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Notre Véritable demeure – Partie 2 – Par Ajahn Chah

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Notre Véritable demeure

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Vénérable Ajahn Chah
Traduit par Jeanne Schut

Partie 1

Partie 2

A quoi ce mot « dhamma » se réfère-t-il ? Tout est dhamma. Il n’y a rien que ne
soit dhamma. Et le mot « monde » ? Le monde est précisément l’état mental qui vous
agite en ce moment. « Que va faire celui-ci ? Que deviendra celui-là ? Qui s’occupera
d’eux après ma mort ? Comment s’en sortiront-ils ? » Tout cela est « le monde ». La
moindre pensée de peur de la mort ou de la souffrance est le monde.
Rejetez le monde ! Le monde est comme il est. Si vous lui permettez de surgir dans
votre esprit et de dominer votre conscience, votre esprit s’obscurcit et ne peut plus se
percevoir. C’est pourquoi, à tout ce qui apparaît dans votre esprit, répondez
simplement : « Ceci ne me concerne pas. C’est impermanent, insatisfaisant et sans
existence propre. »

Si vous vous laissez aller à penser que vous aimeriez vivre plus longtemps, vous
souffrirez. Mais penser que vous aimeriez mourir tout de suite ou très rapidement n’est
pas juste non plus — n’est-ce pas toujours une souffrance ? Les éléments conditionnés
ne nous appartiennent pas. Ils suivent leurs propres lois naturelles. Vous ne pouvez rien
à l’état de votre corps. Vous pouvez l’embellir un peu, le rendre momentanément propre
et agréable à regarder — comme les jeunes filles qui se peignent les lèvres et se laissent
pousser les ongles — mais, quand l’âge arrive, nous sommes tous dans le même bateau.
Le corps est ainsi fait et vous n’y pouvez rien. Par contre, ce que vous pouvez améliorer
et embellir, c’est votre esprit.

N’importe qui peut bâtir une maison en bois et en briques, mais le Bouddha nous a
enseigné que cette sorte de maison n’est pas notre véritable demeure, elle ne nous
appartient que de nom. C’est une maison du monde et elle suit les règles du monde.
Notre véritable demeure, c’est la paix intérieure. Une maison matérielle extérieure
peut très bien être belle mais elle n’est pas très paisible. Il y a toujours ce souci qui
apparaît et puis celui-là, cette angoisse et puis celle-là. C’est pourquoi nous disons que
ce n’est pas notre véritable demeure. Elle est extérieure à nous et, tôt ou tard, nous
devrons nous en séparer. Nous ne pouvons y vivre de façon permanente parce qu’elle ne
nous appartient pas vraiment, elle fait partie du monde.

Il en va de même pour notre corps : nous faisons comme s’il était nous — « c’est
moi », « c’est le mien » — mais en fait ce n’est pas du tout le cas, il n’est qu’une autre
maison du monde. Votre corps a suivi son cours naturel depuis la naissance jusqu’à
maintenant, il est vieux et malade et vous ne pouvez empêcher cela, c’est ainsi. Vouloir
qu’il en soit autrement serait aussi insensé que vouloir qu’un canard ressemble à une
poule. Quand vous constatez que c’est impossible — qu’un canard doit être un canard,
qu’une poule doit être une poule et que le corps doit vieillir et mourir — vous trouvez
force et énergie. Vous pouvez toujours désirer que votre corps reste jeune et dure
éternellement, cela n’arrivera pas.

Le Bouddha a dit : Anicca vata sankhara
Uppada vayadhammino
Upajjhitva nirujjhanti
Tesam vupasamo sukho

« Tous les objets conditionnés sont impermanents
Il est dans leur nature d’apparaître puis de disparaître
Etant apparus, ils disparaîtront
Apaisement, cessation — véritable bonheur »

Le mot « sankhara » se réfère au corps et à l’esprit. Les sankhara sont
impermanents et instables. Etant nés, ils disparaissent; étant apparus, ils meurent et
pourtant nous voudrions qu’ils soient permanents. C’est insensé. Regardez le souffle :
une fois entré en nous, il ressort ; c’est dans sa nature, c’est ainsi que cela doit être.
L’inspiration doit alterner avec l’expiration, il faut qu’il y ait changement. Les sankhara existent par le changement, vous n’y pouvez rien. Réfléchissez un peu : pourriez-vous
expirer sans inspirer ? Pensez-vous que ce serait confortable ? Ou bien pourriez-vous
vous contenter d’inspirer ? Nous voulons que les choses soient permanentes mais elles
ne peuvent pas l’être, c’est impossible. Une fois que le souffle est entré, il doit ressortir,
quand il est sorti, il entre à nouveau. N’est-ce pas naturel ? Etant nés, nous vieillissons,
nous tombons malades et puis nous mourons et cela est absolument naturel et normal.
C’est parce que les sankhara ont fait leur travail, parce que les inspirations ont alterné
avec les expirations, que la race humaine est encore là aujourd’hui.

Dès que nous naissons, nous sommes potentiellement morts. Naissance et mort ne
sont qu’une seule et même chose. C’est comme un arbre : quand il y a des racines, il
doit y avoir des branches et quand il y a des branches, il doit y avoir des racines. Les
unes ne peuvent exister sans les autres. C’est plutôt drôle de voir comment, à l’occasion
d’un décès, les gens sont accablés, fous de douleur, en larmes et tristes, alors qu’à
l’occasion d’une naissance ils sont heureux et se réjouissent. C’est une illusion ; personne
n’a jamais considéré cela clairement. Je pense que, si vous voulez vraiment pleurer, il
vaudrait mieux le faire quand quelqu’un naît, parce qu’en réalité la naissance est mort,
tout comme la mort est naissance, la racine est la branche et la branche est la racine. S’il
vous faut pleurer, pleurez à la racine, pleurez à la naissance. Examinez les choses de
près : s’il n’y avait pas de naissance, il n’y aurait pas de mort. Est-ce si difficile à
comprendre ?

Ne pensez pas trop. Dites-vous simplement : « C’est ainsi et c’est tout. » Voilà
votre tâche aujourd’hui, votre devoir. En cet instant, personne ne peut vous aider, il n’y a
rien que votre famille ou vos trésors puissent faire pour vous. Tout ce qui peut vous aider
maintenant, c’est l’attention juste. Alors, n’hésitez pas. Lâchez prise. Abandonnez tout.
De fait, même si vous n’abandonnez pas, tout commence à s’éloigner. Voyez-vous
comment les différentes parties de votre corps vous lâchent peu à peu ? Vos cheveux,
par exemple : quand vous étiez jeune, ils étaient noirs et épais; maintenant, ils tombent.
Ils s’en vont. Vos yeux étaient forts et perçants, maintenant ils sont faibles et votre vue
n’est pas claire. Quand les organes en ont assez, ils nous quittent, ils n’étaient pas ici
chez eux. Quand vous étiez enfant, vos dents étaient saines et solides ; maintenant elles
tiennent à peine, ou peut-être avez-vous des fausses dents. Vos yeux, vos oreilles, votre
nez, votre langue — tout est en train de vous lâcher parce que votre corps n’est pas leur
maison. Vous ne pouvez bâtir une maison permanente dans un sankhara ; vous pouvez y
demeurer un certain temps mais ensuite il vous faut la quitter. Comme un locataire qui
surveillerait sa petite maison de ses yeux affaiblis : ses dents ne sont plus très bonnes,
ses oreilles ne sont plus très fines, son corps n’est plus très sain, tout est en train de
partir.

C’est pourquoi il est inutile de vous faire du souci : ceci n’est pas votre véritable
demeure mais plutôt un abri temporaire. Comme vous êtes venue dans ce monde, vous
devez en étudier la nature. Tout ce qui existe se prépare à disparaître. Regardez votre
corps. Y a-t-il aujourd’hui la moindre chose qui ait encore son apparence première ?
Votre peau est-elle comme autrefois ? Quant à vos cheveux, ils sont différents aussi,
n’est-ce pas ? Où tout cela s’en est-il allé ? C’est la nature, c’est ainsi que sont les
choses. Quand leur heure est arrivée, les éléments suivent leur chemin. Ce monde n’offre
aucune certitude. C’est une ronde sans fin de perturbations et de problèmes, de plaisirs
et de chagrins. Il n’y a pas de paix.

Quand nous n’avons pas de véritable demeure, nous sommes comme un voyageur
errant, suivant un moment ce chemin-ci puis celui-là, s’arrêtant un peu pour ensuite se
remettre en route. Jusqu’à ce que nous retournions à notre véritable demeure, nous nous
sentons mal à l’aise quoi que nous fassions, exactement comme celui qui a quitté son
village pour partir en voyage : ce n’est qu’en rentrant chez lui qu’il pourra vraiment se
détendre et retrouver ses aises.

On ne peut trouver de paix réelle nulle part au monde. Les pauvres n’ont pas de
paix et les riches pas davantage. Les adultes n’ont pas de paix, les enfants n’ont pas de paix, les gens peu instruits n’ont pas de paix et les plus éduqués non plus. Il n’y a de
paix nulle part. C’est dans la nature du monde.

Ceux qui ont peu de biens souffrent, de même que ceux qui en ont beaucoup. Les
enfants, les adultes, les personnes âgées, tout le monde souffre. La souffrance d’être
vieux, la souffrance d’être jeune, la souffrance d’être riche et la souffrance d’être pauvre
— tout n’est que souffrance.

Quand vous aurez considéré les choses de cette façon, vous verrez anicca,
l’impermanence et dukkha, l’insatisfaction. Pourquoi les choses sont-elles impermanentes
et insatisfaisantes ? Parce qu’elles sont anatta, sans existence propre.
Votre corps qui repose ici, malade et souffrant, de même que votre esprit qui est
conscient de cette maladie et de cette douleur, sont tous deux appelés dhamma. Ce qui
est sans forme — les pensées, les sentiments et les perceptions — est appelé
namadhamma. Ce qui est tourmenté par les maux et les douleurs est appelé
rupadhamma. Le matériel est dhamma et le non-matériel est dhamma. Ainsi nous vivons
avec le dhamma, dans le dhamma, nous sommes dhamma. En vérité, on ne peut trouver
de soi nulle part, il n’y a que le dhamma qui ne cesse d’apparaître et de disparaître car
telle est sa nature. A chaque instant, nous passons par la naissance et par la mort. C’est
dans la nature des choses.

Quand nous pensons au Bouddha, à la vérité contenue dans ses enseignements,
nous sentons combien il est digne de nos prosternations, de notre révérence et de notre
respect. A chaque fois que nous voyons la vérité de quelque chose, nous voyons ses
enseignements, même si nous n’avons jamais vraiment pratiqué le Dhamma. Pourtant,
même si nous avons connaissance de ses enseignements, si nous les avons étudiés et
pratiqués, mais sans en avoir encore perçu la vérité, sommes toujours errants, loin de
notre véritable demeure.

Je vous demande à présent de bien comprendre ceci : tout le monde, toutes les
créatures sont sur le point de partir. Quand les êtres ont vécu leur temps, ils s’en vont.
Les riches, les pauvres, les jeunes, les vieux, tous les êtres doivent passer par ces
changements.

Quand vous prendrez conscience que le monde est ainsi, vous vous direz que c’est
un endroit sans intérêt. Quand vous verrez qu’il n’y a là rien de stable ni de substantiel
sur quoi vous appuyer, vous vous sentirez lasse et désenchantée.
Etre désenchantée ne signifie pas que vous soyez en conflit. Votre esprit est clair. Il
voit qu’il n’y a rien à faire pour remédier à cet état de choses, c’est ainsi que le monde
est fait. Sachant cela, vous pouvez abandonner tous vos attachements, les abandonner,
l’esprit ni heureux ni triste mais en paix avec les sankhara, ayant perçu avec sagesse
leur nature changeante.

Anicca vata sankhara — tous les sankhara sont impermanents. Disons simplement
que l’impermanence est le Bouddha. Si nous voyons très clairement un phénomène
impermanent, nous verrons qu’il est permanent — permanent dans le sens qu’il est
invariablement soumis au changement. Telle est la permanence que possèdent les êtres
vivants. Il y a transformation continue de l’enfance, en passant par la jeunesse et jusqu’à
la vieillesse, et c’est cette même impermanence, cette nature changeante qui est
permanente et fixe. Si vous regardez les choses de cette façon, votre coeur trouvera la
paix. Vous n’êtes pas la seule à devoir en passer par là, tout le monde y passe.
Quand vous considèrerez les choses ainsi, vous les trouverez lassantes et le
désenchantement apparaîtra. Votre attirance pour le monde et ses plaisirs des sens
disparaîtra. Vous constaterez que si vous possédez beaucoup de choses, vous devrez en
laisser beaucoup derrière vous, et que si vous en possédez peu, vous en laisserez peu. La
richesse n’est que la richesse, une longue vie n’est qu’une longue vie. Il n’y a là rien de
spécial.

Ce qui est important, c’est que nous suivions les enseignements du Bouddha et que
nous construisions notre propre demeure, selon la méthode que je vous ai expliquée.
Construisez votre véritable demeure. Lâchez prise. Lâchez prise jusqu’à ce que l’esprit
atteigne la paix, cette paix qui est ni d’avancer, ni de reculer, ni de s’arrêter. Le plaisir
n’est pas notre demeure, le chagrin n’est pas notre demeure. Plaisir et chagrin déclinent
tous deux puis disparaissent.

Le Grand Maître a vu que tous les sankhara étaient impermanents, c’est pourquoi il
nous a enseigné de ne pas nous y attacher. Quand nous atteindrons la fin de notre vie,
nous n’aurons pas le choix de toute façon ; nous ne pourrons rien emporter avec nous.
Ne serait-il donc pas préférable de déposer tout cela avant ? C’est un lourd fardeau que
nous transportons avec nous. Pourquoi ne pas nous débarrasser de ce poids dès à
présent ? Pourquoi nous freiner en le traînant partout ? Lâchez, détendez-vous et laissez
votre famille prendre soin de vous.

Ceux qui soignent les malades gagnent en bonté et en vertu. Quant au malade, qui
donne à ses soignants cette occasion de croissance, il ne devrait pas leur rendre les
choses difficiles. Si vous souffrez ou que vous avez un problème ou un autre, dites-le leur
et gardez l’esprit sain. De son côté, celui qui soigne ses parents doit emplir son esprit de
chaleur et de bonté, ne pas se laisser piéger par l’aversion. C’est une occasion unique qui
lui est donnée de pouvoir s’acquitter de la dette qu’il a contractée envers eux. Depuis la
naissance et tout au long de notre enfance, nous avons été dépendants de nos parents.
Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est parce que nos mères et nos pères nous ont aidés
d’innombrables manières. Nous avons envers eux une énorme dette de gratitude.

Ainsi, aujourd’hui, vous tous enfants et parents ici rassemblés, voyez comment vos
parents deviennent vos enfants. Avant, vous étiez leurs enfants, maintenant ce sont les
vôtres. Ils vieillissent sans cesse jusqu’à redevenir des enfants. Leur mémoire s’en va,
leurs yeux ne voient plus très bien et leurs oreilles n’entendent pas ; parfois on ne
comprend pas ce qu’ils marmonnent. Que cela ne vous trouble pas. Vous tous, qui
soignez les malades, vous devez apprendre à lâcher prise. Ne vous accrochez pas aux
choses, détendez-vous et laissez les anciens faire à leur tête. Quand un jeune enfant est
désobéissant, les parents le laissent parfois faire à sa guise, simplement pour avoir la
paix, pour qu’il soit content. Aujourd’hui vos parents sont comme cet enfant. Leurs
souvenirs et leurs perceptions sont confus. Il leur arrive de mélanger les noms ou bien de
vous apporter une assiette quand vous leur demandez une tasse. C’est normal, ne vous
laissez pas troubler pour autant.

Que le malade apprécie la gentillesse de ceux qui le soignent et endure patiemment
les sensations douloureuses. Mentalement, faites de gros efforts; ne laissez pas l’esprit
se disperser et s’agiter, et ne menez pas la vie dure à ceux qui prennent soin de vous.

Que ceux qui soignent le malade emplissent leur esprit de bonté et de gentillesse. Ne
rejetez pas le côté déplaisant de la tâche, comme nettoyer la salive et autres mucosités,
l’urine et les excréments. Faites de votre mieux. Que chacun dans la famille y participe.
Ce sont les seuls parents que vous ayez. Ils vous ont donné la vie, ils ont été vos
maîtres, vos infirmiers et vos médecins, ils ont tout été pour vous. Qu’ils vous aient
élevé, éduqué, fait partager leurs richesses et fait de vous leurs héritiers est la grande
générosité des parents. C’est pourquoi le Bouddha nous a enseigné les vertus de kataññu
et katavedi qui consistent à être conscients de notre dette de gratitude envers nos
parents et essayer de les payer de retour. Ces deux dhamma sont complémentaires. Si
nos parents sont dans le besoin, s’ils sont malades ou en difficulté, nous devons faire de
notre mieux pour les aider. C’est kataññu-katavedi, une vertu qui soutient le monde. Elle
empêche les familles de se séparer, elle les rend stables et harmonieuses.

Aujourd’hui vous êtes malade et je vous ai apporté le Dhamma en guise de cadeau.
Je n’ai pas de biens matériels à vous offrir — il semble y en avoir déjà beaucoup dans
cette maison — c’est pourquoi je vous offre le Dhamma dont la valeur est durable et
inépuisable. L’ayant reçu de moi, vous pourrez le transmettre à tous ceux que vous
voudrez sans qu’il perde jamais de sa force. Telle est la nature de la vérité. Je suis heureux d’avoir pu vous faire ce présent du Dhamma et j’espère qu’il vous donnera la
force de faire face à votre douleur.

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