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Droit des animaux, altruisme et compassion, par Matthieu Ricard.

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Par Matthieu Ricard

Publié le 17 octobre 2013 dans Le Point

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Si la question des droits de l’homme est déjà suffisamment complexe — certains, presque toujours pour justifier leurs régimes totalitaires, contestent encore l’universalité des droits de l’individu telle qu’elle a été énoncée par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme — celle des animaux l’est encore plus. Nombre de philosophes considèrent que droits et devoirs ne peuvent concerner que des personnes précises et que nous ne sommes pas responsables de la souffrance et du bonheur des êtres en général. Dans le cas des êtres humains, ils appliquent ce raisonnement aux générations à venir, qui ne sont à nos yeux qu’une multitude de personnes indéterminées. Ils arguent également que l’on ne peut parler de droits que dans la mesure où les individus concernés sont conscients de leurs droits et les associent à la responsabilité de reconnaître ces mêmes droits chez autrui, ce qui ne peut être le cas des êtres à venir, ni des animaux.

Pour sortir de cette impasse, il suffit, au lieu d’argumenter sur la notion de droits, de parler le langage de l’altruisme et de la compassion. Si l’extension de l’altruisme à tous les êtres qui nous entourent est une faculté unique au genre humain, son extension aux animaux n’en est qu’une conséquence logique. Que les animaux ne puissent pas être conscients du concept de « droits », n’enlève rien au fait que, comme nous, ils aspireront à ne pas souffrir, à rester en vie, et à rechercher les conditions les plus propices à leur bien-être. Nous ne pouvons donc nous sentir dispensés de nous interroger sur les conséquences de nos actions et de notre mode de vie. Accorder de la valeur à l’autre et être concerné par sa situation représente deux composantes essentielles de l’altruisme. Lorsque cette attitude prévaut en nous, elle se manifeste sous la forme de la bienveillance envers ceux qui pénètrent dans le champ de notre attention et elle se traduit par la disponibilité et la volonté de prendre soin d’eux. Lorsque nous constatons que l’autre a un besoin ou un désir particulier dont la satisfaction lui permettra d’éviter de souffrir ou d’éprouver du bien-être, l’empathie nous fait tout d’abord ressentir spontanément ce besoin. Ensuite, le souci de l’autre, l’altruisme, engendre la volonté d’aider à le satisfaire. À l’inverse, si nous accordons peu de valeur à l’autre, il nous sera indifférent : nous ne tiendrons aucun compte de ses besoins peut-être ne les remarquerons-nous même pas. Ceci étant dit, se contenter de miser sur la compassion de nos semblables ne suffit pas.

Il est indispensable de protéger les animaux contre les abus et les souffrances auxquels les soumettent ceux qui, précisément, manquent de compassion à l’égard des êtres sensibles que sont les animaux. On ne protège par les êtres humains de la torture, de la privation de liberté et de tous ceux qui entreprennent de porter atteinte à leur vie, simplement parce qu’ils sont conscients de leurs droits, mais parce qu’il est inadmissible de les traiter de la sorte. Or, comment une bonne partie de notre société traite-t-elle les animaux ? Écoutons un dirigeant de la firme américaine Wall’s Meat : « La truie reproductrice devrait être conçue comme un élément précieux d’équipement mécanique dont la fonction est de recracher des porcelets comme une machine à saucisses, et elle devrait être traitée comme telle ». Si la dévalorisation des êtres humains conduit à les assimiler à des animaux et à les traiter avec la brutalité que l’on réserve souvent à ces derniers, l’exploitation massive des animaux s’accompagne d’un degré de dévalorisation supplémentaire : ils sont réduits à l’état de produits de consommation, de machines à faire de la viande, de jouets vivants dont la souffrance amuse ou fascine les foules. On ignore sciemment leur caractère d’être sensible pour les ravaler au rang d’objets.

La notion d’altruisme est ainsi mise à rude épreuve avec la façon dont nous traitons les animaux : lorsqu’une société accepte comme allant de soi la pure et simple utilisation d’autres êtres sensibles au service de ses propres fins, n’accordant guère de considération au sort de ceux qu’elle instrumentalise, alors on ne peut parler que d’égoïsme institutionnalisé. C’est ce qu’exprimait Gandhi dans sa célèbre maxime : « La grandeur et le développement moral d’une nation peuvent se mesurer à la manière dont elle traite ses animaux. » Nous sommes donc encore loin du compte. Dans les élevages industriels, la durée de vie des animaux est d’environ 1/60e de ce qu’elle serait dans des conditions naturelles. Tout se passe un peu comme si les Français ne pouvaient pas espérer vivre plus d’un an et quatre mois. On confine les animaux dans des boxes dans lesquels ils ne peuvent pas même se retourner ; on les castre ; on sépare à la naissance les mères de leurs petits ; on les fait souffrir pour nous divertir (corridas, combats de chiens, etc.) ; on les attrape avec des pièges qui leur broient les membres dans des mâchoires d’acier ; on les écorche vifs, on les broie vivants (C’est le sort réservé à des centaines de millions de poussins mâles chaque année). En bref, on décide quand, où et comment ils doivent mourir sans nous soucier de leur sort, de leur ressenti et de leur volonté de rester en vie. Dans les abattoirs, nombre d’animaux sont saignés, écorchés et démembrés alors qu’ils sont encore conscients. Cela arrive tout le temps, et l’industrie comme les autorités le savent. Les chiffres dépassent l’imagination. Chaque année, plus de 1 milliard d’animaux terrestres sont tués en France, 15 milliards aux États-Unis, et approximativement 100 milliards dans le monde. Quant aux poissons, crustacés et « fruits de mer, une étude utilisant les données fournies par plusieurs organisations internationales concernant les prises annuelles, étude qui tient compte du tonnage des prises et d’une évaluation du poids moyen de chaque espèce, aboutit au chiffre astronomique d’environ 1 000 milliards, de poissons tués annuellement.

Certains objecteront : « Après tout, c’est la vie. Pourquoi tant de sentimentalité à l’égard de comportements qui ont toujours été les nôtres ?  À quoi bon vouloir les changer ? » Mais ne sommes-nous pas supposés avoir évolué depuis les époques considérées comme barbares, en devenant plus pacifiques et plus humains ? À quoi bon sinon s’émerveiller des progrès de la civilisation ?

Est-il encore possible de garder les yeux fermés ? Cela ne dépend que de nous

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Photos de Michel Pourny, happening L214 mars 2013.




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