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L’Enseignement qui ne voyage pas, par M. Philippe Coupey

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Pendant ce camp, je vais continuer les poèmes de Daichi, que je commente depuis peut-être quatre ans. Je vais commenter le poème intitulé « Muzen, pas de zen ». Le dernier poème commenté la semaine passée en Allemagne du Nord, pendant le camp d’été de dix jours (ici il n’y en a que six ou sept) s’intitulait « Le paradis du satori (éveil)». Le paradis du satori» n’est pas un endroit où l’on arrive parce qu’on s’est bien comporté. C’est le lieu où l’on perd finalement tout… Tout ce qui est personnel, tout ce qui est « moi », tout ce qui est préfabriqué. C’est à partir de là qu’on peut vraiment pratiquer. D’ailleurs, tout le monde ici devrait connaître le paradis du satori, c’est ce que vous êtes en train de vivre maintenant : rien en particulier. C’est l’état du zazen – si on peut parler d’état. Vous ne devez pas l’oublier dans la vie courante, quand vous êtes en difficulté. Pensez au moment de zazen. À ce moment-là qui étiez-vous ? Où était votre moi, votre petit moi ?

Pas de zen

Bodhidharma n’est pas venu à l’Est.
Jinko n’est pas non plus allé à l’Ouest.
Tu es un compagnon pitoyable qui boit la lie du saké.
Pendant la visite au maître, à une distance de dix mille lis,
Tu ne rencontres qu’animosité amère et colère.

bambou-3.jpgLes poèmes de Daichi sont tous grands. Et certains disent qu’ils n’ont même pas besoin d’être commentés, qu’ils sont tellement grands qu’ils tiennent debout sans commentaires – on m’a dit ça en Allemagne il y a une semaine. Les disciples qui parlent ainsi n’ont pas vraiment tort. Car celui qui pratique tout le temps devrait pouvoir les comprendre automatiquement et inconsciemment ; celui qui pratique sans objet, après avoir tout perdu, ne les entend plus avec sa conscience personnelle… Où est-elle en effet, cette conscience personnelle, pendant zazen ? Mais il peut les comprendre à travers son corps… Je n’arrête pas de parler de l’importance du corps, pas seulement pendant zazen. Taitoku : compréhension par le corps. À travers le kusen. Le kusen n’existe que pendant zazen, pendant que vous pratiquez avec le corps, pendant que vous écoutez avec le corps. Comme vous le savez, ce n’est pas du tout comme écouter une conférence ou un teisho, activité purement intellectuelle.

Bodhidharma n’est pas venu à l’Est

Alors Bodhidharma n’est pas venu à l’Est – c’est faux : il est venu à l’Est. Et Jinko (Jinko est Eka, notre deuxième patriarche) n’est pas non plus allé à l’Ouest – c‘est vrai.

Quand on parle de Bodhidharma ou de Jinko, on parle de l’enseignement. C’est venu de l’Est ? Pas venu de l’Est ? C’est allé à l’Ouest ? Pas allé à l’Ouest ? Il ne faut pas mesurer l’enseignement en termes d’Est, d’Ouest.
L’enseignement ne peut être exporté ni ne peut être importé. C’est une autre façon de dire (ce qu’on souligne toujours entre les lignes) notre grande liberté, dans cet enseignement grandement libre où rien n’est imposé de l’extérieur. Mais la liberté, parvenir à un esprit libre, n’est pas évident, pas facile.

C’est finalement par nous-mêmes, seuls, que nous pouvons comprendre. Ce n’est pas l’enseignement qui est venu de l’Est ou pas venu de l’Est, qui est venu de l’Ouest ou pas venu de l’Ouest. Ne vous perdez pas dans les détails. Ne vous arrêtez pas aux frontières : il n’y a pas de frontières.

Bodhidharma n’est pas venu à l’Est. Jinko n’est pas non plus allé à l’Ouest

Bodhidharma n’est pas venu à l’Est. Jinko n’est pas non plus allé à l’Ouest, écrit Maître Daichi.

Cette phrase – ces deux phrases – sont très connues dans le zen, comme vous le savez. On entend toujours ces mots. Mais les comprendre n’est pas si évident. Pour en comprendre la signification profonde, il est utile d’en connaître l’histoire, comment cela s’est créé au début, comment ces phrases ont été prononcées. Cette phrase vient du disciple Gensha répondant à une question de son maître Seppo. Ceci se déroulait dans les années 800 en Chine.

À cette époque en Chine, les disciples allaient de dojo en dojo et à la fin, ils retournaient dans leur dojo d’origine. Je pense que certains le font aujourd’hui : ils vont de sesshin en sesshin avec des maîtres différents. Mais ceci n’est plus tellement recommandable aujourd’hui comme ça l’était à l’époque. Car malheureusement nous faisons de plus en plus de séparations. Nous voulons toujours développer notre sangha à chacun. Aussi certainement, la compétition, la jalousie apparaissent. Mais nous avons la Gendronnière. Et c’est ça pour moi l’importance principale de la Gendronnière, c’est toujours un lieu de rencontre de godo et de sangha différents. Pour cette raison-là il est important de la préserver, si possible. À l’époque, je ne sais pas s’il y avait compétition ou jalousie entre les maîtres, mais de toute façon leurs disciples qui cherchaient la Voie allaient de maître en maître… Deshimaru appelait cela « partir en tournée d’étude ».

Donc Gensha est parti et il s’est blessé le gros orteil contre un rocher, il a eu très mal. À ce moment il s’est dit : « D’où vient cette douleur ? » Par cette question qu’il s’est posée il a eu l’éveil, le satori. (La question a sa réponse – on pourrait dire aussi : la réponse a sa question.) Non, il ne s’est pas éveillé par sa question, il s’est éveillé par sa réalisation, son actualisation. « D’où vient cette douleur ?… » Tout de suite il retourne au temple de Seppo. Il n’avait plus aucun désir de partir en tournée d’étude. D’ailleurs il n’est pas parti du tout : il est resté avec son maître… Seppo le voit revenir et lui dit : « Pourquoi tu ne retournes pas à ta tournée d’étude ? » Et Gensha de répondre : « Bodhidharma n’est pas allé à l’Est (c’est-à-dire en Chine). Eka n’est pas allé à l’Ouest (c’est-à-dire en Inde). » Seppo a été très étonné d’une telle réponse et il a immédiatement reconnu l’éveil de son disciple.

Bodhidharma n’est pas allé en Chine. Eka n’est pas allé en Inde.

Maître Deshimaru donne deux explications dans deux textes, au cours de deux sesshin (retraites) différentes, à cette réponse ou à cette réflexion de Gensha. Quand Sensei faisait ses commentaires sur les poèmes de Daichi en 1975, il avait dit à ce sujet de Bodhidharma, d’Eka et de Gensha, que « cela signifie que pour trouver la vérité, il ne faut pas dépendre d’un être humain. Car à la fin, on ne peut l’obtenir ».

Et quand il donnait des kusen sur Gyoji à la Gendronnière en 1980, il expliquait ainsi cette phrase célèbre : « Cela veut dire qu’il n’y a pas de frontières, que la vérité est cosmique, universelle, qu’elle emplit le cosmos tout entier. » Pour ma part je dirai tout simplement, en suivant les indications de Sensei, que la vérité ne voyage pas.

Voilà un moment que je parle de Bodhidharma et de l’Empereur Wu. Les personnes qui étaient au camp d’Allemagne et qui m’ont suivi jusqu’ici s’en souviennent.

L’Empereur Wu avait invité Bodhidharma à venir en Chine, voyage qui lui a pris trois ans de bateau. L’empereur, tel qu’on le décrit, faisait beaucoup pour le bouddhisme : il construisait des temples et maintes autres choses. Et quand il a vu Bodhidharma, il lui a demandé quels étaient ses mérites pour tout cela.

C’est toujours la même chose, même pour des soi-disant bouddhistes : et moi là-dedans, qu’est-ce que je vais recevoir ? Bodhidharma a bien sûr répondu : « rien ! », c’est à peu près tout ce qu’il a dit. Et on en a tiré la conclusion qu’il n’avait pas de bonnes manières à l’égard de Wu. Mais c’était le contraire. L’empereur ne réalisait pas qui était devant lui, il ne savait pas qu’il avait affaire à un homme aussi éveillé, un bouddha.

Parfois on est trop grand, trop ardu. Ceux qui sont plus petits sont toujours mieux reconnus, surtout durant leur époque, et ainsi mieux reçus. L’empereur ne savait même pas qu’il recevait un enseignement profond et fort, qui aurait dû lui casser son attitude individualiste « moi-je »… Ainsi Bodhidharma fut mal reçu, pas seulement parce qu’il n’était pas du tout compris ni connu mais tout simplement parce que Wu lui-même n’avait pas les bonnes manières pour l’accueillir correctement – il paraît qu’il n’avait même pas d’encens et autres détails de ce genre. Après que Bodhidharma a mis l’empereur face à son petit ego, il a été obligé de fuir. Bodhidharma voulait que l’empereur, qui côtoyait les moines bouddhistes, découvre son propre esprit originel, cet esprit auquel je fais régulièrement référence (hier soir, avec l’histoire de Gensha qui s’était fait mal à l’orteil et se posait la question : « D’où vient cette douleur ? »).

Mais on n’aime pas être mis face à son petit moi – surtout si on est empereur, on se met en colère. C’est ce qui s’est passé. La colère, c’est toujours la même chose : c’est toujours être partial envers soi-même face à l’autre.

Bodhidharma s’est échappé de justesse mais l’empereur a envoyé ses soldats à sa poursuite. Comme vous le savez, il est allé dans les montagnes du Nord et s’est installé dans une grotte où il est resté assis pendant neuf ans. Des sources chinoises – pas bouddhiques mais gouvernementales – nous l’expliquent de cette façon : pour se protéger des soldats (qui n’avaient pas le droit de saisir un homme pendant qu’il était en prière), Bodhidharma est resté ainsi assis dans sa grotte toutes ces années. À ses moments de tranquillité, quand les soldats n’étaient pas là, Bodhidharma s’est mis à apprendre à ses disciples l’art du combat à main vide [[Kara veut dire « vide » et te, main. Le karaté fut connu en Chine grâce à cette technique enseignée par Bodhidharma lui-même, du nom de Shaolin-su-kempo.]] comme moyen de se défendre contre les soldats… De toute façon, l’empereur, qui ne connaissait aucunement son esprit originel, est resté collé sur son esprit de « mon ego à moi ».

Nous savons ce que Maître Kodo Sawaki disait de celui qui ne recherche pas son esprit originel et qui ainsi reste sur des concepts d’individualité, en disant qu’on parle toujours d’individualité. Mais effet, en regardant de très près cette individualité, on y voit régner la plus grande uniformité – car cette individualité-là est basée sur le « moi ». L’individualité, telle qu’on la connaît, c’est toujours regarder du point de vue de « moi » et non du point de vue de la lune. Et c’est aussi – je reviens à l’une des questions-réponses de cet après-midi [[Les questions posées entre autres au shuso étaient : « Quelle est l’utilité de l’ordre, de l’alignement, de l’organisation dans le dojo ? ». « La discipline n’est-elle pas une uniformisation qui, au motif de se détacher de son ego, briderait la créativité et la richesse personnelle ? »]] – ne pas comprendre que la discipline est tout simplement suivre l’ordre cosmique, c’est-à-dire un ordre exact de la vie quotidienne : se lever le matin et dans notre cas, aller au dojo, manger la genmai tout en rendant ce fait de manger un acte sacré. Et toute la discipline, le rituel qu’on peut pratiquer pendant qu’on mange la genmai, c’est se mettre en harmonie avec les autres et pas seul avec soi-même.

Voilà l’ordre cosmique : dix mille individus ensemble, et à ce moment la vraie individualité peut apparaître… Quand on n’est plus obscurci, quand son esprit n’est plus obscurci par des notions préfabriquées, sa vraie individualité apparaît. La vraie individualité, c’est quand on découvre qui nous sommes avant la naissance de nos parents, avant la naissance d’Adam et Ève. À ce moment-là, non seulement on trouve qui on est mais aussi on devient cent pour cent créatif. Tous les grands artistes ont été obligés de passer par là. Ce n’est pas que par la pratique de zazen que nous pouvons y parvenir.

Bien sûr chacun de nous doit trouver la vérité pour lui-même. Et aussi, nous partageons ici une même discipline, celle transmise par Bouddha et les maîtres de notre lignée, et pas de la lignée des Apôtres, des derviches ou autres. Cette tradition que vous suivez, vous devez la suivre le plus attentivement possible. La voie que nous suivons – que vous suivez – ne peut être réalisée qu’à travers la maîtrise des formes particulières d’une pratique concrète, et évidemment d’une tradition spécifique. Ce n’est pas que l’une soit mieux qu’une autre, c’est qu’il n’y en a qu’une.

En partant des règles, nous pouvons réaliser la non-forme derrière chaque règle.

C’est à travers les soi-disant règles, la discipline – c’est-à-dire par le corps et non par le cerveau – que la vraie sagesse peut s’épanouir.

Évidemment je ne parle pas à ces deux personnes en particulier. Je ne parle pas non plus à mes disciples, je parle aux disciples. Le mot « disciple » a la même racine que « discipline », qui veut dire : comprendre et apprendre.
C’est-à-dire, le disciple est celui qui est ici pour comprendre et apprendre.

Buveurs de lie

[Buveurs de lie] : cette expression est le titre d’un koan qui se trouve dans le Hekigan Roku, collection de koans. Jean-Pierre a donné une conférence en Allemagne à ce sujet il y a deux semaines . La lie est le dépôt des liquides fermentés, c’est-à-dire ce qui reste au fond de la bouteille. Ça veut dire aussi : la racaille.

Dans ce 11ème koan sur les « buveurs de lie », le maître Obaku, un des plus grands maîtres de la transmission qui a vécu dans les années 800, c’est-à-dire l’âge d’or du zen, parle à ses disciples en ces termes : « Vous êtes tous des buveurs de lie. Si vous continuez ainsi, quand rencontrerez-vous le monde du nirvana ? » Le monde du nirvana est le monde d’aujourd’hui. Dans le bouddhisme, le nirvana n’est pas un lieu où l’on va après la mort comme le paradis chrétien. Le monde du nirvana c’est ici et maintenant.

« Si vous continuez ainsi, quand rencontrerez-vous le monde du nirvana ? Savez-vous, dit Obaku, qu’il n’existe aucun maître chan (zen) dans toute la Chine ? » À ce moment un moine se lève, s’assoit devant Obaku et demande, assez typiquement : « Mais que dites-vous de tous ces maîtres zen, qui enseignent le zazen et dirigent ces sanghas, puisque vous dites qu’il n’y a pas de maître zen ici ? » Question typiquement unilatérale : on veut toujours que deux fois deux fassent quatre. On croit que c’est ça, la vérité – deux fois deux font quatre – mais l’enseignement zen essaie de casser, de nous amener au-delà de cette logique, qui rend service pour gagner sa vie dans le social, mais pas utile pour pratiquer la Voie et pour avancer, ou jouer, sur le chemin du satori. On ne veut pas jouer, on veut être logique tout le temps.

Obaku dit alors :

« Quand allez-vous piger ? Il n’y a pas un seul maître zen en Chine !

— Comment pouvez-vous dire qu’il n’y a pas de zen en Chine ?

— Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de zen, j’ai dit qu’il n’y avait pas de maître zen. »

Obaku n’a pas eu tort de dire que « vous êtes des compagnons pitoyables. Vous ne jouez pas avec moi. Vous ne faites que casser tout avec votre esprit de dualité ». D’ailleurs c’est le nom de ce poème : « Pas de zen, Mu zen. » « Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de zen. »

Deshimaru disait, dans un autre contexte : le zen, qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire simplement « la vie ». « Je n’ai pas dit qu’il n’y avait pas de vie, j’ai dit qu’il n’y a pas de maître. Il y a plein de faux maîtres, il n’y a pas de vrais maîtres. »

Cela me fait revenir au commentaire de Maître Deshimaru au sujet des deux premières lignes : Bodhidharma n’est pas venu à l’Est… ce qui n’est pas vrai. Mais Jinko (Eka) n’est pas non plus allé à l’Ouest… ce qui est vrai.

À ce propos, Sensei dit : « Pour trouver la vérité, il ne faut pas dépendre d’un être humain car à la fin on ne peut l’obtenir. »

Parfois un maître répond à une question – toujours du style unilatéral – en disant : « Bouddha n’a pas enseigné le Dharma. Pendant les quarante ans où il enseignait, il n’a pas ensei-gné un mot du Dharma. » C’est la même chose.

Je lis un livre en ce moment, dont le sous-titre est quelque chose comme « L’enseignement de la réalité ». Ça ne va pas plus loin que de dire : maintenant, je vais vous enseigner que deux fois deux égalent quatre. Quelle réalité ?

Levez la tête ! [Une personne en zazen a la tête qui tombe]

Quand on prend l’ordination de moine ou nonne, c’est parce qu’on a compris, réalisé, qu’on n’est pas important du tout. Ceci dit, on garde la tête droite sur les épaules, qu’on soit important ou pas.

Depuis le commencement de ce deuxième camp d’été que je dirige, je ne suis pas arrivé à terminer un seul poème, je suis toujours sur le même. Maître Deshimaru commentait un poème de Daichi par zazen, et il y en a en tout deux cent trente ! Ça m’a pris quatre ans pour arriver au 105e poème où je suis aujourd’hui, intitulé « Pas de zen ». C’est peut-être que pendant ce camp, comme d’ailleurs au camp précédent, j’ai beaucoup parlé de la posture et de l’importance du corps, de ce que cet enseignement est à partir du corps et non à partir de l’esprit. Comprendre par le corps et non par l’esprit. L’esprit suit… – de toute façon, ce n’est pas lui qui mène le jeu de notre existence, de notre pratique. Qu’est-ce qui est transmis ? C’est seulement par le corps qu’on transmet. C‘est grâce à cela que cet enseignement existe jusqu’aujourd’hui. Ce n’est pas grâce à la philosophie.

Je vais quand même essayer de terminer ce poème ce matin. Je récapitule le début.
Pas de zen
Bodhidharma n’est pas venu à l’Est.
Jinko n’est pas non plus allé à l’Ouest.
Tu es un compagnon pitoyable qui boit la lie du saké.
Pendant la visite au maître, à une distance de dix mille lis,
Tu ne rencontres qu’animosité amère et colère.

Bodhidharma n’est pas venu à l’Est, c’est-à-dire n’est pas venu en Chine. Mais ce n’est pas vrai : il est venu en Chine. Jinko (notre deuxième patriarche, Eka) n’est pas allé à l’Ouest. Ça c’est vrai : il n’est pas allé en Inde. Il était chinois et est resté en Chine. J’ai expliqué pourquoi cela signifie que finalement nous devons comprendre par nous-mêmes. Que Bodhidharma soit venu ou pas, qu’Eka soit allé ou pas, en fin de compte ne change pas grand-chose ; car cet enseignement ne voyage pas.

Même s’il y avait eu dix, vingt Bodhidharma sur le bateau mais pas un seul Eka en Chine, il n’y aurait pas eu de transmission.

À la fin, nous ne pouvons pas compter sur Bodhidharma, non plus sur Eka.

Tu es un compagnon pitoyable qui boit la lie du saké.

Le compagnon pitoyable est celui qui ne peut pas comprendre l’essence du zen et qui cri-tique le maître, c’est celui qui est à une distance de dix mille lis du maître – bien que peut-être très proche géographiquement. C’est le disciple du quatrième vers : Pendant la visite au maître, à une distance de dix mille lis, tu ne rencontres qu’animosité amère et colère.

Daichi parle ici du disciple qui est loin du maître, même si celui-ci se trouve devant lui. Il est d’ailleurs en colère et le critique parce que, d’après Maître Daichi, il n’a rien saisi – sauf peut-être un peu de lie du saké.

On pourrait peut-être dire que la lie du saké, le résidu, sont les imperfections du maître. Peut-être le disciple n’a-t-il saisi que ses imperfections, et ainsi il est à dix mille kilomètres du maître. Ne regardez pas les imperfections du maître : elles ne sont aucunement impor-tantes, sauf si cela vous sert à comprendre la Voie. Regardez plutôt les vôtres, c’est plus important. Un maître hindou a dit que « la pureté du guru importe moins que la pureté du disciple ». Comprendre les impuretés du maître devrait nous réconforter dans notre cheminement sur la Voie, nous encourager même : nous aussi pouvons pratiquer, nous aussi pouvons enseigner… C’est une grande erreur de se faire du souci au sujet de l’imperfection des maîtres… On ne peut pas compter sur leur perfection, mais on peut compter sur le fait qu’ils fassent leur travail.


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