La loi spirituelle dans la vie quotidienne
d’après Marc le Moine[[Marc le Moine, ou Marc l’Ermite, ou encore Marc l’Ascète, est un des grands spirituels orthodoxes du Ve ou VIe siècle. L’Église Orthodoxe fête sa mémoire le 5 mars.
La biographie de saint Marc reste largement inconnue, et elle a fait l’objet de nombreuses hypothèses. Les synaxaires le confondent généralement avec Marc du désert des Cellules, qui connaissait l’Écriture sainte par cœur et auquel un ange venait donner la sainte Communion, lequel est mentionné par Pallade dans « Histoire Lausiaque » (18, 25). D’autres l’assimilent à Marc de Penthucla en Palestine, évoqué par Jean Moschos dans son livre « Le Pré Spirituel » (ch. 13), ou encore à Marc d’Aréthuse (29 mars) ou Marc l’Athénien (5 mars). D’autres auteurs récents l’identifient avec un supérieur d’un monastère d’Asie Mineure (peut-être proche de Tarse) au Ve siècle.]]
On ne connaît pas beaucoup des choses sur la vie de ce Père de l’Église. Le bienheureux Père Marc aurait vécut vers l’an 430. Il avait été, semble-t-il, disciple de saint Jean Chrysostome et avait acquis à son école une connaissance parfaite de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament. Il devint ensuite moine près d’Ancyre, en Asie Mineure, et exerça la charge d’higoumène jusqu’au temps où, désirant mener des combats plus ardus, il se retira en solitaire dans le désert, où il demeura jusqu’à son repos, vers l’âge de cent ans.
C’est quoi la loi spirituelle ?
Ce syntagme de « loi spirituelle » ou de la loi qui est spirituelle, n’est pas étrange à notre esprit. Nous avons l’intuition qu’il est lié à la « vie spirituelle », à la « vie nouvelle » que le Christ nous l’a donnée, et qu’il est en quelque sort opposé à la loi ancienne, à la loi charnelle, à la loi matérielle même.
Mais dans le Nouveau Testament, cette expression, qui a fait plus tard carrière dans la pensée des Pères, apparaît une seule fois, je crois, dans l’Epître de saint Paul aux Romains, chapitre 7.
Dans ce passage, assez intrigant d’ailleurs, saint Paul parle d’une opposition et d’une lutte même entre la chair et l’esprit (image largement reprise plus tard par les Pères et par l’hymnographie de l’Eglise), d’une lutte entre la loi qui est spirituelle et la loi du péché qui agissent dans l’homme.
Voila un fragment de ce passage de l’épître aux Romains :
7:14 Nous savons, en effet, que la loi est spirituelle; mais moi, je suis charnel, vendu au péché.
7:15 Car je ne sais pas ce que je fais: je ne fais point ce que je veux, et je fais ce que je hais.
7:16 Or, si je fais ce que je ne veux pas, je reconnais par là que la loi est bonne.
7:17 Et maintenant ce n’est plus moi qui le fais, mais c’est le péché qui habite en moi.
7:18 Ce qui est bon, je le sais, n’habite pas en moi, c’est-à-dire dans ma chair: j`ai la volonté, mais non le pouvoir de faire le bien.
7:19 Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.
7:20 Et si je fais ce que je ne veux pas, ce n’est plus moi qui le fais, c`est le péché qui habite en moi.
7:21 Je trouve donc en moi cette loi: quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi.
7:22 Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l`homme intérieur;
7:23 mais je vois dans mes membres une autre loi, qui lutte contre la loi de mon entendement, et qui me rend captif de la loi du péché, qui est dans mes membres.
7:24 Misérable que je suis! Qui me délivrera du corps de cette mort?…
7:25 Grâces soient rendues à Dieu par Jésus Christ notre Seigneur!… Ainsi donc, moi-même, je suis par l`entendement esclave de la loi de Dieu, et je suis par la chair esclave de la loi du péché.
Mais là je veux préciser tout de suite que les Pères de l’Eglise ont entendu ce passage non pas pour les baptisés, mais pour les juifs incrédules et non baptisés. Voilà ce qui dit saint Marc le Moine dans son dialogue sur le baptême :
« Ceux qui les comprennent mal et se trouvent dans l’erreur [de considérer que le péché pousse en nous après le baptême malgré nous, n.n.] gauchissent ainsi le reste des Écritures. Reprends ce chapitre plus haut et tu découvriras que saint Paul ne parle pas de sa situation après le baptême, mais qu’il tient le rôle des Juifs incrédules et non baptisés, pour les persuader que, sans la grâce du Christ donnée au baptême, il est impossible de vaincre le péché. Il dit : ‘Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ?’ ; et il ajoute : ‘Je rends grâce à Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ’ (Rom. 7, 24), parce que ‘la loi este spirituelle, et moi je suis charnel, vendu au péché’ (Rom 7, 14) » (Marc le Moine, Le baptême, 993 A, dans : Marc le Moine, Traités spirituels et théologiques (= Spiritualité orientale, 41), Bellefontaine, 1985, p. 97).
Nous voyons donc déjà que cette « loi spirituelle » est directement liée au baptême. Et effectivement saint Paul lui-même, quelques versets plus loin dit : « En effet, la loi de l’esprit de vie en Jésus Christ m’a affranchi de la loi du péché et de la mort. » (Rom 8, 2).
Et avec cela nous y sommes : la loi spirituelle est précisément cette « loi de l’esprit de vie en Jésus Christ », c’est-à-dire la loi du Christ gravée sur le cœur par l’Esprit (Marc le Moine, Le baptême, 993 B, p. 97) au baptême, ou la grâce du Saint-Esprit à l’œuvre dans le cœur du baptisé (Marc le Moine, De ceux qui pensent être justifiés par leurs œuvres, 137. Dans : Marc le Moine, Traités spirituels et théologiques (= Spiritualité orientale, 41), Bellefontaine, 1985, p. 56).
Or, la loi spirituelle est tout simplement la loi du Christ, dont la quintessence est ce qu’Il a dit dans l’évangile selon saint Jean :
13:34 Je vous donne un commandement nouveau: Aimez-vous les uns les autres; comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.
13:35 A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres.