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Inde — J’apprends le Sanscrit à la Madrasa …

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05.02.2009

Dans une région rurale du nord du pays, des écoles coraniques enseignent la langue sacrée de l’hindouisme et accueillent des élèves de toutes communautés. Un bel exemple d’ouverture.

Des écoliers indiens dans une madrasa
Des écoliers indiens dans une madrasa
Nous arrivons à la madrasa Anwarul-Islam Salfia à 12 h 45, peu avant le namaaz, la prière. Les élèves se rassemblent autour de la rangée de robinets pour se laver les mains et les pieds, puis se mettent en ligne pour prier. De l’extérieur, ce bâtiment modeste situé dans les ruelles étroites et poussiéreuses de Chauri, dans le district de Jalalpur, dans l’est de l’Uttar Pradesh [au nord du pays], ressemble exactement à l’idée qu’on se fait d’une école coranique, un lieu où on étudie rigoureusement l’islam, l’ourdou et l’arabe. Mais l’intérieur offre un spectacle tout en contraste. Les murs de briques rouges de la classe du niveau 7 [l’équivalent de la cinquième] sont nus, les fenêtres pas encore posées. Nadima Bano et Hishamuddin, 12 ans, sont en train de réciter une ode à l’Inde en sanscrit, leur prononciation est parfaite, leur élocution sobre. « Le sanscrit [dans lequel sont écrits les grands textes de l’hindouisme] est considéré comme la mère de toutes les langues », explique Rabindra Kumar Mishra, leur professeur. « Que des institutions comme cette madrasa le fassent vivre alors qu’il disparaît ailleurs ne manque pas de piquant. »

Il est évident que cet établissement n’est pas une exception. Dans la madrasa Azizia, les aiguilles de l’horloge murale sont peut-être bloquées sur 6 h 45, mais cette maktab [école primaire] est pourtant en avance sur son temps. L’important ici n’est pas seulement que Hishamuddin, le musulman, apprenne le sanscrit, c’est aussi que Ravi Prakash Pandey, 13 ans, brahmane et fils d’un professeur de sanscrit, ait décidé d’apprendre le Coran en niveau 1 [cours préparatoire]. Il peut aujourd’hui réciter le texte sacré de mémoire et en a chez lui un exemplaire qu’il feuillette pieusement. « Le Coran enseigne que nous devons aider les autres, faire de bonnes actions et nous garder du mal », déclare-t-il sobrement. Il se précipite pour faire ses ablutions et se couvrir la tête avant de nous faire la lecture à haute voix.
La coexistence du sanscrit et de l’ourdou est pour les enseignants une chose normale et non un symbole délibéré en ces temps troublés de division communautaire. « Comment peut-on associer une langue à une religion ? » demande Brijesh Kumar Yaduvanshi, qui habite Jaunpur et préside l’Union des étudiants indiens. « L’ourdou n’appartient pas aux musulmans et le sanscrit ne concerne pas que les hindous. » Cet intérêt pour le sanscrit, une langue qui n’est plus parlée au quotidien depuis longtemps, est toutefois inattendu. « Il ne s’agit pas de permettre aux élèves de trouver un emploi », explique Qari Jalaluddin, de la madrasa Salfia. « Il s’agit de leur enseigner l’humanité, la philosophie et la bonne façon de vivre, de leur apprendre à distinguer le bien du mal. » Dans son école, l’ourdou est obligatoire jusqu’au niveau 5 [le CM2], après quoi les élèves hindous peuvent décider de continuer ou non. Le sanscrit est quant à lui enseigné jusqu’au niveau 9 [la troisième].

La cohabitation tranquille des deux langues dans les madrasas de cette région est peut-être l’héritage du passé soufi. « C’était un centre d’enseignement au Moyen Age, explique Yaduvanshi. La région n’a jamais connu la moindre émeute communautaire et a toujours été un symbole d’unité. » La madrasa Salfia a d’ailleurs été construite sur un terrain acheté à une famille brahmane en 1987. Aujourd’hui, alors que les madrasas, surtout celles de l’est de l’Uttar Pradesh, ont la réputation d’être des pépinières de terroristes et que chaque attentat range encore les musulmans indiens dans les catégories bien distinctes des patriotes progressistes éduqués ou des fondamentalistes mal informés et manipulés, ces établissements présentent un témoignage réconfortant de la largeur d’esprit et de la tolérance discrètes du musulman ordinaire, anonyme.

Rien ou presque ne distingue les élèves hindous de leurs camarades musulmans. On ne reconnaît leur religion qu’à leurs patronymes ou à leur façon de porter le foulard. Et, même si les madrasas enseignent le hifz, l’apprentissage par cœur du Coran, elles ont toutes une conception progressiste de la vie. « On ne peut pas avancer uniquement avec l’enseignement religieux. Il faut que nos élèves apprennent tout : sciences, géographie, mathématiques, anglais », déclare Muhammad Saikat, le directeur de Salfia. Cette madrasa est la seule école du village à offrir un enseignement secondaire aux filles, qui, sinon, devraient faire dix kilomètres à pied. L’établissement souhaite désormais lancer des cours d’informatique et d’électronique.

Comme tant d’autres, ces madrasas ne reçoivent aucune aide du gouvernement. Le déjeuner des élèves n’est pas fourni et les uniformes ne sont pas gratuits : tout cela est pris en charge par les conseils d’administration des établissements. Dans certaines madrasas comme celle d’Azizia, les manuels et l’enseignement sont gratuits. A Salfia, les frais de scolarité ne sont que de 5 roupies [7 centimes d’euro] par mois. Ailleurs, ils sont de 40 roupies [60 centimes d’euro] mais seuls 10 % des élèves les paient. Les enseignants eux-mêmes ne reçoivent pas de salaire du gouvernement mais survivent grâce aux dons de mécènes, leur traitement variant en moyenne de 800 à 1 500 roupies par mois [12 à 23 euros]. A titre de comparaison, les enseignants du secteur public touchent le salaire royal de 3 000 roupies [46 euros]. Si humbles et si mal équipées qu’elles soient, ces madrasas illustrent la façon dont hindous et musulmans vivent, unis et non séparés, dans ces villages oubliés. « Les deux communautés sont liées comme le Gange et la Yamuna. Pourquoi vouloir briser le fil sacré de cette relation vieille de plusieurs siècles ? » demande Srivastava.


Par Namrata Joshi (Outlook)

Source : www.courrierinternational.com

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