Six ans après l’élection du premier gouvernement démocratique d’Afrique du Sud, des améliorations importantes ont été apportées à l’éducation, aux soins de santé, aux conditions de logement et autres services sociaux dont bénéficie la majorité de la population, noire et défavorisée. Mais la pauvreté reste endémique et les écarts de revenus démesurés. En raison de la libéralisation économique et des compressions budgétaires, il est difficile d’améliorer les conditions de vie des pauvres et de leur donner de meilleures perspectives d’avenir. En outre, le sida progresse à une vitesse alarmante.
Le seul nom de « Mandela Village » pourrait évoquer un quartier plaisant et paisible d’une ville sud-africaine. Mais il s’agit en réalité d’un bidonville délabré, construit en 1990 à partir de bois et de tôles récupérés dans une ancienne gare routière du township avoisinant de Soweto. Dans les dix ans qui se sont écoulés depuis, l’Afrique du Sud a connu d’importants bouleversements politiques — la fin de l’apartheid et l’arrivée au pouvoir du premier gouvernement démocratiquement élu — qui ont suscité de grands espoirs de réforme sociale.
Parmi les 7 000 habitants de Mandela Village, certains commencent à penser que le nouveau régime n’améliorera peut-être jamais leurs conditions de vie. Les baraques dans lesquelles ils vivent sont minuscules, séparées les unes des autres par d’étroits passages et bordées de rigoles. Il n’y a pas d’électricité et le bidonville ne dispose en tout et pour tout que de cinq points d’eau. Peut-être parce que la communauté est bien organisée et administrée par des militants du parti au pouvoir, l’African National Congress (ANC), ses représentants ont réussi à persuader la municipalité d’installer 90 toilettes portatives à la périphérie du bidonville. D’après Eric, qui a fait office de guide au cours d’une visite effectuée en octobre 1999, quasiment tous les habitants du bidonville sont au chômage. Le peu de revenus qu’ils ont viennent des retraites que touchent les personnes âgées, du commerce des vendeurs à la sauvette et de voitures volées et ensuite revendues en pièces détachées à un dépôt de marchandises situé juste en face de Mandela Village.
A l’inverse, les habitants de Johannesburg, la plus grande ville commerciale d’Afrique du Sud, sont en grande partie blancs et fortunés. Le quartier huppé de Sandton est l’exact opposé de Mandela Village : on y trouve de grandes maisons spacieuses, des parcs, des centres commerciaux, des sièges d’entreprises et des hôtels. Les recettes fiscales importantes permettent de financer de nombreux services. Les habitants — des Blancs et quelques Noirs des classes aisées — sont protégés par des murs, des clôtures électriques et des services de gardiennage qui sillonnent le quartier en permanence.
Si les lois ne font plus maintenant aucune différence entre les races ou vont même jusqu’à préconiser des mesures palliatives en faveur des Noirs, de nombreuses inégalités subsistent en Afrique du Sud. Bien que les disparités se soient quelque peu atténuées, la répartition des revenus reste l’une des plus inégales du monde. A côté de signes de richesse évidents (phénomène assez rare en Afrique), des millions de Sud-Africains vivent en dessous du seuil de pauvreté, non sans une certaine rage et une certaine frustration. Bien que les actes de violence liés à des revendications d’ordre politique soient nettement moins nombreux que par le passé, on observe une recrudescence de la criminalité et d’autres formes de conflits sociaux, qui s’expliquent en partie par les taux élevés de pauvreté et de chômage et la relative facilité avec laquelle on peut se procurer des armes à feux sur le marché noir. En septembre dernier, le Ministre du développement social Zola Skweyiya a comparé la société sud-africaine à une véritable « bombe à retardement ».
Les pouvoirs publics estiment souvent que le peu de progrès réalisés s’explique par l’énormité des problèmes hérités de l’apartheid : des soins de santé et une éducation médiocres résultant des politiques discriminatoires menées par le passé, de très longues listes d’attente pour les logements urbains (car beaucoup d’habitants n’avaient pas été autorisés à s’installer de façon permanente en ville) et de très forts taux de chômage structurel. A cela se sont ajoutés de nouveaux problèmes, dont le plus alarmant est la progression rapide du VIH/sida. L’Afrique du Sud a maintenant l’un des taux de prévalence les plus élevés du monde .
Dans ces circonstances, « il va falloir des décennies pour remédier à la plupart des problèmes », déclare la Révérende Motlalepula Chabaku, parlementaire de la province de Free State. Dans l’enthousiasme qu’ont suscité les élections de 1994, les dirigeants de l’ANC ont involontairement compliqué la situation en faisant des promesses qu’ils n’ont tout simplement pas pu tenir par la suite, explique-t-elle à Afrique Relance. Dans la population, cet enthousiasme s’est maintenant dissipé, comme en témoigne le faible taux de participation aux élections nationales de 1999, « car certains n’ont nullement profité des changements qu’a connus notre pays ». Mais beaucoup d’autres en ont bénéficié, ajoute-t-elle, en évoquant les nombreux nouveaux établissements scolaires, dispensaires, logements sociaux, réseaux d’approvisionnement en eau, programmes de formation et autres services mis en place.
Par Ernest Harsch – Afrique relance – Nations Unies
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