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Myanmar, l’envers Birman

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Myanmar, l’envers Birman

La Birmanie, rebaptisée Myanmar par la junte au pouvoir, est l’un des États au palmarès le plus désolant en matière de droits humains. Derrière la figure reconnue de l’opposante Aung San Suu Kyi, c’est toute une société qui tente de se (re)construire.


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Un ciel gris pèse sur Yangon et notre trishaw zigzague entre les flaques. La ville s’éveille. Les moines, vêtus de leur robe safran, circulent parmi les passants en quête de nourriture ; c’est une des premières images qui s’est imposée à nous dès l’arrivée et elle ne nous quittera plus. Dans l’État de Chin, une nouvelle voie relie le Myanmar au Bangladesh. Expropriée et déplacée, la population est soumise au travail forcé par les militaires qui quadrillent cette zone interdite aux étrangers. Une photo exclusive prise à la dérobée, quelque part entre Pakokku – près de Bagan – et Paletwa.


Dans ce pays à 90 % bouddhiste, la religion est intensément pratiquée et omniprésente. Les militaires au pouvoir ont d’ailleurs bien compris l’importance de ce phénomène social : il y a peu de moines emprisonnés. Les étudiants constituent par contre une des cibles principales de la répression. Et tout en nous dirigeant vers le centre ville, nous pensons à Ko Aye Aung, prisonnier adopté par le groupe 4 ; il est un des 300 étudiants arrêtés pendant l’été 1998 lors de manifestations pacifiques pour protester contre la situation déplorable de l’éduction dans le pays et le non-respect des droits humains.


Les quartiers populaires de notre pension ont maintenant fait place à des avenues plus larges. Ici comme ailleurs dans le pays, les hôtels de luxe et autres infrastructures poussent comme des champignons. Mais on sait que ce boom économique ne doit pas faire illusion ; il cache le plus souvent le blanchiment de l’argent de la drogue et les investissements étrangers souvent obtenus moyennant des déplacements massifs de populations et du travail forcé.


A ce moment de nos réflexions, une vitrine attire notre attention : la firme Total – accusée par l’opinion internationale de contribuer aux violations des droits humains perpétrées par le gouvernement birman- propose en lettres géantes une large gamme de cours et de formations. Les passants sont-ils dupes ? Sont-ils informés de ce qui se passe à des centaines de kilomètres de la capitale ? Certainement pas par la presse ni par les médias ni par Internet, entièrement aux mains de la junte !


LE JOUR SE LÈVE SUR MANDALAY

Sur la terrasse du « coffee-shop » Ny-lon, trois garçons de 7 ou 8 ans, l’oeil triste, servent les premiers clients. Leur journée durera 12 à 15 heures. Ici, beaucoup d’enfants travaillent, surtout pour des Chinois qui détiennent l’économie locale.


La seule route en bon état dans le pays est celle construite par les Chinois entre Mandalay et la frontière chinoise qui permet divers trafics dont celui de la drogue. Maung, notre conducteur de trishaw, nous mène chez des moines renseignés par un ami voyageur. La confiance s’est installée et il nous parle spontanément de sa famille, ses soucis, sa vie : il a trois enfants qui vont à l’école ce dont il est fier. Au départ salarié, il a ensuite pu acheter un rickshaw et devenir indépendant. Pour visiter les villes anciennes, Amarapura, Sagain et Inwa, il a loué un « taxi bleu » à un copain : un pick-up en plus ou moins bon état qu’il rêve d’acquérir et où il verse de l’essence à l’aide d’une bouteille de plastique. Pas de stations service dans ce pays qui possède pourtant du pétrole, mais un marché noir : l’essence est sur le marché ou dans des maisons privées !


Au monastère, nous ne trouvons que le moine Jotila. Sa méfiance apaisée, il nous offre un thé dans sa « maison », petit espace à l’extérieur sous un auvent de bambou adossé au mur ; il y a installé sa couche et une table où il peut étudier. C’est la raison principale d’entrer au monastère. Il nous parle de son pays : les difficultés de survie, l’exploitation des enfants par les Chinois. S’exprimant dans un très bon anglais, il donne des cours gratuits à des enfants pauvres. Sa sympathie pour les pays qui boycottent la junte est teintée de désillusion : la Chine et l’Inde soutiennent la junte par des accords économiques durables.


Au monastère l’atmosphère est sereine, la vie simple et frugale, mais la pensée règne en toute liberté. L’armée n’y entre pas car les Birmans, très pieux, ne permettraient pas qu’on s’en prenne aux moines.


La religion est un puissant analgésique : elle aide les Birmans à supporter le joug militaire et les empêche de se révolter. Leur vie intérieure intense masque la dureté de leur vie quotidienne. Et le bouddhisme interdit toute violence. Mais la non-violence ne paie pas : Khin Khin Leh, militante pacifiste adoptée par le groupe 8, est en prison à vie, tout à coup si proche et si lointaine car nous ne pourrons la rencontrer.


Par contre, une visite s’impose chez les Frères Moustache. Interdits de spectacles en public, ils se produisent à leur domicile où on entasse quelques spectateurs (les Birmans assistent aux représentations gratuitement à l’extérieur). En anglais, dans un humour de répétition, ils égratignent copieusement les militaires, parlent librement d’Aung San Su Khyi. Mais, à leur corps défendant, ne sont-ils pas devenus des alibis du régime ?


BAGAN, L’ANCIENNE PAGAN

Les pagodes de Bagan se déploient à perte de vue ; c’est le site le plus ancien du pays. Adopté par l’Unesco, il a fait l’objet d’importantes restaurations. Mais les militaires n’apprécient pas que des étrangers se mêlent de leurs affaires, d’autant plus quand elles rapportent gros.

Résultat : les archéologues ont été renvoyés chez eux et la junte avance ses pions. Une tour immense avec vue panoramique barre aujourd’hui le paysage au mépris de la beauté du site et notre guide nous apprend qu’en outre, le droit d’entrée en est exorbitant. Mais les dégâts ne sont pas qu’esthétiques ; nous apprendrons de notre interlocuteur qu’autrefois vivait ici un village. Sa présence pouvait choquer les voyageurs huppés…

Chassés de leurs maisons, les habitants ont été sommairement relogés à quelques kilomètres. Dernière étape de notre voyage, Bagan nous amène à nous poser une fois de plus la question : peut-on, doit-on voyager en Birmanie ? La réponse ne fait plus aucun doute : en tant que militantes d’Amnesty International, nous regardons la réalité avec d’autres yeux et ce regard-là, nous avons la naïveté – et la prétention ? – de croire qu’il peut apporter un témoignage singulier.


Dominique Mussche & Maryse Hendrix

www.amnestyinternational.be


Prions et agissons pour les birmans
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