifiques. Toute chose est complètement indépendante. Et pourtant, ce monde en son entier, univers entier et tout temps – du début sans commencement jusqu’à la fin sans limites – est seulement un. Dôgen Zenji dit dans le Bendowa, « Même si une seule personne s’assied un court moment, parce que ce Zazen est un avec toute existence et qu’il traverse complètement tout temps, il accomplit l’éternelle direction du Bouddha au sein de l’inépuisable monde du dharma dans le passé, le présent et le futur. » Nous ne pouvons pas séparer. Il s’agit vraiment d’un seul espace-temps. Il existe deux façons de considérer cette réalité. L’une est de voir les choses en tant que tout, l’autre est de les voir comme indépendantes. ces deux façons de voir les choses sont vraiment importantes pour comprendre la philosophie du Bouddhisme Mahâyana. Dans la philosophie du Bouddhisme Mahâyana, ces deux aspects de cette réalité unique de notre vie s’appellent « les deux vérités », l’une est la vérité absolue et l’autre la vérité conventionnelle. Par exemple, dans le Sûtra du Coeur, la vacuité est considéré comme étant la vérité absolue; il n’y a ni oeil, ni oreille, ni main, ni nez, ni langue, ni rien parce que cette réalité ne fonctionne que comme un entier: la vacuité. Pourtant, d’un autre côté, chaque chose a une forme: les yeux sont des yeux, les nez sont des nez, les langues sont des langues; cette personne, Shohaku est Shohaku; je ne suis pas vous et vous n’êtes pas moi. Même si vous mangez des mets délicieux, mon estomac n’en est pas rempli ou vice-versa. Nous sommes donc des personnes individuelles complètement différentes. Et pourtant, en tant que tout, nous vivons la même vie; en tant qu’êtres vivants, nous sommes complètement interconnectés avec tous les êtres. Cet univers dans son entier n’est qu’une seule chose, de même que cinq doigts ne sont qu’une seule main.

Dans le Zen, cette réalité est appelée sabetsu (distinction, inégalité) et byôdô (égalité). Tout est différent et idépendant d’une part, et tout est égal et interconnecté d’autre part. Voir la réalité à partir de ces deux côtés est la conception fondamentale du Bouddhisme Mahâyana, Zen inclus. En tant que forme, tout est différent. Tout a une forme différente et pourtant ces formes sont vides; vide signifie qu’il n’y a ni discrimination ni séparation. Et pourtant cette vacuité est forme. Nous voyons une réalité comme intersection ou fusion de l’égalité et de l’individualité.

Dans la littérature Zen chinoise, comme le Sandôkai (fusion de la différence et de l’unité) composé par le maître Zen Sekitô Kisen, il est dit que ces deux côtés sont appelés différence et unité. Cette différence et cette unité doivent fusionner. Dans le Sandôkai, Sekitô exprime cet aspect de l’unité en tant qu’obscurité, et l’autre comme lumière. Lorsqu’il fait clair dehors, on peut voir des choses et des formes différentes, des couleurs différentes, des noms différents et différentes fonctions; lorsqu’il fait complètement nuit, tous les êtres sont là, mais nous ne pouvons pas les distinguer. En gros, il s’agit d’une seule obscurité globale. Il s’agit de deux aspects d’une seule réalité. C’est là la façon fondamentale dont nous voyons la réalité dans le Bouddhisme et dans le Zen. Il est important de comprendre ce point, si l’on veut comprendre n’importe quelle littérature Zen ou la philosophie bouddhique.

Dans le cas de Dôgen, cependant, voir une réalité à partir de deux côtés ne suffit pas. nous devons exprimer les deux côtés dans une action. Par exemple, dans le Sûtra du Coeur, deux côtés sont exprimés par « la forme c’est le vide, et le vide c’est la forme ». Mais, dit Dôgen Zenji dans le Makahannya-haramitsu du Shôbôgenzô, « La forme, c’est la forme. Le vide, c’est le vide » Lorsque nous disons que la forme est vacuité et que la vacuité est forme, il reste encore une séparation entre la forme et la vacuité. Si la forme est réellement vacuité et que la vacuité est réellement forme, nous ne pouvons que dire que la forme est la forme et que la vacuité est la vacuité. Lorsque nous disons forme, la vacuité est déjà là. Si nous comprenons ce point de vue de base, nous pouvons comprendre les trois premières phrases du Genjôkôan. Lorsque nous étudions et pratiquons selon les enseignements de Dôgen Zenji, il est important non seulement de comprendre ces deux aspects avec notre intellect, mais en fait nous devrions viser à actualiser ces deux côtés différents dans le cadre d’une seule action. c’est là une chose réellement importante et pourtant difficile; par exemple, Dôgen Zenji a écrit des instructions pour le tenzo (cuisinier). En tant que personne qui cuisine, chaque action est une action personnelle. Nous avons 100% de responsabilité dans la façon dont nous travaillons et dans le résultat de notre travail. chaque personne doit recevoir le résultat de son propre karma. Et pourtant, cette pratique personnelle a aussi une fonction au sein de la communauté. Il ne s’agit pas seulement d’une action personnelle, nous ne pouvons pas dire « Ceci est ma pratique personnelle. Je fais comme je veux ». C’est ma pratique personnelle et pourtant elle fait aussi partie de celle de toute la communauté; il y a une certaine façon dont, et un certain moment auquel, la nourriture doit être prête. La nourriture préparée par le tenzo nourrit la pratique de tout le monde. L’action réelle dans la cuisine est celle de la personne et pourtant l’action de cette personne a une influence sur toute la communauté. En tant que personne qui vit avec son corps et son esprit, il nous faut viser à comment nous pouvons manifester ou actualiser ces deux aspects de notre vie. Un de ces aspects est « ceci est ma propre pratique, personne ne peut la faire à ma place » et pourtant cette pratique n’est pas vraiment pour moi, mais, pratique ou travail, c’est pour toute la communauté. Il nous faut penser à comment nous pouvons servir toute la communauté de la meilleure manière, et pourtant, nous devons le faire en tant qu’action personnelle avec notre propre responsabilité. Nous sommes des personnes complètement indépendantes, et pourtant, nous faisons partie à 100% de la communauté. Comment pouvons-nous actualiser les deux aspects dans le cadre d’une action?

C’est là le point fondamental de nos vies. pas seulement pour les êtres humains, mais particulièrement pour les êtres humains, parce que nous pensons être des êtres indépendants. Dans la société moderne en particulier, nous mettons beaucoup l’accent sur l’indépendance et l’individualité. Cependant, lorsque nous ne pensons à nous qu’en tant que personnes indépendantes sans considérer les autres, nous ne pouvons pas vivre ensemble avec les autres.

Par exemple, dans la société japonaise traditionnelle, les familles ou les communautés, de même que les écoles ou les entreprises, sont plus importantes que les individus. Les pays sont plus importants que les gens. Je crois qu’il s’agit d’un extrême. On appelle cela du holisme. Je pense que c’est vraiment malsain. Mais si nous ne voyons que notre indépendance, et pensons « Je peux faire comme je veux », nous devenons vraiement isolés et égoïstes. Dans les deux cas, il s’agit de maladies causées par une vue peu judicieuse de la réalité. Nous vivons en réalité en tant que personnes indépendantes, uniques, et pourtant nous vivons en tant que parties de toute la communauté. Lorsque nous nous accrochons à un seul aspect et mettons l’accent dessus, nous devenons malades; de toute façon, que ce soit par le holisme ou par l’individualisme. En fait, les deux côtés devraient être présents. C’est la manière la plus saine lorsque nous vivons ensemble et que chaque personne est indépendante. Il nous faut vivre ensemble, et afin d’y arriver, il nous faut, en un sens, mettre de côté notre unicité, sans quoi, nous allons devoir combattre les autres en permanence. Je crois que l’un des plus importants enseignements du Bouddha, c’est de trouver la voie du milieu. Il nous faut éviter les deux extrêmes et pratiquer la réalité en tant que voie du milieu. Il nous faut créer notre propre voie, parce qu’il n’existe pas de voie du milieu fixée et certaine. Il nous faut voir la situation en son entier et découvrir la façon la plus saine et la plus joyeuse autant pour chacun de nous que pour la communauté dans son ensemble. Et nous devrions faire ça sous notre propre responsabilité. Je crois que ceci est le point essentiel des enseignements du Bouddha et de Dôgen Zenji.

Dans le Genjô-kôan, Dôgen Zenji exprime l’individualité en tant que « une goutte d’eau » et universalité comme « clair de lune » et il dit que même dans une petite goutte d’eau, le clair de lune se reflète. C’est la réalité de notre vie. Nous sommes des individus, et nous sommes pourtant universels. Le vaste clair de lune sans limites se réflète en nous comme dans une goutte d’eau. L’intérêt de notre pratique, selon l’enseignement de Dôgen dans le Genjô-kôan, c’est comment nous pouvons maintenir cet éveil à la réalité de l’individualité et de l’universalité tout ensemble. Grâce à notre pratique, nous tentons d’actualiser une réalité qui a deux faces. Nous allons vers les extrêmes, lorsque nous nous aggrippons à noter pensée. La pensée provient de notre expérience, c’est à dire notre karma. Dépendants de notre expérience passée, nous avons tendance à croire que cet aspect doit être important, ou que l’autre côté devrait être plus important. Et nous perdons la réalité de vue en tant que tout. Dans notre pratique de zazen et aussi dans notre pratique de nos vies quotidiennes, nous nous éveillons à la réalité en tant que tout. Nous sommes libres de chacun des deux aspects et trouvons la voie du milieu. Les deux aspects doivent vraiment être là. C’est là le mode de vie le plus sain et le plus vivant.

Ma compréhension du titre « Genjô-kôan » est que Genjô (réalité réellement et actuellement en cours) est kôan (vérité absolue et aussi une question que la réalité nous pose). Et kôan n’est rien d’autre que Genjô (les choses qui sont actuellement en train d’arriver devant nos yeux). Il nous reste à répondre à la question que nous pose la réalité au moyen de chacune de nos actions en tant que pratique.

(transcrit de l’article original publié dans le numéro de novembre 1997 du Soto Zen Journal (Dharma Eye)

Source netlibrary.net

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