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« Le Voyage du fils », d’Olivier Poivre d’Arvor : le roman des solitudes croisées

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06.11.2008

Qui se souvient de cette Chinoise d’une quarantaine d’années, en situation irrégulière, qui s’est défenestrée à Belleville, en voyant des policiers entrer dans son immeuble ? Elle est morte dans ce pays, la France, de peur qu’on la force à le quitter. Les autorités ont expliqué que les policiers ne venaient pas pour elle. Cela leur semblait être une excuse, alors que c’était une circonstance aggravante, le signe de sa terreur absolue, de tous les instants.



C’est à partir de cet accident qu’Olivier Poivre d’Arvor a écrit un roman très touchant, tout en finesse et en ellipses, croisant le destin de trois personnes en proie à une curieuse solitude : le fils de cette femme, venu à Paris pour reconnaître le corps de sa mère et retourner en Chine avec ses cendres ; un écrivain, Thomas Schwartz, converti au bouddhisme et militant aux côtés des sans-papiers – censé être l’auteur du roman, Le Voyage du fils ; une femme divorcée d’un écrivain, Anne Latour, documentariste, qui réalise un film sur Marguerite Duras.

Le fils, Fan Wen Dong, est accueilli à Paris par Thomas Schwartz, qui a payé son voyage – on comprendra bien plus tard pourquoi. Il est un peu désarçonné de voir qu’il est devenu une sorte de symbole, que la presse veut l’interroger, qu’il doit servir à la cause des sans-papiers et à la mise en cause du gouvernement français et de sa manière de traiter les immigrés en situation irrégulière.

Il déambule dans Paris, pensant à sa mère, à son sentiment d’abandon quand elle a quitté la Chine cinq ans auparavant, alors qu’il n’avait que 16 ans. Elle voulait gagner de l’argent pour lui offrir la boutique de toilettage pour animaux dont il rêvait, elle lui parlait des beautés de Paris, et il vient de découvrir dans quelles conditions misérables elle vivait. Sans doute traversait-il la rue sans faire attention quand l’Audi d’Anne Latour l’a renversé. Il ne parle pas un mot de français et elle, pas un mot de chinois, elle l’emmène à l’hôpital pour qu’on le soigne – il a seulement quelques contusions.

Mais, quand on travaille sur Duras, l’irruption de ce Chinois, singulière incarnation de « L’Amant de la Chine du Nord », ne peut pas être anodine. Il va donc se nouer une étrange relation sans parole entre cet homme et cette femme. Olivier Poivre d’Arvor met en scène avec une grande délicatesse leurs réflexions et leurs déambulations respectives, leurs scènes d’amour aussi, avec un art de la description, de la suggestion et du mystère, qui impose de lire son livre d’une traite.

« La solitude de l’écriture c’est une solitude sans quoi l’écrit ne se produit pas… », affirmait Marguerite Duras dans Ecrire, et Anne Latour s’en souvient. « Il faut toujours une séparation d’avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C’est une solitude. C’est la solitude de l’auteur, celle de l’écrit. » Mais qu’est donc la solitude lorsque l’on n’écrit pas ? C’est une des questions que pose ce roman, jusqu’au coup de théâtre de la dernière page.


LE VOYAGE DU FILS d’Olivier Poivre d’Arvor. Grasset, 250 p., 16,90 €.

Josyane Savigneau

Source : Le Monde

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