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Livre — Le Passage du Col, d’Alain Nadaud

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Le_Passage_du_col.jpg25 ans après l’archéologie du zéro, Alain Nadaud est de retour avec un roman qui tranche nettement d’avec sa production habituelle, tout en la contenant : il s’amuse et nous amuse avec la figure récurrente chez lui qu’est le paradoxe.

Avec La passage du col, vrai-faux révit de voyage, il franchit un cap. C’est bien Alain Nadaud qui parle, un écrivain français promis au succès de roman en roman par ses pairs (il n’est que de consulter son site pour voir le flot d’éloges sous lequel il est régulièrement légitimé : Borgès par-ci, Borgès par-là…). Toujours richement documenté, Le Passage du col est roman d’aventure (et de mésaventures) pimenté d’un exercice d’autodérision salutaire et réjouissant. Son ancrage dans l’actualité dépoussière Nadaud de l’idée d’austérité que lui a valu son amour du monde antique.

Donc notre Nadaud, ainsi qu’il l’explique au khempo (abbé) rencontré à la frontière de la Chine et du Népal, a entrepris ce voyage pour se bousculer un peu, sortir de la routine (…) et peut-être même – pourquoi pas – trouver matière à la mise en chantier d’un nouveau roman. Puisqu’on est, chez les bouddhistes, autant en profiter pour tester l’efficacité des pratiques qui conduisent à prendre de la distance. Ironie. Le khempo dit banco (en anglais), et l’écrivain français s’engage, en échange de l’hospitalité des moines, à raconter le quotidien d’un monastère tibétain sous occupation chinoise.

Les voilà partis, le khempo, le dobdob (lama) et lui, les incroyables distances que l’on peut parcourir en marchant ! Cela m’étonnera toujours. Pour ce qui est de la dure réalité, elle s’impose : manque d’oxygène, hémorragie nasale, évanouissement et réveil dans une atmosphère pestilentielle, devant une Impressionnante série de visages aux pommettes saillantes et cramoisies, aux regards attentifs, candides et gentils sous les paupières bridées. une jeune (et jolie) fille lui donne à boire du lait, et le pauvre vomit comme l’Etna : tout le monde se marre. En plus de ces rêves qui assaillent l’écrivain, il lui faut accepter de grimper sur un yack parce qu’il est trop faible, même s’il s’accorde la précaution d’en descendre à l’arrivée au monastère pour ne pas paraître trop ridicule.

L’accueil est enthousiaste, plutôt extravagant pour les lamas. Après tout, qu’est-ce qu’on y connaît aux usages des lamas ? A l’office, Nadaud provoque un autre fou-rire général, la scène est irrésistible? On le confie au lama Tenzin pour l’apprentissage des techniques de méditation. Loin des questions oiseuses du genre : quel être supérieur avait créé cette horlogerie, il a plutôt envie d’entrer en résonance avec les vies antérieures que sont ses romans. Tous ses personnages, avatars de lui-même, ont eu partie liée avec une certaine pratique de l’écriture, des écrivains manqués, qui reviennent à présent le visiter en rêve. Ces insistantes réminiscences lui font comprendre qu’il écrit mû par une poussée collective venue du fond des âges. Bien que l’élève soit aguerri par sa pratique de la fiction, le voyage intérieur n’est pas dans danger : et si l’achèvement de ce roman-là signait son arrêt de mort? On n’en croit rien, en dépit de la chute, étonnante, du Passage du col. Sans s’appesantir sur l’élégance de l’écriture de Nadaud, il est à souligner qu’en dépit des descriptions, souvent somptueuses, des paysages et du monastère, l’auteur ne fait pas dans le pittoresque, rien n’est gratuit, disons plutôt qu’on retrouve cette attention au monde, cette faculté aiguë d’observation alliée à une parfaite maîtrise du style qui le caractérisent depuis longtemps.

Et l’on ne pourra plus dire (comme le disait un critique au sujet de La Mémoire d’Erostrate) que Nadaud est plus un intellectuel qu’n romancier tant ce roman est riche de suspense et de rebondissements (l’attaque du camion de riz, les représailles des Chinois, le viol de la soldate et son meurtre ; Nadaud y va carrément, et çà marche).

On peut seulement craindre qu’Alain Nadaud n’obtienne plus de visa pour la Chine, la mécanique colonisatrice et oppressive des Chinois, l’irrespect et l’inhumanité de leur armée sont exposés sans fard et sans atermoiements.

Après tout, c’est çà être écrivain : on repense à Nadaud se mettant en scène dans Les années mortes. Il revisite ses années d’enfance à partir de son entrée, à l’âge de 8 ans, à l’internat.
Texte splendide et violent, tendu qui dit l’isolement en collectivité, l’incompréhension et l’apprentissage rapide et brutal des codes nécessaires à la survie, et la naissance d’une vocation d’écrivain. En effet, insatisfait des livres mis à la disposition des élèves, il comprend qu’il va lui falloir écrire ses propres histoires ; par ailleurs, une punition absurde – mille lignes à copier en un jour et demi – lui apprend qu’échappant à sa conscience épuisée’, des phrases entières, venues je ne sais d’où, s’intercalent dans sa copie, des termes que je m’étonne de voir surgir sous mon stylo s’imposent soudain, bien qu’il ne soit guère sûr d’en connaître le sens…

Lecture de Marianne Faurobert



Alain Nadaud, une vie nomade

Alain Nadaud est né à Paris en 1948. Après avoir enseigné et voyagé à l’étranger (Mauritanien Irak, Inde, Nigéria, etc.), il a travaillé pendant dix ans comme conseiller, puis comme directeur littéraire chez plusieurs grands éditeurs parisiens (Denoël, Balland, Belfond). Il a fondé et dirigé « Quai Voltaire, revue littéraire ».

Il est l’auteur d’essais : Ivre de livres (Balland) et Malaise dans la littérature (Champ Vallon), de recueils de nouvelles : La Tache aveugle ou Voyage au pays des bords du gouffre (Denoël), et de neuf romans : Archéologie du zéro, L’Envers du temps et Désert physique (Denoël, col. « L’Infini »), L’Iconoclaste (Quai Voltaire), La Mémoire d’Erostrate (Seuil), Une aventure sentimentale (Verticales), Le Livre des malédictions (Grand Prix du roman de la Société des Gens de Lettres), Auguste fulminant (Prix Méditerranée 1998), La Fonte des glaces, ainsi qu’un récit autobiographique Les Années mortes, ces derniers publiés aux éditions Grasset.

Après avoir dirigé le Bureau du livre au Service Culturel de l’Ambassade de France en Tunisie et avoir été attaché culturel au Consulat général de France à Québec, Alain Nadaud est revenu en Tunisie, où il partage son temps entre l’écriture et la gestion d’un atelier de verre soufflé créé par sa compagne. Cet atelier est à présent un centre culturel.

Depuis son retour en Tunisie, Alain Nadaud a publié, sous la forme d’un journal de voyage, une enquête historique, géographique et littéraire sur les endroits par où, dans l’Antiquité, on descendait dans les Enfers Aux Portes des Enfers, ainsi qu’un roman Le Vacillement du monde, tous deux chez Actes Sud.

Si Dieu existe, son avant-dernier roman faisait partie de la rentrée littéraire 2007.
Ses ouvrages ont été traduits en allemand, espagnol, portugais, grec, lituanien, arabe, etc.

Son site personnel : www.alain-nadaud.fr


Communiqué publié sur www.buddhachannel.tv, avec l’aimable autorisation des éditions Albin Michel.

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