17.11.2005
La notion de destin, qui est liée en Occident à des croyances remontant à l’Antiquité puis à des interprétations et des réflexions qui se sont développées dans le cadre du monothéisme, reçoit un éclairage très différent dans l’approche bouddhique. On pourrait même dire que l’idée de destin à laquelle nous sommes habitués, consciemment ou non, est étrangère au bouddhisme dans la mesure où celui-ci ne présuppose pas l’intervention d’un dieu créateur, ni d’une puissance extérieure, dans le déroulement de la vie humaine, et ne conçoit pas l’existence individuelle indépendamment des autres existences, qu’elles soient concomitantes, ou qu’elles appartiennent au passé ou au futur.
C’est donc dans le cadre d’une vision spécifique de la réalité qu’il faut envisager la question du destin, ou plutôt du déterminisme et de la liberté, selon le bouddhisme. Faute de quoi, la notion de karma et la loi de causalité, qui sont parmi les fondements de l’enseignement du Bouddha, reçoivent une interprétation erronée qui les apparentent justement au destin.
La loi de causalité
Le mot karma signifie étymologiquement « acte » ou « action ». Pour un individu, il s’agit des actes du corps, de la parole et de la pensée. Ces actes laissent des empreintes qui produisent des conséquences, soit dans le courant de la vie de l’individu, soit plus tard, c’est-à-dire qu’ils influent sur des existences ultérieures ou que notre propre existence présente est influencée par des existences antérieures. La loi de causalité explique par ailleurs que chaque existence, que chaque phénomène, est le produit d’une cause : « Ceci étant, cela se produit ; de la production de ceci, naît cela. » (Soutra de la pousse de riz).
Si l’on considérait l’individu comme doté d’un soi permanent, ayant une existence indépendante s’inscrivant dans le cadre délimité et fixe qui va de la naissance à la mort, alors ces notions de karma et de causalité pourraient apparaître comme une vision du destin particulièrement contraignante : « Je suis ainsi et je vis ainsi parce tel est mon karma et je ne peux rien y faire. »
Mais telle n’est pas la vision bouddhique. L’individu est constitué d’éléments qui changent sans cesse, rien n’est permanent ni doté d’une substance propre et éternelle. C’est au sein d’un vaste réseau d’interdépendance avec toutes les existences, du passé, du présent et du futur, que se déroule ma vie présente. Elle est à la fois influencée par mes actes passés, c’est-à-dire par mon karma, et tributaire des conditions extérieures, phénomènes naturels ou collectifs qui sont régis eux-mêmes par la loi de causalité. Mais, en tant qu’existence sans substance, vivant en interrelation avec des phénomènes toujours changeants, je garde la possibilité de réaliser et d‘accepter que ma situation actuelle est le produit de causes multiples, et celle d’agir librement à cet instant présent, en prenant mes responsabilités pour les conséquences futures que je crée.
Déterminisme et liberté
Cette prise de conscience – ma situation actuelle ne provient pas d’une quelconque puissance extérieure mais d’un ensemble de causes et conditions dont je suis partie prenante – et cette prise de responsabilité – maintenant, en tenant compte de la situation, j’ai la liberté d’agir parmi un certain nombre de possibles – constituent justement le début de la mise en œuvre de la Voie bouddhique.
Par rapport à la question du déterminisme, mot qu’il faut préférer à celui de destin dans le cadre du bouddhisme, l’enseignement du Bouddha se présente ainsi avant tout comme une doctrine de libération et de responsabilité. Si la réalité décrite par le Bouddha est régie par le principe universel de la causalité, le fait même de reconnaître cette loi permet à chacun de prendre la responsabilité d’agir dans le bon sens : je suis le fruit de mes actes passés et je suis responsable de mes actes présents. Plutôt que de maîtrise de ses actes, il faudrait parler de responsabilité : de bonnes actions engendrent de bonnes conséquences, de mauvaises actions engendrent de mauvaises conséquences.
La compréhension plus profonde de cette réalité, à savoir que chaque existence, chaque phénomène, est sans substance, impermanent, et en interdépendance avec toutes les autres existences et phénomènes, permet de se libérer de la fausse croyance en notre moi et de retrouver l’unité avec toutes choses. C’est là que réside notre véritable liberté.
Déterminisme et liberté sont ainsi intimement liés. Notre destinée – c’est-à-dire notre karma et les conditions extérieures de notre vie – est le lieu de notre affranchissement. Réaliser que le destin ultime de chaque être humain n’est qu’une application de la loi universelle de « ce qui apparaît, disparaît », et s’accepter comme partie intime de l’univers, c’est retrouver la tranquillité de l’Eveil. En un mot, à la question « Doit-on croire au destin ? », le Bouddha répond : « Votre destin est la possibilité de votre liberté. »
– A lire
Principes fondamentaux du bouddhisme
Kogen Mizuno
éd. Sully.
192 p., 16,77 euros
contact@editions-sully.com
– Pierre Dokan Crépon est maître-enseignant au temple bouddhique zen Soto de Vannes.
Source : www.reforme.net