ECOUTEZ L’OBJET DISPARAITRE [[Traduit de l’Anglais par Hélène LE, pour www.buddhachannel.tv ]]
Combien des trésors du monde faut-il dans les musées ?
Los Angeles, USA — Dans la vieille Lhassa, ville sainte du Tibet, se tient le temple sacré de Jokhang. A l’intérieur, une statue dorée de Bouddha, la plus respectée au Tibet.
Elle fut apportée de Chine, comme dot, au 7ème siècle, par une princesse chinoise qui épousa un roi tibétain. La statue marque non seulement l’introduction à grande échelle du Bouddhisme au Tibet, mais aussi une union cruciale ponctuant une longue histoire faite d’alliances et de guerres entre deux nations.
Les pèlerins arrivent quotidiennement à Lhassa par milliers, des foules marchent dans la même direction sacrée, vers Jokhang. Que la statue puisse encore être vénérée à cet endroit, est surprenant. Car le Tibet, comme bien d’autres endroits, a été vidé telle une gourde, et ses antiquités, dispersées par voie de contrebande.
Les acheteurs ne manquent pas, et la plupart ne sont pas à Lhassa. Les plus gros revendeurs d’oeuvres asiatiques au Japon, en Europe et aux USA ont des distributeurs chargés de toute la logistique, et s’occupant de faire passer les objets à la douane. Les collectionneurs sont ainsi débarrassés de cette charge.
La semaine dernière, des agents fédéraux ont fait une rafle dans quatre musées du Sud californien, à la recherche d’objets et de documents impliquant le propriétaire de la galerie d’art Silk Roads (Los angeles) et un trafiquant d’art présumé. Cette galerie très fréquenté par les célébrités et nababs connaisseurs, offre une vaste sélection de statuaire bouddhiste des dynasties Ming et Qing, ainsi que des pièces en provenance de tout l’Est asiatique, dont le Tibet.
De combien d’autres objets du monde avons nous besoin ?
Dans des collections des musées du pays, des bols anciens sont empilés par manque de place. J’ai traversé les incroyables galeries sous clé, du Muséum Américain d’Histoire Naturelle de New York et les stocks surchargés du Peabody à l’Université de Harvard — quatre étages de céramiques précolombiennes les unes sur les autres. Trop c’est trop.
Une étude sérieuse des collections américaines, a récemment démontré qu’on ignorait l’état actuel de 40% des pièces empilées dans les stocks. Les conservateurs qui travaillent actuellement sur leurs collections — plutôt qu’à des postes de bureau bien payés — se plaignent de sacs qui craquent et de boîtes qui décrépissent. Certains objets sont « dé-accessibilisés » — vendus à des collectionneurs — ou parfois, tels des échantillons ou des spécimens, jetés aux ordures.
Mais laissons de côté les rafles de Los Angeles pour un moment, et revenons au Tibet, là où pour n’importe quelle pièce exposée ou stockée quelque part dans le monde, il y a un vide. Un vide dans un temple, un vide dans une tombe, un vide dans l’histoire d’un peuple. La statue de Jokhang est restée par chance. Presque tout le reste n’est que réplique.
Si une pièce manquante n’a pas été offerte à la contrebande, c’est qu’elle a probablement été détruite. Lorsque les Chinois ont envahi le Tibet en 1960, des chars ont rasé les monastères.
A la recherche de restes tangibles de l’histoire du Tibet, j’ai voyagé jusque dans un monastère isolé, au Nord-Est de Lhassa, autrefois l’un des plus vieux du Tibet. A son apogée, il fut une forteresse de flèches dorées pointant vers le ciel. Aujourd’hui, on peut en acheter des pièces et d’ombrageuses statues récupérées.
Ce qu’il en reste maintenant n’est qu’une maigre reconstruction. J’ai rencontré un jeune moine qui m’expliqua qu’à l’arrivée des soldats chinois en 1960, des moines vivant ici furent tués ou emprisonnés. Un moine parvint à s’échapper. Il s’enfuit dans les montagnes avec nombre de textes vieux de 1000 ans. Il s’agissait des écrits les plus sacrés de cette partie du Tibet, les prières fondatrices datant de la genèse du Bouddhisme tibétain. Ils n’appartenaient qu’à ce monastère.
Pendant des décennies, le moine les garda secrets. Au début des années 1980, quand le climat politique commença à changer, le moine les ressortit. Une fois les prières revenues, le monastère put être reconstruit.
A présent, les pèlerins commencent à revenir, laissant des offrandes en argent et pierres taillées. Après cinq jours passés dans le monastère, j’ai finalement demandé à voir les textes anciens. Le jeune moine me mena à une pièce remplie de sculptures de dieux et de rois, toutes des acquisitions récentes venues d’Inde et du Népal. Il déverrouilla une petite porte en bois et sortit un bloc de parchemin enroulé dans du cuir tanné. Le réa de parchemin long et étriqué était recouvert sur l’avant et l’arrière, de calligraphies compliquées, une écriture ancienne que seuls les lamas savent déchiffrer.
« Le prix véritable en est l’histoire d’un monastère et les vies de plusieurs moines »
Une telle oeuvre serait peut-être mise aux enchères à Sotheby’s pour plusieurs milliers de dollars. Le prix véritable en est l’histoire d’un monastère et les vies de plusieurs moines.
Chaque oeuvre passant les frontières, vient avec une histoire silencieuse, similaire à celle-ci. Etant donné que nous avons vidé le monde de nombre de ces précieux secrets, il serait grand temps que nous nous arrêtions, que nous respirions, et que nous lâchions notre emprise.
Lorsque le moine finit de me montrer les textes, il les recouvrit et les remit à leur place, en sécurité. Et à cet endroit, ils demeureront aussi longtemps que les moines s’y attacheront.
Craig Child est l’auteur du récent « The Animal Dialogues: Uncommon Encouters in the Wild ».
Source : Los Angeles Times