LAMA KARMAPA, UNE VOIX DU TIBET QUI DEVRAIT COMPTER DANS LES ANNÉES A VENIR
14.03.2009
Comme ses 16 précédentes incarnations, le Karmapa Lama est immergé depuis son enfance dans les arts de la méditation, de l’étude et de la prière du bouddhisme tibétain. Mais contrairement à elles, il aime se relaxer en jouant à des jeux de guerre sur sa console vidéo.
Ce mélange d’autorité spirituelle ancienne et de goûts modernes suscite bien des espoirs: ce moine de 23 ans, Ogyen Trinley Dorje, qui arrive en troisième position dans la hiérarchie des Lamas du bouddhisme tibétain (après le Dalaï Lama et le Panchen Lama), pourrait devenir la voix publique de la prochaine génération des Tibétains dans leur lutte pour la liberté vis-à-vis de la Chine.
Les Tibétains ont vraiment besoin d’un représentant. Au cours de l’année écoulée, leurs relations avec les Chinois sont passées de mauvaises à terribles, alimentées par des explosions de violence et des pourparlers qui sont dans une impasse.
Et avec le Dalaï Lama qui a maintenant 73 ans, et dont la santé est fragile, les Tibétains doivent se préparer à l’éventualité de son décès qui les laisserait sans une icône pour plaider leur cause auprès de la communauté internationale et les maintenir unis.
C’est un rôle que le Karmapa, autorité spirituelle de l’école Karma-Kagyii, une des quatre branches du bouddhisme tibétain, souhaite maintenant prendre. « Si j’en ai l’opportunité, je ferai de mon mieux », a-t-il déclaré cette semaine dans un des rares entretiens qu’il a accordé à des journalistes occidentaux.
Né en 1985 dans une famille nomade vivant sur le plateau tibétain, il a été intronisé 17e Karmapa à l’âge de sept ans, des signes mystiques l’ayant identifié comme la réincarnation du 16e Karnapa, mort en exil en Inde en 1981.
D’autres moines de l’école Karma-Kagyii ont présenté un autre garçon comme étant la vraie réincarnation du 16e Karmapa, mais le statut de Dorje a été reconnu par le Dalaï Lama et par Pékin. La Chine espérait qu’il soit un leader plus malléable, qui pourrait affaiblir le Dalaï Lama. Mais les espoirs chinois ont été anéantis quand il a fui le Tibet à l’âge de 14 ans, affirmant qu’il ne pourrait pas recevoir l’éducation religieuse dont il avait besoin.
Après avoir sauté de la fenêtre de la chambre qu’il occupait dans un monastère, il a effectué un périlleux périple de huit jours en jeep, à pied et à cheval, franchissant les postes frontaliers chinois et un passage situé à 5.380 mètres dans l’Himalaya pour entrer au Népal, avant de se rendre finalement en hélicoptère en Inde.
Son évasion audacieuse en a fait un héros auprès des exilés, particulièrement la plus jeune génération, et également au Tibet. Mais Pékin, ce qui n’est guère surprenant, n’a guère apprécié sa fuite.
Lui-même tente de minimiser la bénédiction que lui avait initialement donné Pékin. « Aujourd’hui je suis en Inde. Je suis un homme libre. Je n’ai pas de raison de me relier à la Chine ».
Le jeune homme n’est pourtant pas entièrement libre. L’Inde, refuge des exilés tibétains, voulait ménager un peu la Chine à un moment où leurs relations s’améliorait. Au départ, le Karmapa était confiné au dernier étage d’un monastère de Sidbhari, un petit village proche de Dharamsala, siège du gouvernement tibétain en exil. Si les restrictions indiennes ont été graduellement levées, il n’a toujours pas le droit de voyager jusqu’au monastère Rumtek, siège en exil de son école, non loin de la frontière chinoise.
Diplomate, le jeune homme salue l’Inde pour son accueil des exilés tibétains, mais exprime aussi ses frustrations « très personnelles ». « Parfois je me sens comme un prisonnier », confie-t-il, « assigné à résidence ». Alors, il joue sur sa PlayStation, ajoute-t-il, en mimant le geste avec les pouces. Il est opposé à la violence mais les jeux l’aident à se débarrasser des « mauvaises énergies ».
Si le Dalai Lama venait à mourir, il faudrait sans doute attendre des années compte tenu du processus de sélection de son successeur avant que le jeune garçon qui serait identifié comme sa réincarnation puisse prendre la relève. Le Panchen Lama, adolescent, se trouve lui au Tibet, vraisemblablement sous contrôle de Pékin.
Compte tenu des rivalités entre son école et celle du Dalaï Lama, le Karmapa Lama ne deviendrait probablement pas le chef spirituel des bouddhistes tibétains, mais pourrait servir de guide pendant la transition et peut-être marquer un changement de cap dans le combat pour la cause tibétaine. Pour l’heure, il ne veut pas dire s’il prônerait une indépendance totale, comme le souhaitent les plus jeunes, ou au contraire être plus conciliant avec la Chine.
Source : AP