09.03.2009
Depuis leur prison de Lhassa, 14 nonnes tibétaines ont enregistré, en 1993, une cassette de chants contestataires. Aujourd’hui libres, elles sont venues à Bruxelles pour sensibiliser l’UE au sort des prisonniers politiques du Tibet.
Le 10 mars, les Tibétains commémoreront les 50 ans du soulèvement populaire anti-chinois avorté qui contraignit le dalaï-lama à fuir vers l’Inde. Depuis, les habitants de ce territoire de la Chine continentale réclament la « libération » de leur pays et le retour de leur chef spirituel sur sa terre natale. Des revendications peu appréciées de Pékin, qui étouffe toute tentative de protestation dans la région. A grand renfort de policiers armés.
Cela n’empêche pourtant pas un groupe de 14 nonnes bouddhistes de poursuivre le combat. En chantant. Surnommées les « nonnes chanteuses », ou « Drapchi 14 », elles ont enregistré, dans le secret de leur cellule, une cassette de chants indépendantistes, en 1993. Trois d’entre elles étaient présentes, lundi, à Bruxelles, pour appeler les pays européens à faire pression sur la Chine afin qu’elle libère plusieurs prisonniers politiques.
Ngawang Sangdrol est l’une de ces religieuses. Pour avoir crié « Vive le Tibet libre » et « Longue vie à Sa Sainteté le dalaï-lama » lors d’une manifestation pacifique organisée en 1990 dans les environs de Lhassa, la capitale du Tibet, elle a été arrêtée, puis jetée en prison, alors qu’elle n’avait que 13 ans.
Des chants pour la liberté
Les religieuses se sont rencontrées à Drapchi, la plus grande prison de Lhassa, réputée pour le traitement très dur qui y est réservé aux prisonniers. Enfermées dans le « rukhag 3 », le baraquement des détenus politiques, les nonnes ont enregistré leurs chants protestataires plusieurs nuits d’affilée. Elles ont murmuré leurs espoirs dans un vieux magnétophone : « Pays des neiges, quand tous les Tibétains seront unis, le soleil émergera derrière les nuages ».
Surprises dans leur action clandestine, elles ont été accusées de propagande contre-révolutionnaire et ont vu leurs peines rallongées de 5 à 9 ans.
Ngawang Sangdrol, la plus jeune des « Drapchi 14 », est alors âgée de 15 ans lorsqu’elle se fait prendre avec la cassette. Condamnée à 3 ans de prison, cette forte tête écope de six années de réclusion supplémentaires. Grâce à un réseau de solidarité tibétain, l’enregistrement parvient toutefois à sortir de la prison, puis à rejoindre l’Europe.
Ngawang estime n’avoir fait preuve d’aucune bravoure en chantant. Pour elle, témoigner des souffrances des Tibétains relève de sa « responsabilité ».
« J’ai vu de mes propres yeux les tortures qui leur ont été infligées. J’ai assisté à la destruction de notre culture. J’ai la responsabilité de dire ce qui se passe », explique-t-elle à FRANCE 24.
Le prix à payer
Les 14 nonnes ont payé le prix fort pour leur engagement. Phuntsog Nyindron, 38 ans, souffre toujours des séquelles accumulées lors de ses 14 années d’emprisonnement et de torture.
« À mon arrivée en prison, les gardes m’ont menottée dans le dos et tirée sur les bras jusqu’à ce que mes épaules se disloquent. Ils m’ont ensuite brûlé les mains et le visage avec des cigarettes, se souvient-elle. Ils nous battaient au visage tous les jours. Mais ce jour-là, ils m’ont accroché des fils électriques sur les doigts et m’ont électrocutée, tout en me battant avec des barres de métal. Ils m’ont laissée dans la cellule, inconsciente, sans me donner ni à boire ni à manger. »
Toutes les « Drapchi 14 » n’ont pas survécu. Ngawang Lochoe est décédée en 2001, à l’âge de 26 ans. Les 13 autres ont été relâchées entre 1999 et 2004, souvent pour raisons médicales.
Continuer le combat
Six d’entre elles ont réussi à fuir le Tibet, parcourant à pied, souvent de nuit, les routes enneigées de l’Himalaya que le dalaï-lama avait empruntées quelques décennies auparavant.
« Quand j’ai été libérée, je ne pensais pas à quitter le Tibet. Mais les choses n’ont fait qu’empirer. Ma maison était en permanence sous surveillance. Je n’avais aucune liberté de parole ou de mouvement », explique Namdrol Lhamo, 43 ans, qui vit aujourd’hui en Belgique après 12 ans passés à Drapchi.
« Nous connaissons les terribles conditions d’incarcération à Drapchi, il est donc essentiel que les derniers détenus soient libérés », presse aussi Gyaltsen Drolkar, en exil à Bruxelles depuis sa libération en 2003.
Par Sarah Leduc
Source : www.france24.com