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Editorial sur la Birmanie

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Un oiseau libre vers une Birmanie libre

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Un noble chevalier d’aujourd’hui

combat dans la lumière les pires des dragons.


Sur le fumier de la dictature birmane semblent s’élever des fleurs parmi les plus éclatantes de l’humanité.

Mais Monsieur U Win Tin est toujours en noir et blanc sur la même photo. Pourtant, malgré les ténèbres qui l’entourent, c’est bien en couleur qu’il vit dans sa cellule d’Insein. Un jour, je suppose, un film sera fait sur lui. Du fond de notre humanité devant l’écran géant s’élèveront alors des sanglots et des hommages. Il y a cependant un côté confortable à contempler l’histoire. Les jugements jaillissent de notre blanche innocence parée des certitudes les plus rassurantes et les plus seyantes. Le présent en appelle à notre responsabilité, à notre action, à notre discernement, à nos limites, à notre foi même.


Mais ce film sera une œuvre d’art, parce qu’il racontera l’histoire d’un juste, d’un sage. Il racontera la vie d’un incorruptible, d’un irréductible birman, d’un de ces nobles chevaliers qui combattent dans la lumière les pires des dragons. Il racontera comment, pendant 20 ans d’emprisonnement dans une des prisons les pires du monde, U Win Tin, appelé « Saya », « le sage » a refusé envers et contre tout de renier son engagement démocratique. Au-delà même d’un reniement, il racontera comment il continuait à 77 ans d’exiger la libération de tous les prisonniers politiques, de celle de son Amie, Daw Aung San Suu Kyi, et l’avènement de la démocratie.


Ce film commencera dans un pays doré, lumineux, merveilleux, un de ces endroits où l’intensité d’une subtile volupté vous engourdit d’extase. On admirera un bel homme, à l’intelligence brillante, rédacteur en chef du quotidien Hanthawati, Vice-Président de l’Association des écrivains du Myanmar. Puis le décor s’assombrira, on comprendra peu à peu la tyrannie de la dictature, la censure, la misère, l’injustice, l’insoutenable violence des bourreaux galonnés. On comprendra par ses actes la puissance de son admiration envers le Mahatma Gandhi. Et puis viendront les massacres des milliers d’opposants pendant le « 8888 uprising », et à sa participation à la naissance de la célèbre Ligue Nationale pour la Démocratie.


On plongera en 1989 pour longtemps, et peut-être jusqu’à la fin, dans les ombres de la prison d’Insein. On assistera à son jugement à huis clos dans une parodie de justice par un tribunal militaire qui le condamnera à trois années de prison. On retrouvera encore et toujours son indestructible détermination pour la justice et la vérité dans une grève de la faim un an plus tard. On verra pourquoi en 1991 il sera condamné à 12 nouvelles années de prison. On comprendra comment en 1995 il a pu écrire et faire passer clandestinement cette lettre dénonçant les conditions de détention au rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’Homme en Birmanie. On assistera, meurtris et révoltés aux représailles qui ont suivies. On le verra pendant plus d’un an enfermé dans la niche d’un chenil destiné aux chiens des militaires, recroquevillé, sans draps ni couverture, privé d’eau et de nourriture pendant de longues périodes, interdit de dormir plus de 10 minutes par jour, coupé de toute visite, et condamné à sept années supplémentaires d’incarcération.


On sera pétrifié d’horreur devant l’élan de son espérance lorsqu’on lui a annoncera en 2004 sa libération, on sentira l’allégresse dans ses jambes affaiblies et ses yeux éblouis par la clarté d’un ciel infini, on verra les portes de la prison avec lui… et les gardes arriver pour le renvoyer dans le fond de sa cellule. Le film saura-t-il dire comment il a affronté la folie des douleurs trop lourdes à porter ?


Mais ce n’est pas encore un film, c’est toujours une de ces histoires vraies que l’on ne voit qu’à travers les couleurs du coeur. En ce début d’année 2008, U Win Tin est un vieux Monsieur. Il souffre de spondylite (inflammation des vertèbres) et d’une affection cardiaque. Il a eu dans le passé deux attaques, et a perdu presque toutes ses dents. Il a été admis le 22 janvier à l’hôpital de Rangoon pour l’opération d’une hernie. Il en a profité pour demander de faire passer un message à tous ceux du « monde extérieur » indiquant qu’il était en très bonne santé. Il sera renvoyé sans ménagement 20 jours plus tard au fond de sa sordide cellule. Trois jours avant, le major Ye Nyint, lui avait rendu visite à l’hôpital pour lui proposer une libération en échange de sa démission de la Ligue Nationale pour la Démocratie et de l’abandon de son engagement démocratique. U Win Tin a refusé une nouvelle fois le marché. Noblesse oblige.


Nul ne sait encore comment se terminera votre histoire Monsieur U Win Tin. Mais une certitude m’a peu à peu envahie à la lecture de votre histoire, et cette certitude est que, finalement, vous êtes infiniment plus libre que moi. Mon bonheur de sentir sur cette terre l’existence d’un être tel que vous est bien assombri par cette tristesse de faire partie de ce « monde extérieur » encore impuissant, malgré tous les hommages qui vous ont été rendus et en dépit de toutes les actions engagées pour une Birmanie libre, à faire de votre libération une réalité.

Cher Monsieur U Win Tin, je n’oublierai pas votre anniversaire le 12 Mars devant l’ambassade de votre Birmanie bien aimée.

Sophie.

Monsieur U Win Tin est en chacun de nous.


Notre monde a besoin de plusieurs Monsieur U Win Tin,

d’hommes au coeur pur qui croit à la beauté et à la liberté

même au fond des cachots les plus obscurs.

Dans la lignée du Mahatma Gandhi jadis,

de Rajagopal aujourd’hui en Inde – pour l’instant toujours libre,

des êtres croient à la non-violence.

Parfois, nous sommes un de ces êtres.

De sa cellule, Monsieur U Win Tin vit en chacun de nous dans une cellule de notre cerveau.

A chacun d’en prendre conscience.

A chaque fois que nous redevenons preux chevalier, un Monsieur U Win Tin nous habite.

Alain Delaporte-Digard

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