Jacques Brosse est né le 21 août 1922 à Paris. Quatrième enfant d’une famille de cinq, il est le plus jeune des fils. Dans sa prime enfance, son frère Pierre, de dix-huit ans son aîné, joue le rôle d’un père spirituel, l’initiant à la nature et la connaissance de l’histoire. Élève atypique et brillant, il s’inscrit en droit et suit les cours de Jean Wahl sur l’existentialisme et la phénoménologie, à une époque (le début des années 1940) où Hegel n’est pas encore traduit en français ; parallèlement, il découvre les notions de Gnose et de Tradition et fréquente quelque temps l’ordre martiniste de Raymond Habacuc. C’est dans ces années qu’il rencontre Simonne Jacquemard, qu’il épousera en 1955 et qui restera à ses côtés jusqu’à l’ultime heure. Réfractaire au STO, il est capturé et interné en Suisse où il fait la connaissance de Simone et Antoine Veil qui resteront des amis.
En 1945, il se lie d’amitié avec Albert Camus qu’il admire, et ce dernier fait paraître dans L’Arche le premier texte de Jacques Brosse, Le Secret. Ce texte le fait repérer par les services diplomatiques français et, en 1947, il est subitement nommé correspondant de la Radio française aux Nations Unies à New York, poste qu’il occupe deux ans durant. Il abandonne cependant son statut de fonctionnaire international pour retrouver Simonne en France. Il occupe brièvement un poste à la direction des Affaires culturelles au ministère des Affaires étrangères à Paris avant d’entrer, en 1953, aux éditions Robert Laffont comme rédacteur en chef. Il y restera jusqu’en 1981.
Toujours en recherche de savoir total et de communion avec l’univers, Simonne et lui se passionnent pour les sciences naturelles et entrent en 1953 au Centre de recherches sur les migrations des mammifères et des oiseaux du Muséum national d’histoire naturelle. Ils obtiennent en 1970 du président Pompidou la sauvegarde du parc naturel de la Vanoise ; par ailleurs, on leur doit la création de deux réserves naturelles, la Devinière en Sarthe du sud à 30 km du Mans (1965-1988), puis le Verdier, près d’Eyzies en Dordogne du sud (1988-2003). Il obtiendra en 1989 le prix international Nonino pour la défense de l’environnement et de la vie rurale.
En 1956, ils s’installent dans une ancienne forge normande, dans l’Eure, qui devient rapidement un refuge pour chouettes, renards, faucons et grives. C’est dans ce cadre que se forge son attention extrême à la solidarité animale, à l’amitié et la connivence entre les espèces. Ce regard philosophique et naturaliste forme la matière de son premier ouvrage, L’Ordre des choses, pour lequel Gaston Bachelard s’enthousiasme ; publié chez Plon en 1958, il reçoit les éloges de Claude Lévi-Strauss, qui croit y déceler, déjà, un esprit zen. Il écrit dans la foulée L’Éphémère (1960) et Exhumations (1962), cependant que L’Homme dans les bois (1976) et Le Chant du loriot ou l’Eternel Instant (1990) prolongeront l’exploration naturaliste, toujours mâtinée d’anthropologie religieuse (La Magie des plantes, 1990). L’arbre, en particulier, sera le sujet de nombreux ouvrages, tels que Mythologie des arbres (1989), L’Arbre et l’Éveil (1997) ou encore le Larousse des arbres et des arbustes (2000). Il devient également, en ces années, un intime de Jean Cocteau.
Arrive mai 1968, et l’éruption d’une libération si longtemps espérée. Si un projet de communauté écologique et spirituelle dans le sillage de Lanza del Vasto n’aboutit à rien, l’époque est cependant propice à d’autres rencontres : Alan Watts et Henri Michaux notamment, qui l’initient aux drogues d’« expansion de la conscience » tel le LSD. Jacques Brosse y voit une ouverture vers l’expérience mystique, dans l’esprit de Jacob Boehme ; mais cela lui vaut également un bref internement d’office pour détention de peyotl.
Depuis longtemps intrigué par le bouddhisme, zen en particulier, il apprend, de retour d’un voyage initiatique en Amazonie, qu’un maître s’est installé à Paris : Taisen Deshimaru. Il prononce ses vœux de novice en 1974, et est ordonné moine un an plus tard, parcours qu’il relate dans Satori (1976).
Après la mort du maître, en 1982, il devient à son tour enseignant et maître, fondant en 1996 l’association zen Dôshin, tout en explorant les possibilités d’une expérience méditative qui transcende les confessions, comme il l’expose dans Zen et Occident (1992) ou encore Le Bouddha (1997).
Dans la même veine, il s’intéresse à la généalogie occidentale de la mystique, ce qui l’amène à écrire Les Maîtres spirituels (1989). Installé en Dordogne, ayant reçu en 1987 le Grand Prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, il se consacre à l’enseignement du zen, à l’écriture et à l’art, plus spécifiquement à la peinture de mandalas. Ainsi, il traduit le grand poète zen maître Dôgen (Polir la lune et labourer les nuages, 1998), dont il rédige une biographie lumineuse (Maître Dôgen, moine zen, philosophe et poète, 1998). Très connaisseur du christianisme oriental, il produit aussi une monumentale Histoire de la Chrétienté d’Orient et d’Occident (406-1204) (1995). Surtout, il dresse la synthèse de son savoir encyclopédique sur le zen dans un volumineux et magnifique livre illustré, L’Univers du zen (2003) et il offre à son public et à ses élèves la synthèse de son enseignement (Pratique du Zen vivant, 2005). Son ultime ouvrage, Pourquoi naissons-nous ? et autres questions impertinentes (2007), prenait la forme d’un testament philosophique. À l’image de son auteur, celle d’un homme dont le regard, sous la neige des sourcils, pétillait d’une certaine espièglerie enfantine. On ne sentait pas chez lui de différence entre le savant, le maître et l’homme, et il donnait l’impression d’avoir atteint son âge respectable – et la sagesse qui l’accompagnait authentiquement – sans avoir eu à renoncer à l’enthousiasme de sa jeunesse. C’est ainsi un éternel jeune homme qui nous a quitté, sans bruit, pour l’au-delà de la parole et du silence.
Jean Mouttapa
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