25.06.09
Le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui a eu une idée folle : se mettre en scène avec une équipe de moines Shaolin (Chine). Intitulée Sutra, l’idée folle est devenue le carton du Festival d’Avignon en 2008.
En tournée mondiale depuis un an, de Rome à Macao, cette pièce entièrement masculine – dix-sept moines sont sur le plateau – a déjà cumulé quarante-six représentations et quarante mille spectateurs. Elle s’installe pour trois soirs, du 25 au 27 juin, au Théâtre de Chaillot, à Paris.
La recette magique de Sutra combine exotisme, religion (bouddhisme) et arts martiaux (les moines sont des experts en kung-fu). « Sidi Larbi Cherkaoui est un fan de Bruce Lee depuis l’enfance, explique Suzanne Walker, directrice artistique du Sadler’s Wells Theatre de Londres, qui a monté et produit le spectacle. Il voulait aussi sortir du circuit habituel des créations. C’est en discutant avec le producteur japonais Hisashi Itoh que l’idée est née. »
C’était en 2007. Un an de préparation et de tractations ont été nécessaires pour mettre au point cette production aussi lourde qu’inhabituelle. Certains moines du Shaolin Temple Culture Communication, organe qui gère les prestations des moines, sont venus voir des spectacles de Cherkaoui.
Le chorégraphe et son équipe ont visité le temple Shaolin dans les montagnes du Henan. « Il s’agissait à la fois de s’accorder sur un plan financier mais aussi artistique, poursuit Suzanne Walker. Les moines sont habitués à faire des démonstrations pour les touristes, mais là, il fallait développer un langage chorégraphique contemporain pour créer une pièce de danse à part entière signée Cherkaoui. »
La vie quotidienne au temple Shaolin est précisément rythmée par la pratique du kung-fu, le matin et l’après-midi. Pendant dix semaines, à partir de janvier 2008, Cherkaoui, qui s’est immédiatement senti « en phase » avec les moines, va vivre avec eux, comme eux. Il ne parle pas la même langue, mais « ce n’est pas ça qui nous servait à communiquer », confie-t-il en évoquant son séjour.
Sidi Larbi Cherkaoui partage avec ces bouddhistes, experts en calligraphie, nombre de points communs. Il est végétarien depuis l’âge de 15 ans et ne boit pas d’alcool. Il s’inspire souvent pour sa danse de mouvements d’animaux, comme le kung-fu, qui a ciselé son geste en observant le tigre, l’ours, le singe ou le serpent.
Parmi les trente moines recommandés par le maître Yen Da du temple, le chorégraphe en a choisi vingt : dix-huit adultes et deux jeunes garçons qui dansent en alternance. Les répétitions se déroulent pendant la pause des moines en milieu de journée. « C’était très intéressant pour nous de comprendre son travail et d’accepter une nouvelle forme d’art, racontent Shi Yanhao, 21 ans, et Shi Yanbang, 20 ans. Sa façon d’exprimer ses pensées aussi était nouvelle pour nous. »
AVEC DES GANTS ET UN BONNET
Les conditions de travail sont rudes. Danser dans une salle sans chauffage et ouverte aux quatre vents, en plein hiver, ressemble à un exploit. Une porte est construite pour protéger le lieu. « Il neigeait et Larbi répétait avec des gants et un bonnet, se souvient Suzanne Walker. Mais le plus difficile a été de construire la scénographie – une vingtaine de boîtes en bois façon cercueils – conçue par le plasticien Antony Gormley. Les charpentiers locaux ne sont pas habitués à travailler pour la scène, le bois n’était pas assez solide… »
Sur scène, ce décor amovible, sans cesse construit et déconstruit, déploie une série d’architectures rapides et suggestives. Tandis que les moines rivalisent d’audace dans les acrobaties, mais aussi au sabre et au bâton, Sidi Larbi Cherkaoui se dresse solitaire au milieu de cette communauté guerrière et bienveillante.
A Paris, et dans toutes les villes où ils s’installent – la tournée est prévue pour durer encore au moins un an -, les moines, dont certains ont quitté leur pays pour la première fois avec Sutra, s’installent dans des appartements pour y cuisiner leurs plats végétariens. Loin, très loin, des montagnes du Henan.
– Sutra, de Sidi Larbi Cherkaoui. Théâtre de Chaillot, place du Trocadéro, Paris-16e. Mo Trocadéro. Tél. : 01-53-65-30-00. Du 25 au 27 juin, à 20 h 30. De 27 € à 33 €.
Par Rosita Boisseau
Source : www.lemonde.fr