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Les Idéologies qui précédèrent le Bouddhisme

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Les idéologies qui précédèrent le bouddhisme : védisme et brahmanisme



bouddha népal
bouddha népal
Au milieu du IIe millénaire avant notre ère, l’Inde du Nord-Ouest (bassin de l’Indus) vit l’arrivée d’un peuple de langue indo-européenne se désignant lui-même comme ârya: ce terme signifiera plus tard « noble », « civilisé », « honorable ». Les âryas parlaient une forme d’indo-aryen ancien, la langue « védique » (dont le sanskrit est une forme codifiée vers le IVe siècle avant notre ère), étroitement apparentée à l’iranien ancien. Leur religion, le védisme, est la plus ancienne de l’Inde; elle a évolué vers le brahmanisme, c’est-à-dire un système rituel formalisé qui exprime la vision du monde des brahmanes. L’installation des âryas dans le bassin du Gange correspond au passage du védisme au brahmanisme (dont l’hindouisme est le prolongement), vers le IXe siècle avant notre ère. L’avènement du bouddhisme se situe vers la fin de la période brahmanique. Le contexte économique et social des débuts du bouddhisme, caractrisé par la vie urbaine, l’activité des marchands, une certaine mobilité d’un pays à l’autre, présente un décalage significatif avec le monde idéal des textes brahmaniques, où la civilisation est toujours centrée sur le « village » (grâma, littéralement « agglomération », nom qui désignait, aux temps du nomadisme, la troupe itinérante), opposé à la « forêt » (aranya), terme qui désigne littéralement l’espace de l’ailleurs, sans cultures ni vie sociale organisée. L’idéologie repose sur trois piliers complémentaires: la parole du Veda, le sacrifice et le dharma, notion intraduisible par un seul terme en français.

LE VEDA, CORPUS DES TEXTES SACRES

Le Veda (littéralement « savoir ») est un corpus immense de textes qui constituent la « révélation », plus exactement l’audition (çruti) de la parole sacrée reçue par des hommes privilgiés dans les temps originaires et transmise par leurs descendants jusqu’à nos jours.
Le Veda comprend deux types de textes: des prières (mantra) destinées à accompagner les rites, et des commentaires (brâhmana) sur ces prières et ces rites. Les mantra ont été recueillis, pour les besoins du culte, dans trois collections, dont la plus ancienne est composée d’hymnes de louange adressés aux dieux.

Toute la littérature qui suit, composée jusqu’au VIe siècle avant notre ère, relève du commentaire: successivement, Brâhmana (vastes recueils d’observations théologiques sur le sacrifice), Âranyaka (traités ésotriques, à réciter « dans la forêt », loin des agglomérations) et Upanishad (enseignements de maître à disciple).

Ce terme Brâhmana, qui réfère un type de commentaire en prose, dérive du substantif brahman, qui désigne un concept fondamental de la pensée védique: l’origine, « formulation » énigmatique, condensant dans la matière verbale des corrélations entre cosmos, rite et organisme humain, d’où « énigme sacrée », pleine de l’énergie irrésistible de la parole; de l’énoncé des vérités fondamentales sur le monde, le mot en est venu à désigner le contenu, à savoir le principe originel et universel, substrat éternel de tout ce qui advient, l’être absolu.

Un point crucial consiste dans l’exclusivité de la langue védique, qui est considérée comme éternelle, et la seule comprise par les dieux: le culte védique est donc lié indissolublement à la pratique d’une seule et même langue. Le décalage entre la langue sacrée (chandas), dont les brahmanes sont les dépositaires, et les langues vernaculaires n’a fait que croître avec le temps et avec l’expansion de la civilisation védique des territoires de plus en plus vastes.

DES SACRIFICES POUR S’ATTIRER LA BIENVEILLANCE DES DIEUX

Le sacrifice (yajna, proprement « hommage rendu » à une divinité) définit l’homme védique dans sa relation avec les dieux. De tous les êtres « domestiques » du village, l’homme est le seul qui soit la fois sacrifiant et victime, puisque les animaux immolés ou les substances offertes sont considérés comme des substituts du sacrifiant lui-même, qui est la véritable offrande.

A l’origine, le sacrifice est le moyen de renforcer par des présents la force et la bienveillance des dieux: il a pour modèle l’échange de dons dans la relation d’hospitalité. Les dieux sont soumis aux mêmes forces qui gouvernent l’ensemble du cosmos et des rapports sociaux, et qui se résument, dans les plus anciens textes, par le concept de rita, qui désigne proprement ce qui est « juste », ce qui respecte l’ajustement réciproque des parties bien agencées du monde, et qui recouvre à la fois les notions de « vérité », de « justice » et d’ordre harmonieux, opposé au chaos, l’hostilité, au mensonge, au mal.

Les opérations des sacrifices solennels, dont la complexité est allée croissant, sont censées reproduire des phénomènes naturels. De moyen de communication avec les dieux, le sacrifice est devenu un mécanisme qui fonctionne par lui-même, et dont les dieux ne sont que les instruments: l’erreur rituelle est le péché majeur.

En marge du culte solennel et domestique, la magie est très développée dans les usages privés et s’est dotée elle aussi d’un corpus de mantra et de traits pratiques, qui ont été intégrés ultrieurement au Veda.

LE DHARMA, OU LE MAINTIEN DE L’ORDRE PAR LES OBSERVANCES

Le terme dharma, « règle », « norme », « loi », d’une très riche polysémie, et repris par le bouddhisme (pali dhamma), définit d’abord le « statut » selon une vision hiérarchique du monde; il est dérivé d’une racine qui signifie « tenir », « maintenir », « contenir ». Ce terme, qui ne s’était pas encore imposé à l’époque védique, désigne, selon la pensée brahmanique, l’ordre, aussi bien cosmique que social, tel qu’il doit être maintenu et indéfiniment confirmé par le système d’observances propres chaque classe d’êtres, et, pour chacune de ces classes, il définit ce en quoi résident le devoir et le mérite.

La source du dharma est le Veda. La conformité au dharma dféinit les humains appelés Aryas, qui s’opposent aux « barbares »: ceux-ci ne parlent pas la langue sacrée, ne suivent pas les rites, et leur contact doit être évité. Le territoire des Aryas est celui où règne le dharma, à savoir l’Inde du Nord, délimitée par l’Himalaya, la chaîne des Vindhya et les deux océans, et dont le coeur se trouve au Nord- Ouest.

La société conforme au dharma est divisée en quatre classes (varna), des groupes héréditaires (qui préfigurent de loin le système des castes), définis par leurs fonctions: les brahmanes, en charge du sacré (brâhmana, dérivé du terme brahman cité plus haut), parmi lesquels se recrutent les officiants et les chapelains au service des rois; les nobles (kshatriya) ou « guerriers », investis du « pouvoir » (kshatra), qui ont vocation exercer l’autorité royale; les vaiçya, gens caractrisés par leurs « clans » et occupations diverses, et nettement inférieurs aux deux premières classes; les çû-dra, qui constituent la classe servile, et qui sont exclus du sacrifice et de l’initiation conférée, comme une seconde naissance, à l’âge de huit ans aux membres des trois premières classes.

LES BRAHMANES, VERITABLES CLEFS DE VOTE DE LA SOCIETE

Ce monde a été pensé par et pour les brahmanes, dont les prérogatives sont nombreuses: alors que les membres des trois premières classes peuvent tous offrir les sacrifices, seuls les brahmanes peuvent faire office de prêtres, et ils sont par excellence les receveurs des dons. Leur mission première est d’apprendre et de transmettre le Veda: toute offrande aux dieux doit s’accompagner de la récitation de prières dans la langue sacrée.

En outre, la préservation du texte védique, le maintien des règles du sacrifice, la définition des devoirs et observances des différentes classes et couches de la société a entrané la réalisation de traits techniques et normatifs, qui font des brahmanes les détenteurs principaux de tous les « savoirs ». Ce sont les brahmanes qui sont les gardiens de la tradition du dharma. Cette phase de la civilisation et de la religion indienne est appelée, pour cette raison, brahmanisme. Comme il est arrivé souvent en Inde, un schéma hiérarchique reflète une volonté d’intégration à un système unique de populations, de pratiques diverses qui, à l’origine, n’appartenaient pas toutes la civilisation védique.

LA QUETE DE LA DELIVRANCE

Cette vision du monde où l’être humain, aussi bien que toute créature, était enfermé dans un réseau de déterminations, d’appartenances, d’interdits, de règles immuables, a suscité, en réaction, l’aspiration à la « délivrance » (moksha, mukti), la libération des contraintes qui assujettissent l’homme à sa condition d’être assigné à un statut social figé et voué à la mort.

En fait, l’idée d’une délivrance ou d’un choix religieux purement individuel est étrangère à la pensée brahmanique, qui confine la réalisation du bonheur à la conformité aux règles d’un statut collectif. Au stade des Upanishad, et par le témoignage indirect fourni par la grande épopée indienne, le Mahâbhârata, qui a pris sa forme actuelle aux alentours de notre ère, mais qui remonte à un ensemble de récits héroïques bien antérieurs, on constate que la vie spirituelle et intellectuelle en dehors des cadres et des cercles sociaux du « village » prenait de l’importance, et que l’intérêt et la ferveur se portaient vers la « forêt » (ermitages, lieux d’ablution, etc.) et vers des modes d’existence marginale, associée à des pratiques d’austérité, d’ascétisme, voire de mortification, qui remontaient, pour certaines, à l’époque védique. Parallèlement aux prêtres de la religion officielle, il existait depuis longtemps des magiciens et guérisseurs, étrangers à l’origine au culte des âryas, et qui menaient une existence errante aux marges du village.

Ces choix d’existence ont été ensuite intégrés par le brahmanisme dans le système des « stades » ou « modes » de vie, grâce à la codification de l’ultime état, celui de « renonçant », homme sans avoir, sans habitat, sans activité autre que la recherche de la délivrance. Ces individus ont reçu différents noms: « itinérants », « religieux errants », « ceux qui font effort » (çramana) par un cheminement solitaire, noms qui seront repris par les mouvements non brahmaniques. Des divergences idéologiques étaient corollaires de tensions sociales et même, probablement, ethniques.


Dans la revue « Religions & Histoire » du mois de mai-juin 2006. « Les idéologies qui précédèrent le bouddhisme: védisme et brahmanisme » de Georges-Jean Pinault, directeur d’études l’Ecole Pratique des Hautes Etudes Paris. L’article n’est pas en intégralité.

– Pour le lire en intégralité, contacter Religions & Histoire au 03 80 48 28 78 ou abonnement@religions-histoire.com
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