Vingt régions européeennes défient Bruxelles
en refusant les OGM
Dans une charte adoptée à Florence, des exécutifs régionaux de l’Union eurpéenne, donc cinq français, revendiquent le droit de se protéger de la contamination transgénique. Ils demandent des sanctions contre les responsables de pollution génétique.
Les régions européennes déterrent la hache de guerre. Réunies à Florence, en Italie, le 4 février, les représentants de vingt régions de l’Union européenne, ont lancé un défi à la Commission de Bruxelles sur les organismes génétiquement modifiés (OGM). Soucieuses de protéger l’agriculture de qualité qu’elles estiment menacée par les cultures transgéniques, elles ont adopté une « charte des régions et des autorités locales d’Europe sur la coexistence entre les OGM et les cultures traditionnelles et biologiques ».
Cet événement constitue une évolution importante du conflit sur les OGM : il témoigne du fait que la contestation n’est plus portée seulement par des associations écologistes, paysannes ou de consommateurs, mais par des autorités élues et disposant, à des degrés divers, de moyens d’exercer un pouvoir.
En France, où plus de quinze régions à l’exécutif socialiste ont voté, en 2004, des « vœux » hostiles aux produits transgéniques, cinq vont plus loin en s’associant au réseau des régions européennes libres d’OGM : l’Aquitaine, la Bretagne, l’Ile-de-France, le Limousin et le Poitou-Charentes.
La Charte de Florence est très critique à l’égard de la politique suivie par Bruxelles. Elle affirme que la directive 2001/18 – le texte central régissant la dissémination des OGM en Europe – « ne s’intéresse pas aux droits des agriculteurs ayant choisi l’agriculture traditionnelle à défendre leurs cultures de la pollution génétique ». Les exécutifs des vingt régions signataires considèrent en effet que les agriculteurs qui choisissent de ne pas cultiver d’OGM ne sont pas suffisamment protégés de la pollution par le pollen de leurs voisins ayant adopté cette technologie. En effet, précise la charte, « la directive ne couvre pas la responsabilité civile des entreprises biotechnologiques en cas de contamination d’autres cultures et ne fait, dès lors, pas référence au principe pollueur-payeur, énoncé à l’article 174 du traité de l’Union ». Dans une analyse novatrice, les vingt régions soulignent que les conséquences de la mise en culture des OGM ne concernent pas seulement la santé et l’environnement, mais aussi les « conditions de fonctionnement social et économique des collectivités ».
Dans l’intention d' »assurer une coexistence réelle, autrement dit une garantie de séparation totale entre les cultures transgéniques et les autres cultures », elles s’engagent à « prévoir une protection des cultures traditionnelles et biologiques contre les OGM sur des zones étendues ainsi que sur l’ensemble du territoire régional ». Enfin, elles demandent à la Commission « de proposer un système de sanction » des responsables de contaminations transgéniques et veulent que les procédures d’autorisation des OGM « soient subordonnées, outre au respect des principes de précaution, de prévention et d’éthique, à la présence d’effets positifs pour les consommateurs ». Cette considération est essentielle puisque, à l’exception du coton, aucun avantage particulier des OGM pour le consommateur ou pour l’environnement n’a jusqu’à présent été établi de manière incontestable.
Cette démarche des régions européennes aboutit au moment où la nouvelle Commission présidée par José-Manuel Barroso hésite encore sur l’attitude à adopter à l’égard de ce dossier et où les Etats – à l’exception de l’Allemagne et de l’Italie, qui ont adopté des lois protégeant l’agriculture conventionnelle – tardent à établir un régime de coexistence entre les cultures transgéniques et les autres.
PLUS DÉTERMINÉES QUE LES ÉTATS
Cette passivité ne témoigne pas d’un enthousiasme à l’égard des OGM : les Etats membres n’ont toujours pas réussi à se mettre d’accord pour autoriser la culture de nouvelles plantes transgéniques, et la décision est donc prise par la Commission. Début mars, celle-ci pourrait autoriser une variété particulière de colza, le GT 73 de Monsanto, qu’en décembre 2004 les ministres de l’environnement européens ont rejetée (la France avait voté pour son introduction). L’innocuité environnementale et sanitaire de ce colza n’est pas pleinement établie.
Face à cet attentisme des Etats, la contestation régionale a pris de l’ampleur. Lancé en novembre 2003 par la Haute-Autriche, le mouvement de refus régional est passé de dix régions au printemps 2004 à vingt aujourd’hui. La France, l’Italie (Toscane, Emilie-Romagne, Sardaigne, Marches, Lazio, province de Bolzano) et l’Autriche (Haute-Autriche, Burgenland, Salzbourg, Steiermark) sont les plus présentes dans ce réseau, qui gagne l’Espagne (Euzkadi, c’est-à-dire Pays basque), la Grande-Bretagne (pays de Galles, Highlands), la Grèce (Drama-Kavala-Xanthi) et l’Allemagne (Schleswig-Holtstein).
Les régions contestataires devraient rencontrer la Commission début mars. Elles vont, par ailleurs, chercher à étendre leur réseau, notamment à travers l’Association des régions d’Europe. Certaines d’entre elles sont entrées en dissidence ouverte avec Bruxelles, comme la Haute-Autriche, qui est en conflit juridique pour avoir interdit les OGM sur son territoire. D’autres, et notamment les régions allemandes et italiennes, s’appuient sur les lois adoptées par les Parlements de leurs Etats, au Bundestag, à Berlin, le 26 novembre, et par le Sénat, à Rome, le 25 janvier. La loi italienne délègue aux régions le pouvoir d’établir les règles sur les OGM.
Cette fronde des régions signifie aussi que, sur des questions importantes, elles veulent pouvoir mener une politique plus déterminée que les Etats. « La place des régions en Europe est en train de grandir, estime Jean-Yves Le Drian, président (PS) du conseil régional de Bretagne, et nous pouvons acquérir un poids politique, notamment dans ce domaine de l’agriculture et des OGM. »
Par Hervé Kempf
Source : www.lemonde.fr