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L’Observatoire de l’Europe — Sagesse asiatique

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Lundi 17 Novembre 2008

A l’opposé du modèle d’intégration cher à l’UE, les pays d’Asie font prévaloir coopérations et souveraineté. D’un côté en effet, la philosophie implicite de l’UE renvoie à un monde divisé en « blocs » de plus en plus compacts et concurrents. En Asie au contraire, l’ANASE est une association régionale « à géométrie variable » assurant souplesse de décision. Comme l’UE, l’ANASE fait référence à un principe fondateur, en l’occurrence les « valeurs asiatiques ». Mais celles-ci peuvent se lire presque à l’inverse des dogmes bruxellois : elles ont pour nom souveraineté des États, non-ingérence dans les affaires intérieures, respect mutuel des membres, discipline organisée autour du développement national, et, sur le plan économique, symbiose entre politiques publiques et initiatives privées.

1112037-1420067.jpgLe Forum Asie-Europe (ASEM) a réuni les 24 et 25 octobre les dirigeants de pays qui s’organisent de manière totalement différente sur leurs continents respectifs : là où l’UE se veut un bloc régional intégré tendant à une « union sans cesse plus étroite », l’ANASE, qui associe des pays asiatiques sur la base de leur souveraineté nationale, promeut au contraire des coopérations souples, à géométrie variable, dans le respect des choix politiques de chacun.

Le septième Forum Asie-Europe (ASEM) a réuni, les 24 et 25 octobre à Pékin, les Chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept (sauf Gordon Brown) et ceux de seize pays asiatiques. La crise financière et économique a quelque peu éclipsé les autres sujets prévus à l’ordre du jour, telle la sécurité alimentaire. Du reste, les pays asiatiques avaient annoncé, peu avant l’ouverture de la réunion, leur coopération face à la crise à travers la création d’un fonds commun de 80 milliards de dollars.

Le sommet ASEM a débouché sur une déclaration préconisant une « réforme réelle et de fond des systèmes internationaux monétaires et financier », et suggérant une plus forte implication du Fonds monétaire international (FMI) dans l’assistance aux pays en détresse financière. Le président chinois Hu Jintao, qui co-présidait le sommet avec son homologue français, avait appelé à un renforcement de la coopération entre l’Asie et l’Europe, tout en souhaitant que ce travail soit « fondé sur le respect des mentalités » des uns et des autres. « L’Europe et l’Asie partagent la même détermination et le même engagement à travailler ensemble », s’est réjoui pour sa part le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, en précisant que cela permettrait de formuler des propositions communes lors du sommet « G20 » prévu le 15 novembre.

En réalité, il était improbable que l’ASEM aille au-delà de déclarations de principe consensuelles. Ce forum est en effet un cadre de rencontre informel mettant en présence des pays appartenant ou associés à deux structures elles-mêmes différentes : l’Union européenne, et l’Association des nations de l’Asie du sud-est (ANASE)[[l’ANASE est (en anglais) l’ASEAN.]] Si les dirigeants de la première n’ont de cesse de chercher une « union toujours plus étroite » (avec les contradictions que cela ne manque pas de provoquer actuellement), les responsables de la seconde ont toujours fait prévaloir une approche coopérative beaucoup plus souple, à l’opposé de l’intégration.

D’un côté en effet, la philosophie implicite de l’UE renvoie à un monde divisé en « blocs » de plus en plus compacts et concurrents. En Asie au contraire, l’ANASE est une association régionale « à géométrie variable » assurant souplesse de décision. Le fait qu’elle ne regroupe qu’une partie des participants asiatique invités à l’ASEM, tout en ayant constitué l’élément moteur de ce forum euro-asiatique, illustre la flexibilité qui caractérise l’ANASE.

Pourtant, cette dernière fut créée en 1967 dans – et pour – la guerre froide, exactement comme la Communauté européenne, dix ans plus tôt. Les dirigeants des cinq pays fondateurs – Indonésie, Malaisie, Philippines, Thaïlande, Singapour – avaient en commun de vouloir faire échec à la montée des mouvements communistes dans la région. Mais, à la différence de l’UE, l’ANASE a su dépasser l’esprit anticommuniste qui avait présidé à son accouchement. Elle a ainsi accueilli en son sein deux Etats toujours officiellement socialistes : le Viêt-Nam en 1995 et le Laos en 1997. Pour leur part, le sultanat de Brunei est membre depuis 1984, la Birmanie depuis 1997, et le Cambodge depuis 1999. Enfin, la Papouasie-Nouvelle-Guinée a obtenu le statut d’observateur en 1976, et le Timor Leste a posé sa candidature qui pourrait aboutir d’ici cinq ans.

Comme l’UE, l’ANASE fait référence à un principe fondateur, en l’occurrence les « valeurs asiatiques ». Mais celles-ci peuvent se lire presque à l’inverse des dogmes bruxellois : elles ont pour nom souveraineté des États, non-ingérence dans les affaires intérieures, respect mutuel des membres, discipline organisée autour du développement national, et, sur le plan économique, symbiose entre politiques publiques et initiatives privées.

Cette diversité se décline en formes politiques variées : libéralisme à l’occidentale, société socialiste, pouvoir militaire, monarchie parlementaire ou absolue. Même sur le plan religieux, elle se traduit par un vaste spectre de confessions : bouddhisme du « petit véhicule », traditions philosophiques chinoises (bouddhisme « grand véhicule », confucianisme et taoïsme) et pratiques islamiques voisinent des présences hindouistes et chrétienne notables. Selon les pays, l’athéisme se taille une part plus ou moins large.

Tout cela n’empêche pas – et en réalité favorise – des coopérations renforcées dans un domaine ou dans un autre, mais laisse aux pays-membres le choix de s’y associer ou non. Les États parlementaires ont créé l’Organisation interparlementaire (AIPO) accueillant des députés nationaux. Les deux pays n’ayant pas de parlement ne participent pas à ces activités, ce qui ne les empêche nullement d’être présents dans d’autres secteurs de coopération. Une situation inimaginable au sein de l’UE, dont l’essence est l’uniformisation des « valeurs » politiques.

L’ANASE subit d’ailleurs la pression des États occidentaux qui l’accusent de manifester une trop grande tolérance envers le Myanmar (ancienne Birmanie), dont le gouvernement militaire ne plaît pas « hors zone ». Le grief non avoué est en fait la coopération jugée trop étroite de ce pays avec la Chine. Car une autre caractéristique de cette association est d’avoir créé un réseau de coopérations internationales en « cercles concentriques ». Aux côtés de ses dix membres actuels, l’ANASE a été à l’origine d’espaces non contraignants, au sein duquel elle joue un rôle pilote. Il en va ainsi de « l’ANASE Plus Trois » (APT), qui associe la Chine, le Japon, la Corée du Sud. L’APT a vue le jour de par la volonté des pays asiatiques invités à l’ASEM de se concerter sans la présence des Européens et de coordonner ainsi leurs positions face à l’UE ou pour la préparation des négociations à l’OMC.

Pour sa part, le sommet de l’Asie orientales (EAS) est un forum annuel regroupant les chefs d’État de seize pays d’Asie orientale, avec aujourd’hui la Russie comme nouvelle candidate. Quant au Forum régional ANASE (ARF), il rassemble 26 États d’Asie et du Pacifique, essentiellement sur les questions de sécurité. Enfin, il existe également le sommet ANASE-Russie.

Respect mutuel

Tant le fonctionnement interne que les relations extérieures privilégient donc le principe de rencontres souples entre dirigeants ou décideurs. Pour les États-membres, la souveraineté réelle et la franchise dans le respect mutuel garantissent des coopérations internationales plus durables et plus efficaces car partant des réalités différentes de chaque peuple. L’objectif de l’ANASE est aujourd’hui de renforcer la coopération dans les domaines économique, social, culturel, scientifique et administratif, ainsi que l’assistance mutuelle et la stabilité. Elle entend également offrir une espace pour régler les problèmes régionaux et intervenir en commun dans les négociations internationales.

Mais l’ANASE n’a jamais été envisagée comme une alliance militaire, ni comme un organisme devant mener une politique étrangère unifiée. En 1971, les pays-membres ont signé la Déclaration de Kuala Lumpur proclamant que leur région était neutre et indépendante vis-à-vis des puissances extérieures, et souhaitait éviter d’être impliquée dans la guerre froide. La première rencontre des chefs de gouvernement à Bali en 1976 a abouti à la signature de traités affirmant notamment les principes de non-ingérences dans les affaires intérieures des pays membres et la résolution des conflits par des moyens pacifiques. L’ANASE a su contribuer au règlement de plusieurs conflits, notamment frontaliers.

Le dynamisme économique de l’Association explique pourquoi certains de ses membres sont parfois considérés comme des modèles de développement. D’où la création en 1989 de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique qui réunit les pays du Pacifique (ANASE, USA, Japon, Canada, Nouvelle-Zélande).

La crise financière de 1997, et le rôle joué à cette occasion par la Chine face au FMI, ont débouché sur la mise en place progressive d’une association asiatique de libre-échange, l’AFTA, visant à « encadrer » la libéralisation des économies – imposées par la « communauté internationale » – à travers une politique d’aide et de grands projets, tel l’aménagement du Mékong. Cela s’est accompagné, en 2002, de la signature d’un accord visant notamment l’abaissement des barrières douanières.

Parmi d’autres formes de coopération, il faut citer les accords de libre circulation des citoyens des pays membres, les compétitions sportives, les prix accordés aux écrivains, la restauration des patrimoines culturels, le développement du tourisme, la protection de sites naturels, les aides à l’enseignement supérieur…

En matière d’organisation, l’ANASE est dotée d’une présidence, d’un sommet annuel des chefs d’État et de gouvernement (coordonné par le secrétariat général installé à Djakarta), de conférences ministérielles, d’un comité permanent qui se réunit tous les mois, et de commissions chargées des questions sectorielles. Enfin, l’Association n’exige de ses membres aucune exclusive, et laisse ainsi la porte ouverte à des coopérations avec d’autres États ou organismes en Asie, dans l’Océan Pacifique ou Indien, ainsi qu’avec des associations comme la Francophonie, le Mouvement des pays non alignés, l’Organisation de la conférence islamique, le Commonwealth, les États socialistes d’Asie ou d’Amérique…

L’ANASE n’entend en aucun cas constituer un modèle. Mais si les peuples du Vieux Continent y trouvaient une inspiration, le dogme d’une « Union toujours plus étroite », qui constitue la trame des traités européens successifs, pourrait bien alors prendre un coup de vieux supplémentaire.


Bruno DRWESKI

Bastille République Nations (n°42)

Source : www.observatoiredeleurope.com

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