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Hu Jia : « Défendre ses intérêts, c’est déjà défendre ceux des autres. »

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HU JIA ET ZENG JINYAN : LES ENFANTS DE TIANANMEN


23.10.2008

Dans la banlieue pékinoise, un jeune couple mène une existence inédite à Bobo Freedom City, complexe résidentiel destiné, comme son nom anglais l’indique, à la classe « bourgeois-bohème » de la Chine du « miracle économique » : sous l’écrasante torpeur grise du ciel d’été, des immeubles se dressent, alignés, un peu plus fantaisistes que ce à quoi habitue la monotonie architecturale des zones vaguement urbaines qui s’étendent au-delà du sixième périphérique de la capitale.

ELISA HABERER POUR
ELISA HABERER POUR

Hu Jia, 34 ans, et sa femme, Zeng Jinyan, 24 ans, auraient pu être, comme leurs voisins free-lance ou écrivains, un de ces couples de jeunes bobos pékinois, avant-garde branchée mais préoccupée de réussite matérielle et de bien-être, s’ils n’avaient fait un choix plus radical, celui de la défense des droits de l’homme.

Pionnier de l’engagement écologique puis de la lutte contre le sida, Hu Jia est aujourd’hui l’un des coordonnateurs les plus actifs de la lutte des « avocats aux pieds nus », cette mouvance de militants (juristes, avocats ou universitaires) qui ont choisi de combattre sur le terrain les injustices, en se prévalant des lois existantes. Si elle se heurte aux tactiques d’une police secrète rompue aux techniques d’intimidation physique et morale, et prête à toutes les machinations juridiques, cette forme moderne de dissidence bénéficie des dernières avancées technologiques.

Sur les trois ou quatre téléphones portables qu’il garde chez lui, Hu Jia reçoit les appels des uns et des autres, enregistre en podcast les témoignages, dissémine à tour de bras les informations en Chine et à l’étranger par Internet. Zeng Jinyan, qui tient sur son blog la chronique de leur combat, s’aventure à des mini-actes de protestation, narguant les policiers avec ses tee-shirts « Under house arrest again » imprimés au supermarché local.

Protégés par leur notoriété (Hu Jia est sans cesse cité dans la presse étrangère et Zeng Jinyan fut désignée par Time Magazine comme l’une des 100 personnalités de l’année), les jeunes activistes ont pourtant une marge de manoeuvre bien étroite : quand nous les avons rencontrés, en juin, Jia était en résidence surveillée. Jinyan, enceinte de quatre mois, était libre de ses mouvements mais suivie dès qu’elle sortait. Devant l’immeuble du couple veillaient, quoique assoupis cet après-midi-là, des policiers en civil.

Plus tard, peu avant la parution de ces lignes, l’intéressé nous a confirmé au téléphone qu’il se considérait encore « la plupart du temps » comme empêché de quitter son domicile. Il le fut 214 jours en 2006 et la majeure partie des sept premiers mois de 2007. Par défi, Hu Jia a piégé ses geôliers en réalisant en cachette la chronique vidéo de ce harcèlement policier de tous les instants. Le film, inédit, est intitulé Prisonniers de Freedom City.

Son tout premier engagement, Hu Jia le fait remonter aux années 1990. Diplômé en économie, il devient membre de la Brigade du yak sauvage, une ONG qui défend les antilopes tibétaines massacrées par les braconniers au Qinghaï. La vie des plantes et des animaux lui est chère, dit ce converti au bouddhisme tibétain. Une passion qui date de son enfance. Son père, victime de la campagne anti-droitière de 1957 pour avoir parlé de la famine qui sévissait alors, fut exilé dans l’ouest lointain de l’empire. Quand Hu Jia naît, des années plus tard, ses parents sont toujours séparés en raison de leurs « fautes ». Le trio ne se voit qu’une fois l’an : Jia vit avec son père, ingénieur des ponts et chaussées, que le pouvoir déplace selon son bon plaisir.

Dans sa jeunesse, le futur « dissident » vivra au Hunan. Il n’a pas la vie facile et fait partie de la famille de ces « ennemis du peuple surveillés par le peuple ». On leur jette des pierres. « Mes seuls amis d’enfance, confie-t-il aujourd’hui, étaient les libellules et les grenouilles. »

En 2001, il découvre une autre cause. Après avoir rencontré l’activiste Wang Yanhaï, l’un des premiers à dénoncer les mensonges du régime sur le sida, alors considéré comme une « maladie de drogués et d’homosexuels », il entreprend de briser le carcan du silence autour des séropositifs en créant avec lui une ONG. Au Henan, dans le centre de la Chine, les collectes de sang à grande échelle ont infecté des dizaines de milliers de paysans par le virus du VIH. Hu Jia passera plusieurs mois par an dans les « villages du sida » de cette région très pauvre, entre 2002 et 2005. « Beaucoup de gens mouraient, se souvient-il ; en tant que bouddhiste, il m’incombait de passer du temps avec eux pour alléger leurs souffrances. » Il s’est converti tôt, en 1989, durant les « événements » de Tiananmen : il avait 15 ans et se rendait tous les jours sur la place, où les étudiants tenaient forum. Hu Yaobang venait de réhabiliter les « droitiers », et ce printemps était aussi celui de sa famille.

S’exprimant de manière très concentrée, à un rythme rapide, le regard rivé sur son interlocuteur, il raconte comment il a vu, dans son quartier, la population empêcher les premiers chars d’avancer vers le centre-ville, « les coups de feu des soldats en l’air, les gens leur crier qu’ils étaient les « soldats du peuple »… » Hu Jia se présente comme un « défenseur des droits », des droits tout court, ceux du consommateur comme du citoyen ou du croyant brimé par le pouvoir. « Les gens commencent par défendre leurs propres intérêts. Défendre ses intérêts, c’est déjà défendre ceux des autres. Les organisations de propriétaires ou de consommateurs dessinent l’ébauche d’une société civile », dit-il. S’il a jusque-là évité la prison, il est soumis à une pression intense. En 2006, Hu Jia fut ainsi porté disparu pendant quarante et un jours d’affilée. « Ce fut la période la plus difficile de ma vie. Les policiers venaient nous voir pour nous demander où il était. On a cru le pire », dit Zeng Jinyan. Hu Jia avait été kidnappé par la police : encagoulé, frappé, il fut mis au secret dans une chambre d’hôtel. Il commença une grève de la faim, mais accepta au bout de cinq jours de s’alimenter de bouillie.

Le dissident chinois Hu Jia obtient le prix Sakharov 2008

23.10.2008

AFP/FREDERIC J. BROWN
AFP/FREDERIC J. BROWN
Le prix Sakharov 2008 pour la liberté de pensée a été décerné au dissident chinois Hu Jia, jeudi 23 octobre, en dépit des pressions exercées par la Chine sur les eurodéputés. Ce prix, décerné par le Parlement européen, récompense depuis vingt ans des personnalités ayant marqué de leur empreinte le combat en faveur des droits humains.

Pékin a immédiatement fait part de son « fort mécontentement ». Un porte-parole du ministère des affaires étrangères a qualifié Hu Jia de « criminel emprisonné en Chine » et rappelé les « démarches répétées » des autorités chinoises pour faire obstacle à cette distinction. Ce porte-parole a toutefois jugé que la décision des eurodéputés n’affecterait pas le sommet Asie-Europe qui s’ouvre vendredi à Pékin.

Au cours des derniers jours, des représentants du gouvernement chinois ont exercé de nombreuses pressions sur les eurodéputés pour empêcher que ce prix soit décerné au dissident. Dans une lettre du 16 octobre au président du Parlement européen, Hans-Gert Pöttering, dont l’AFP a obtenu copie, l’ambassadeur de Chine auprès de l’UE, Song Zhe, avait averti que « si le Parlement européen devait décerner ce prix à Hu Jia, cela heurterait inévitablement le peuple chinois et détériorerait sérieusement les relations entre la Chine et l’UE ».

« HU SERAIT TRÈS HEUREUX S’IL LE SAVAIT »

Hu Jia, 35 ans, a été condamné en avril, à l’issue d’une journée de procès, à trois ans et demi de prison pour tentative de subversion pour des propos publiés sur Internet et des entretiens accordés à la presse étrangère. Avant sa condamnation à la prison, il avait déjà passé de nombreux mois en résidence surveillée avec sa femme et son enfant. « Enfin une bonne nouvelle, a déclaré son épouse, Zeng Jingyan, contactée par le bureau de Reuters à Pékin. Hu serait très heureux s’il le savait. » Zeng a rendu visite mercredi soir à son époux, qui a été transféré le 10 octobre dans une « prison modèle » de Pékin, après avoir purgé une première partie de sa peine dans une prison de Tianjin, le grand port situé au sud de la capitale. M. Pöttering a affirmé que Hu souffrait d’une cirrhose du foie et qu’à sa connaissance, il n’avait pas accès à des soins médicaux adaptés.

Nombre de personnalités ont salué la figure de Hu Jia, « un défenseur des droits de l’homme dont l’engagement en faveur de la liberté d’expression et sur les questions sociales est emblématique », selon la secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, Rama Yade. « Je suis intervenue personnellement, à plusieurs reprises, auprès des autorités chinoises, pour demander la libération de M. Hu Jia », a poursuivi la secrétaire d’Etat.

Outre Hu Jia, l’opposant biélorusse Alexandre Kozouline et l’abbé congolais Abbot Apollinaire Malu Malu étaient également en lice pour le prix Sakharov 2008. La récompense sera solennellement remise à Strasbourg, le 17 décembre, lors de la session du Parlement européen qui sera aussi l’occasion de célébrer les 20 ans de ce prix, auparavant décerné à Nelson Mandela, la militante birmane Aung San Suu Kyi ou l’ex-secrétaire général de l’ONU Kofi Annan.

Source : www.lemonde.fr

En 2001, quand elle le rencontre à Pékin, Zeng Jinyan est étudiante et membre de la Croix-Rouge. Elle s’occupe du journal de sa faculté. Frêle, les cheveux courts, la jeune bénévole – elle a 18 ans à l’époque – prendra vite le pli : lorsque Chen Guangcheng, l’avocat aveugle du Shandong, est arrêté, elle tente, en vain, d’organiser une conférence de presse. En 2006, elle s’est rendue en Inde pour rencontrer le dalaï-lama. « Tout ce qui nous arrive depuis six ans est en dehors de ce que j’avais prévu. Même si notre existence est difficile, pas question de quitter l’homme avec qui je vis, nous avons un enfant, et tout ce que nous traversons fait partie des épreuves de la vie », dit-elle.

Empêchée de participer aux ONG dont elle fait partie – la police menace ses partenaires -, inquiète pour sa famille restée au Fujian, elle raconte sur son blog, de Boboland, la dissidence au quotidien. « C’est Tiananmen 2.0. », écrit le Time, en référence à Web 2.0, la nouvelle architecture du Net.


Brice Pedroletti et Bruno Philip Elisa Haberer pour « Le Monde« 

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