JACQUES BROSSE VU PAR ROBERT MAGGIORI
pour LIBERATION
La vie et l’œuvre de Jacques Brosse ressemblent à un essaim d’expériences diversifiées, qui sont autant de façons d’aller à la «quête de soi». De cette quête, il a fait sa bannière, peut-être sa croix, se trouvant obligé de déborder le cadre de la raison pour atteindre le «moi profond», l’âtman, cette âme dont il pensait, comme Platon, «qu’elle s’en va vers ce qui lui ressemble, l’immatériel et l’invisible, le divin».
De fait, il n’est guère aisé de dire qui «est» Jacques Brosse. Un historien des religions dont l’œuvre, comme celle de Claude Levi-Strauss, Norbert Elias ou Léopold S. Senghor, a été recompensée par le prestigieux prix Nonino ? Un philosophe, ami de Camus et de Lévi-Strauss, dont le premier livre, l’Ordre des choses, est préfacé par Gaston Bachelard ? Un écrivain, un poète, un éditeur, le voyageur des terres orientales et sud-américaines, l’expérimentateur, sur les conseils d’Henri Michaux, des drogues hallucinogènes ? Un moine zen, disciple du maître japonais Deshimaru ? Un sinologue ? Un botaniste, auteur d’ouvrages traduits dans le monde entier, tels la Magie des plantes ou la Mythologie des arbres ?
Il est sans doute «l’homme qui a emprunté toutes les voies» : celle de l’existentialisme de Kierkegaard au début, de la pensée de Bergson, Jakob Boehme ou Heidegger, celle, plus ésotérique, de l’«initiation suprême» à l’ordre martiniste, celle de la psychanalyse, du chamanisme, de la méditation bouddhiste… La vie vagabonde de ce «naturaliste zen» s’est achevée jeudi dernier. Jacques Brosse avait 86 ans. Il voulait connaître la plus haute des sagesses, la sérénité – voire cet Eveil que Bouddha lui-même connut sous l’arbre de Bodhgaya.
Jacques Brosse a publié notamment le Retour aux origines (chez Plon, collection Terre humaine, en 2002) et l’Univers du zen : histoire, spiritualité et civilisation.
Sorti en septembre dernier, Pourquoi naissons-nous et autres questions impertinentes (chez Albin Michel) peut être considéré comme son testament intellectuel.
JACQUES BROSSE VU PAR ASTRID DE LARMINAT
pour LE FIGARO
JACQUES BROSSE, ECOLOGISTE AVANT L’HEURE
Cet intellectuel inclassable, spécialiste de botanique et des religions, s’est éteint jeudi dernier.
Il en est ainsi des sages authentiques : leur pensée et leur existence avancent toujours en harmonie. Tel fut Jacques Brosse, intellectuel inclassable, spécialiste de botanique et des religions, mort jeudi dernier à l’aube, en Dordogne. Il s’y était installé avec sa femme, Simone Jacquemard, il y a vingt ans, après avoir reçu le grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.
Fils d’industriels bourgeois, né en 1922, sa quête intellectuelle et spirituelle qui n’a pas fait l’économie d’un certain nombre d’impasses avait commencé lorsqu’il était adolescent par l’ésotérisme. Puis, bien qu’il fût trop curieux de tout pour demeurer longtemps dans le giron universitaire, Jacques Brosse apprit le chinois aux Langues orientales. Pendant la guerre, pour échapper au service du travail obligatoire, il s’envola pour New York où il rencontra, notamment, l’écrivain Aldous Huxley.
En 1945, Albert Camus publie son premier texte, ce qui lui vaut d’être repéré par les services de la diplomatie française. Il accepte un poste de fonctionnaire international qu’il abandonne au début des années 1950 pour entrer aux éditions Robert Laffont. Simultanément, Jacques Brosse poursuit son exploration de l’invisible sur le divan, expérimente les paradis artificiels en compagnie du poète Henri Michaux, fait un détour par l’Inde et le yoga. Et ressort de tout cela assez mal en point.
UNE FASCINATION POUR L’ARBRE
Retour au visible, et notamment à la nature, en 1956, avant que cela ne soit de mode. Avec son épouse, Jacques Brosse s’installe dans la Sarthe, dans une ancienne forge normande autour de laquelle il crée une réserve naturelle. Il y affine son intuition de l’unité du vivant, conscient avant la vague écologiste de la nécessité de protéger la nature contre l’homme. À cette époque, il se lie avec Jean Cocteau
Son premier essai L’Ordre des choses, paru en 1958 chez Plon, est préfacé par Gaston Bachelard et reçoit les éloges de Claude Lévi-Strauss. Durant ces années naturalistes, une fascination pour l’arbre qui unit « deux infinis opposés, deux profondeurs symétriques et de sens contraire, l’impénétrable matière souterraine et l’inaccessible éther lumineux » s’affirme. Jacques Brosse la développera dans plusieurs ouvrages, notamment Mythologie des arbres (1989) et L’Arbre et l’Éveil (1997).
Depuis longtemps intrigué par le bouddhisme, il rencontrera en France un maître zen qui l’initiera. Jacques Brosse sera ordonné moine en 1975. Et, en 1982, il deviendra maître, avant d’écrire Zen et Occident (1992) puis Les Maîtres spirituels (1989). Jean Mouttapa, son éditeur chez Albin Michel, saluait d’ailleurs hier « un maître zen et un grand intellectuel ».