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Bouddhisme et Homophobie – par le Dictionnaire de l’Homophobie

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Bouddhisme


dictionnaire_homophobie.gifLorsqu’au milieu du XVIe s., saint François-Xavier et les premiers missionnaires chrétiens découvrent le Japon, ceux-ci sont horrifiés par l’ambiance « sodomite » qui semble régner dans les monastères bouddhistes qu’ils visitent. Si les descriptions des jésuites sont vraisemblablement exagérées, l’homosexualité, ou plus exactement la pédérastie, a toujours été associée au bouddhisme dans ce pays. Depuis le haut Moyen Âge jusqu’à l’époque pré-moderne, les amours masculines entre moines et jeune novices semblent avoir été communes dans les monastères. Ces derniers, de jeunes adolescents, étaient habituellement poudrés, maquillés et faisaient parfois l’objet de luttes intestines. Certains textes font même remonter cette tradition jusqu’à Kûkai (774-835), l’un des grands saints bouddhistes japonais, fondateur de l’école ésotérique Shingon. Les moines étaient généralement issus de la noblesse et de la classe guerrière où les amours pédérastes, perçues comme un raffinement culturel, étaient tenues en haute estime alors que les relations entre hommes et femmes étaient le plus souvent dévalorisées. Ces amours étaient même placées sous la bénédiction de Mañjûsri, le bodhisattva de la sagesse, un être mythique généralement représenté sous la forme d’un jeune homme, et dont la prononciation à la japonaise, Monjushiri, n’était pas sans évoquer les fesses (shiri) des éphèbes…

L’exemple japonais reste bien entendu marginal, d’autant plus que les moines de toutes les écoles bouddhistes se doivent de rester chastes, toute relation hétérosexuelle leur étant interdite. Paradoxalement, ces mœurs pédérastes ont pu être légitimées par la quasi-absence de référence dans les écritures bouddhiques aux relations homosexuelles. Celles-ci y occupent en effet une place discrète : « l’homosexualité n’y est jamais discutée sur le fond », comme l’écrit Bernard Faure. Avec force détails, les premiers textes disciplinaires dressent la liste de toutes les formes de relations sexuelles interdites aux moines, jusqu’aux plus improbables (dans la bouche d’une grenouille, dans la trompe d’un éléphant…). Si les relations hétérosexuelles, l’onanisme et les différentes formes de bestialité y sont détaillées à outrance, l’interdit des relations homosexuelles est à peine évoqué, sinon au détour de quelques anecdotes. Pour les dévots laïcs, le Bouddha propose cinq préceptes moraux assis sur le principe « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse » : ne pas tuer, ne pas voler, etc. Le troisième défend « l’inconduite sexuelle », terme au demeurant ambigu qu’un célèbre commentaire bouddhiste indien du IVe s., l’Abhidharma-kosa, détaille sous la forme de quatre interdits : l’inconduite sexuelle viserait en l’occurrence les relations avec une femme interdite (une jeune fille, une femme mariée), par une voie interdite (la fellation, la sodomie), dans des lieux interdits (comme un temple) et dans un moment interdit (l’époque de la menstruation). Dans l’esprit du rédacteur, les voies interdites ne font pas directement référence aux relations homosexuelles qui sont donc pour ainsi dire ignorées.

On a longtemps glosé sur le sens du terme pandaka qui qualifie, dans le canon bouddhique, un individu qui ne peut postuler au rang de moine. Le terme ambigu fut tour à tour traduit par eunuque, hermaphrodite voire par homosexuel par les différents traducteurs occidentaux. L’exégèse montre qu’il s’agit d’une catégorie vague d’individus dont l’identité sexuelle psycho-corporelle demeure imprécise. Buddhagosa, un grand commentateur bouddhiste du Ve s., range même les impuissants dans cette catégorie des pandaka. Mais le rejet de ce type de postulant n’implique pas la condamnation des relations homosexuelles en tant que telles sur lesquelles les premiers textes bouddhistes restent étrangement peu diserts. Néanmoins on trouve bien, dans le long développement du bouddhisme à travers les siècles, quelques références scripturaires contre l’homosexualité. Un texte bouddhique du début de l’ère chrétienne décrit ainsi une forme d’enfer où les homosexuels sont inexorablement attirés par des êtres de feu qui les brûlent de leurs étreintes. Le Samantapâsâdika, un texte tardif attribué à Buddhagosa, précise enfin, après plusieurs siècles d’incertitude, que les moines ne sauraient avoir de relation avec des femmes, des hommes et des êtres asexués (les pandaka donc).

Dans son Chemin de la Grande Perfection, Patrul Rinpoché (1808-1887), l’un des grands érudits tibétains du XIXe s. décrit l’inconduite sexuelle dans la continuité des textes indiens : « Se masturber, avoir des rapports sexuels avec quelqu’un de marié ou déjà engagé, avec une personne libre mais en plein jour, avec quelqu’un qui observe le jeûne rituel d’un jour, avec une personne malade, une femme enceinte ou souffrante, pendant la menstruation, juste après l’accouchement, dans un endroit où se trouvent des supports des Trois joyaux [Le Bouddha, son enseignement, sa communauté], avec ses parents ou sa famille, avec une fille non pubère et enfin par voie de bouche, d’anus, etc. » Si là encore l’homosexualité en tant que telle n’est pas évoquée, les relations sexuelles entre personnes de même sexe paraissent malgré tout implicitement condamnées. C’est en tout cas la lecture que fit l’actuel dalaï-lama, lorsqu’on l’interrogea sur ce sujet dans les premières années de son exil. Mais l’évolution de sa position est exemplaire. La communauté homosexuelle américaine, s’étant déclarée blessée par ses déclarations, il s’en est publiquement excusé déclarant que seuls le respect et l’attention à l’autre devait gouverner la relation d’un couple qu’il soit hétéro ou homosexuel.

Aux États-Unis justement, des communautés bouddhistes se sont même créées autour de l’identité homosexuelle et il n’est pas rare de voir le terme de gay ou de lesbien qualifier un centre. La communauté bouddhiste homosexuelle américaine a déjà ses icônes comme Tom Dorsey, ancien drag-queen et junkie, devenu maître zen, mort du Sida en 1989 après avoir créé un hospice dans le quartier gay de San-Francisco. « Pour tous mes garçons » aimait-il à répéter… L’hospice fonctionne toujours.

Références :
Faure, Bernard, Sexualités bouddhiques : Entre désirs et réalités, Aix-en-Provence, Le Mail, 1994 ; The red thread : Buddhist approaches to sexuality, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1998 (version anglaise remaniée et augmentée)
– Patrul Rinpoché, Le chemin de la grande perfection, Saint-Léon-sur-Vézère, Editions Padmakara, 1997
– Dictionnaire de l’homophobie, sous la direction de Louis-Georges Tin, Paris, PUF, 2003, pp. 69-70.


Blog d’Eric Rommeluère : zen.viabloga.com

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