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Le Dialogue doctrinal avec l’Islam, délicat mais nécessaire

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Le dialogue doctrinal avec l’islam, délicat mais nécessaire


29.10.2008 – La Croix

Parmi les différents types de rencontre entre musulmans et chrétiens – vie quotidienne, vie sociale, spiritualité… –, le dialogue théologique est sans doute le plus incompris et celui qui suscite le plus de réticence. Mouna Mohamed Chérif, islamologue musulmane et membre du Groupe de recherche islamo-chrétien (Gric), ne cache pas l’avoir longtemps considéré avec scepticisme.

« J’étais une adepte du dialogue de vie, explique-t-elle. J’avais l’idée qu’on ne pouvait pas aller loin dans le dialogue intellectuel et théologique. » En participant aux rencontres du Gric, cette Algérienne de 39 ans a changé d’avis. Pour elle, désormais, le dialogue au quotidien est utilement « complété » par le dialogue théologique : « Lui seul casse les imaginaires négatifs hérités du passé et permet de les retravailler. »

Après quelques décennies de rencontres interreligieuses, les théologiens concernés sont devenus conscients des difficultés du dialogue théologique entre musulmans et chrétiens. L’intelligence de la foi, sa mise en mots et en concepts est un exercice délicat ; rencontrer la foi de l’autre et s’efforcer de la comprendre l’est davantage. Sans se résigner, Vatican II avait encouragé chrétiens et musulmans, les invitant « à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle » (déclaration Nostra ætate, n. 3). En 1996, un document de la Commission théologique internationale sur Le Christianisme et les Religions a détaillé les fondements catholiques de cette rencontre.

Responsabilité commune

Le dialogue théologique avec l’islam a paru marquer le pas au début du pontificat de Benoît XVI. La décision de rapprocher le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux de celui de la culture – avant de lui rendre son autonomie après l’affaire de Ratisbonne – avait été interprétée comme une hésitation sur la nature, voire la nécessité, de ce dialogue. « Dans certains cercles, on a pu entendre qu’il n’y a pas de points communs de dialogue avec l’islam et, à la limite, que ce dialogue doit être considéré comme celui avec le bouddhisme ou l’hindouisme », déplore le théologien dominicain Claude Geffré.

Pour ce spécialiste du pluralisme religieux, ce n’est pas que sur le plan culturel, mais sur celui de « la rencontre des fois », que la rencontre avec l’islam doit se faire. « Saint Paul dit que le christianisme est greffé sur le judaïsme. L’islam, lui, est comme un rameau sauvage sur le tronc du choix du peuple juif », explique-t-il. Face à l’incroyance moderne et à l’attrait pour les sagesses d’Orient, le P. Geffré évoque une responsabilité commune des chrétiens et des musulmans de « continuer à nommer le Dieu créateur de l’univers ».

« Le dialogue théologique fait un peu peur », confirme Henri de La Hougue, théologien à la Catho de Paris et coprésident du Gric. Cet islamologue dit qu’on lui a reproché « un certain optimisme » sur le dialogue théologique avec l’islam, en décalage avec ce qui serait vécu sur le terrain. Or, plaide-t-il, « c’est le propre du travail universitaire et théologique d’être décalé, tout en restant en lien avec le terrain. Si de grands textes comme Nostra ætate n’avaient pas été décalés par rapport à leur époque, nous n’aurions pas pu avancer dans la rencontre avec l’islam comme nous l’avons fait ces dernières années. »

« La recherche, ensemble, de la vérité »

Pour les spécialistes, le champ du dialogue islamo-chrétien demeure immense, mais ils l’envisagent différemment qu’il y a quarante ans. « Sur ce qui fait le noyau dur du dialogue théologique, j’ai le sentiment qu’on a dit tout ce que l’on pouvait dire », constate le P. Étienne Renaud, ancien directeur de l’Institut pontifical d’études arabes et d’islamologie (Pisai) à Rome. Pour ce Père Blanc, un tel dialogue aboutit par exemple très vite à une « contradiction » entre l’affirmation chrétienne de la Trinité et « la négation formelle de la Trinité, de l’incarnation et de la rédemption par l’islam ».

C’est donc sur d’autres points, comme la prière ou la notion de foi, que des avancées intéressantes peuvent se faire. Mais, d’expérience, le P. Renaud pense surtout qu’il faut aujourd’hui privilégier un dialogue fait d’écoute mutuelle plutôt que de débats et d’argumentations. « Je rêve d’une rencontre où les uns et les autres se tairaient complètement pour écouter ce que chacun croit, précise-t-il. Trop souvent encore, l’argument est utilisé comme une arme. » Président pour la France de la Conférence mondiale des religions pour la paix, l’intellectuel musulman Ghaleb Bencheikh confirme : « Le dialogue théologique ne peut pas prendre le dogme pour point de départ, comme c’est la tentation de part et d’autre. Il ne peut être que la recherche, ensemble, de la vérité. »

Au final, le dialogue théologique a-t-il gagné en maturité ? Peut-être, car des théologiens acceptent désormais d’explorer avec bienveillance des différences pourtant jugées irréductibles à vues humaines. « Nous, chrétiens, devons nous accommoder à l’idée, non seulement que l’islam comme religion ne va pas disparaître, mais qu’il restera un défi vivant dans notre lecture de l’événement de Jésus », estime le jésuite américain Daniel A. Madigan, professeur à l’université Georgetown de Washington et membre du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

Un mystère qui invite chaque religion à s’interroger

Cette différence entre musulmans et chrétiens n’est pas vécue comme un échec, mais comme un mystère qui invite chaque religion à s’interroger. « Comment ne pas reconnaître, par exemple, que nos formulations théologiques sur la Trinité sont souvent verbales, ou du moins insuffisantes, car elles risquent de compromettre l’unicité de Dieu et d’aboutir à une forme de trithéisme ? relève le P. Claude Geffré. De leur côté, les docteurs de l’islam pourraient méditer sur le mystère trinitaire et sur la manière dont il révèle la véritable transcendance de Dieu, celle de l’amour. »

« Il est possible de trouver de nouvelles expressions de notre foi, accessibles aux musulmans et néanmoins fidèles à la tradition chrétienne », avance le P. Madigan. « Au final, souligne-t-il, l’effort requis pour développer une théologie qui réponde aux interrogations et aux perplexités musulmanes aura un bénéfice pour la communauté chrétienne elle-même. » Ainsi, résume Claude Geffré, la différence peut être vécue positivement, comme « une émulation réciproque dans la recherche d’un Dieu toujours plus grand ».


Élodie MAUROT
La Croix

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