17.10.2007
Des monastères et des mosquées en témoignage d’une présence
La route de la soie était un réseau de 7000 kilomètres qui couvrait un territoire considérable, de la Méditerranée jusqu’en Chine. Les marchands des caravanes, qui étaient pour la plupart d’origine iranienne, ont voyagé vers l’Est et ont apporté aux peuples asiatiques le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme, le manichéisme et enfin, l’islam.
Les caravanes avancent. Lentement. Les bêtes sont chargées d’épices, de porcelaine, d’ambre, de soieries et de pierres précieuses. Les marchands transportent leurs marchandises à travers des frontières qui ne sont encore que balbutiements. À travers montagnes escarpées, cols glacés et plateaux rocailleux, les marchands emportent avec eux, sans s’en douter, quelque chose d’intangible mais qui allait marquer l’histoire bien plus que leurs riches produits: leur religion…
La route de la soie ne reçut cette appellation romantique, auréolée de mystère, que fort récemment, au XIXe siècle. Les marchands, eux, l’ont empruntée depuis plus de 2000 ans. Leurs religions aussi, variant au fil des siècles et des forces au pouvoir. La route doit son nom à cette précieuse étoffe qui y transitait et dont seuls les Chinois connaissaient alors le secret: la soie.
Avec toutes les marchandises qui y étaient échangées, «l’islam a suivi la route de la soie, mais toutes les grandes religions ont aussi emprunté ce chemin», lance Richard Foltz, en guise d’introduction. Professeur agrégé au département des sciences de la religion à l’université Concordia, il a étudié la façon dont l’islam, et les autres cultes, se sont diffusés en des contrées étrangères.
Un réseau de routes
«Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une route de la soie, précise Richard Foltz, mais bien d’un réseau entier de routes.» Un réseau de 7000 kilomètres qui couvrait un territoire considérable, de la Méditerranée jusqu’en Chine, à Xi’an, pour être plus précis.
La route fut empruntée de façon soutenue jusqu’au XVe siècle, alors que le commerce prit le plus souvent la voie maritime.
Les marchands des caravanes, qui étaient pour la plupart d’origine iranienne, ont voyagé vers l’Est et ont apporté aux peuples asiatiques le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme, le manichéisme et enfin, l’islam.
Richard Foltz a analysé l’évolution de chacune d’entre elles. «En faisant mes recherches, ce qui a été le plus frappant, c’est cette impression de répétition à travers les siècles: les acteurs changeaient, les cultures changeaient, mais ils faisaient les mêmes choses que les précédentes, constate le professeur. Les religions sont venues de l’Ouest et sont toutes passées par le Moyen-Orient, à l’exception du bouddhisme, qui a fait un détour par l’Iran avant de se rendre en Chine.»
L’islam gagne des adeptes
«Parmi ces religions, l’islam et le bouddhisme eurent plus de chance: elles ont marqué leur passage de façon plus permanente», explique M. Foltz. L’islam gagna en importance avec les conquêtes arabes du VIIe siècle pour ensuite devenir, vers le milieu du VIIIe siècle, la religion dominante de la partie occidentale de la route de la soie.
Cela est dû en partie aux activités des marchands musulmans, qui opéraient sous la protection et le favoritisme des élites musulmanes locales. Les marchands musulmans étaient aussi mieux traités par les autres commerçants, relate M. Foltz. D’où l’intérêt de se convertir pour faire de meilleures affaires! Sans oublier l’apport des prêtres soufis, qui se sont greffés aux caravanes et qui ont oeuvré comme missionnaires.
L’Empire mongol a lui aussi contribué à imposer l’islam comme grande religion. Païens à l’origine, les chefs mongols décidèrent d’adopter la religion de la majorité de leurs sujets, appuyant d’abord le christianisme, puis le bouddhisme, pour finalement choisir l’islam.
Ce chemin ne fut pas sans heurts. Vers la fin du XIIIe siècle, un chef mongol demanda au pape de lui envoyer 100 moines pour enseigner le christianisme à son peuple. À cette époque, les Mongols souhaitaient se lier aux chrétiens pour combattre les peuples islamistes. «Mais le pape n’a pas pris cette demande au sérieux. Il n’a envoyé que deux moines qui ont rebroussé chemin avant de se rendre à destination. Beaucoup voient cet événement comme une chance manquée pour le christianisme», raconte Richard Foltz.
Après cet incident et plusieurs autres conflits avec les chrétiens, les Mongols les jugèrent indignes de confiance et se tournèrent vers l’islam. De plus, à cette époque, la portion occidentale du royaume mongol était en Iran et ses sujets, majoritairement musulmans.
L’islam et les autres religions se sont ainsi transmiss au hasard des déplacements des caravanes. Chaque religion a construit sur la route de la soie ses monastères et ses mosquées et les a laissés comme témoignages de sa présence.
Mondialisation d’un autre millénaire
Une présence qui était recherchée. Lorsque les commerçants se présentaient en de nouveaux lieux, les autorités locales cherchaient à se lier avec ces nouveaux arrivants et leur religion, leur construisant parfois des temples. Ils voulaient s’assurer de la présence continue de ces marchands et ainsi s’inscrire dans un réseau international. Un début de mondialisation! Et un réseau fort utile: si le chef local souhaitait parler à un gouverneur dans un autre pays, il se servait de ce réseau pour transmettre ses messages. Parfois, ces chefs se sont convertis à la religion des marchands, parfois non, mais il est certain qu’ils ont tenté de favoriser leur implantation, relate M. Foltz.
Prosélytisme de première heure? Les intentions des marchands étaient de nature commerciale, mais les autorités religieuses ont incité les commerçants à se rendre en d’autres lieux pour y apporter leur religion. Cela pouvait aller jusqu’au financement des caravanes, estime le professeur. En retour, les commerçants donnaient de l’argent aux institutions religieuses. «Le commerce est d’ailleurs un meilleur moyen pour répandre une religion que la guerre. Mais les guerres se font aussi pour contrôler le commerce», commente le professeur. Il estime que les religions n’ont pas gagné des adeptes parce qu’elles avaient la faveur du peuple, mais plutôt parce qu’elles avaient celle des dirigeants politiques, qui étaient liés aux institutions religieuses et aux commerçants.
Entre commerce et religion, le lien est fort mais parfois antagoniste. «Les gens aiment échanger. Pas juste des biens mais aussi des idées. Un marchand qui arrive dans une ville va aller dans un bar, va apprendre des choses, va transmettre des connaissances, il va avoir une liaison avec une femme, il y aura mélange des idées, des cultures. Cela a toujours existé. Pourtant, les religions veulent être exclusives, et cela va à l’encontre de la nature humaine, qui est de faire des échanges», conclut M. Foltz.
Les recherches et trouvailles du professeur sont exposées dans son essai Religions of the Silk Road, Overland Trade and Cultural Exchange from Antiquity to the Fifteenth Century (St. Martin’s Press), un ouvrage traduit en perse, en turc et en japonais, mais malheureusement pas en français.
Par Stéphanie Marin[[Collaboratrice du Devoir]]
Source : www.ledevoir.com