17.03.2009
Le 17 mars 1959, durant la nuit, le dalaï-lama s’enfuit de son palais de Norbulingka, à la barbe des Chinois, espérant, en choisissant l’exil, sauver son peuple. Neuf ans après la première invasion du Tibet par la Chine, l’insurrection gronde contre l’occupant qui resserre son étau. Elle sera réprimée dans le sang : 10 000 morts et 4 000 prisonniers. Sans s’attarder sur cet épisode crucial, Kim Yeshi, née de père français et de mère américaine, brosse deux mille ans d’histoire. Un portrait du Tibet, factuel, dense, illustré de photos, la plupart jamais publiées.
L’auteur vit depuis trente ans à Dharamsala (Inde) avec Kalsang Yeshi, qu’elle a épousé à New York alors qu’elle faisait des études d’anthropologie et une maîtrise de bouddhisme. Avec cet aristocrate, qui fut moine puis, après dix-huit ans passés dans les geôles chinoises, ministre du gouvernement en exil du dalaï-lama à Dharamsala, elle crée l’Institut Norbulingka, sorte de conservatoire des arts et de la culture tibétaine.
Quatre chapitres racontent l’État féodal qui adopta, en 767, le bouddhisme comme religion ; le traité de paix signé en 783 avec la Chine ; les rapports de lama à disciple tissés au XIIIe siècle avec les Mongols, puis avec les Mandchous ; l’autonomie complète du Tibet, signée en 1914, enfin la politique de « libération« , décrétée par Mao Zedong, qui, dès 1950, couvrira de « calamité » le Toit du monde.
L’inédit, dans cet ouvrage, ce sont cinq biographies de Tibétains de toutes conditions. Il y a celle du chef de la guilde des 700 tailleurs chargés des brocarts et de la décoration des temples ; celle des Tsarong, famille de paysans, dont le fils deviendra commandant en chef de l’armée tibétaine, puis ministre des finances, et enfin, en 1956, ministre de la construction. En 1959, au matin de son procès public, on le retrouva mort dans sa cellule. Il y a l’incroyable parcours du fils cadet d’une famille de propriétaires terriens, devenu fonctionnaire, qui finira par enseigner le tibétain à Xian, en Chine, en 1979. Ou encore celui du révolutionnaire tibétain Phuntsok Wangye, qui croyait aux bienfaits du communisme et vit à Pékin.
Tous racontent la même histoire : années d’épouvante, emprisonnement, famine, autocritique, rééducation, déportation… Aujourd’hui, les Tibétains « sont complètement avalés par le matérialisme, constate Kim Yeshi. Il faut accepter les faits et faire de son mieux pour préserver la culture, le patrimoine, l’identité, sinon tout cela disparaîtra« . Une course contre la montre.
– TIBET, HISTOIRE D’UNE TRAGÉDIE de Kim Yeshi. La Martinière, 288 pages, 25 €.
Par Florence Evin
Source : www.lemonde.fr