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Birmanie — Un an après le cyclone Nargis, rien n’a changé

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07.05.2009

Burma-.jpgAprès le désastre, la junte a tenté de masquer son inaction par des opérations de propagande. Mais la vie de tous les jours est toujours aussi difficile pour la population.

Près de la moitié des habitants du village de Thayet Thone Bin, dans les environs de Rangoon, ont été tués, le 2 mai 2008, lors du passage du cyclone Nargis, qui a fait au total 140 000 morts et disparus dans le pays. Mais les heureux rescapés ont deux raisons de se réjouir de leur bonne fortune. D’une part, le général Lun Thi, le ministre birman de l’Energie, est né dans leur village. D’autre part, sur son intervention, semble-t-il, Thayet Thone Bin a fait l’objet d’une attention particulière lors des opérations de sauvetage et de reconstruction. Vingt nouvelles maisons, une école et une bibliothèque ont été construites dans les ruines, et le village a reçu cinq charrues mécaniques, quatre bateaux de pêche, de l’équipement de purification de l’eau, deux pompes et une télévision. Quand les secours sont arrivés, c’était en compagnie d’équipes de télévision. Ces dernières ont développé une belle histoire de propagande, qui n’était pas sans rappeler les faux villages que Potemkine aurait fait ériger pour leurrer l’impératrice Catherine II de Russie lors d’un voyage en Crimée en 1787.

Thayet Thone Bin, situé sur la commune de Kun Chan Kone, s’est mué en une véritable vitrine, à tel point qu’il a servi de décor à d’autres reportages télévisés sur le succès des opérations de secours. Les panneaux indicateurs à l’entrée du village ont été remplacés par d’autres portant d’autres noms, afin de faire croire que dans toute la région les populations rurales se remettaient de la catastrophe. “Notre village s’est en quelque sorte transformé en studio de cinéma”, commente une femme. “On a offert des vêtements flambant neufs aux gens filmés dans les reportages pour qu’ils les mettent devant les caméras. On a posté des soldats ici. On les filme en train de nous aider dans les champs. On nous filme même en train de lire dans la nouvelle bibliothèque et de regarder la télévision communale”, ajoute-t-elle.

Mais, en dehors des infrastructures, les habitants de Thayet Thone Bin n’ont bénéficié que d’une aide rudimentaire. Ils vivent des distributions de riz. Daw Mya Mya a reçu deux couvertures, une moustiquaire, un jeu d’ustensiles de cuisine, un conteneur pour l’eau de pluie et d’autres équipements. Elle est sans le sou et explique qu’elle devra peut-être vendre ces objets sur le marché local pour rassembler les fonds nécessaires aux cérémonies du souvenir, si importantes pour les bouddhistes birmans. Pour ces cérémonies, il convient de faire des dons aux monastères et aux bonzes afin de garantir le repos des âmes des défunts. La tradition est si forte que les familles consentent souvent à de terribles sacrifices pour financer ces hommages à leurs chers disparus.

Acquérir des “mérites” pour le repos des âmes des défunts

Un sexagénaire surnommé Papy Nyo est tellement à court d’argent qu’il a demandé à ses amis de contribuer aux cérémonies pour le premier anniversaire de la mort de ses deux fils, emportés par le cyclone. “Je n’ai pas eu les moyens de leur payer des obsèques, alors maintenant j’aimerais faire une offrande aux bonzes pour le premier anniversaire de leur mort”, explique-t-il. Agés respectivement de 30 et 14 ans, ses deux fils ont disparu quand leur bateau de pêche a coulé pendant le cyclone. Son épouse, une femme de 50 ans, raconte que ces cérémonies d’acquisition de “mérites” sont nécessaires pour veiller à ce que les âmes de leurs enfants morts trouvent le repos, et garantir ainsi leur retour dans une vie meilleure. Le cyclone a également détruit la maison du couple, qui vit désormais sous le toit de toile d’une hutte de fortune dans la commune de Kun Chan Kone, dans le district de Rangoon. Leur fille les soutient financièrement en vendant des billets de loterie.

L’importance des cérémonies du souvenir pour le premier anniversaire du cyclone et de la mort de leurs proches contraint bon nombre de rescapés à surmonter leurs craintes et à revenir dans leurs villages dévastés. Ko Zaw Zaw s’est installé à Rangoon, après avoir quitté le village de Padauk Kone, dans la commune de Labutta. Nargis a ravagé les pêcheries, le privant de son emploi. Son père a été tué, mais malgré le chagrin il se dispose à rentrer chez lui pour les cérémonies. “Mon frère cadet, qui vit encore dans le village, pense que l’esprit de mon père ne peut être libéré tant que nous n’aurons pas rempli ces obligations, concède-t-il. Nous n’avons pas pu le faire au bout de trois mois, ni au bout de six mois. Mais je vais le faire, c’est une certitude, pour le premier anniversaire de sa mort.” Sa volonté de procéder aux cérémonies, quel qu’en soit le prix, est partagée par un agriculteur qui a perdu sa sœur dans le cyclone. La plupart de ses terres ont été brûlées par l’eau de mer, ce qui a réduit de 75 % le rendement des rizières. De plus, il s’est endetté auprès de la banque. Cela ne l’a pas empêché de mettre de l’argent de côté pour rendre hommage à ses défunts.


Kyi Wai (The Irrawaddy)

Source : www.courrierinternational.com

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