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Extrait d’un kusen donné au temple zen de la Gendronnière (21-24 oct. 2004)

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Les yeux en examinant une personne doivent être justes et la saisir avant son action.

pcgorenzen.jpgNous devons comprendre qu’il y a une autre transmission des doctrines qui ne dépend ni des sutras ni des autres écrits.
Ne tenez pas compte des vétilles et, je vous en prie, progressez d’un pas.
La grande Voie de Choan(1) est droite comme une corde.

– Daichi Sokei

Bien sûr qu’il y a une transmission en dehors des écrits. Notre transmission commence avec Bouddha qui tourne la fleur devant Mahakashyapa. Cela n’a rien à faire avec l’écriture. La plupart des histoires du zen, d’ailleurs, sont en dehors des écritures : le doigt de Hotei qui montre la lune, le pouce de Gutei.

Alors pour tendre une main il ne faut pas dépendre des mots. Ce ne sont pas les phrases zen qui peuvent nous aider, ni les phrases bien tournées.

Aujourd’hui, tout est dans la forme. « Ah, il écrit bien ! » « Quelle belle phrase. » Récemment je lisais un sutra (Samyutta-Nikaya II, 267), et j’étais frappé par une référence à l’époque Kali Yuga, appelée « L’Apocalypse », qui explique quand et pourquoi on perdra l’essence de l’enseignement de Bouddha. Il était dit que l’un des signes de la dégénérescence de cet enseignement, c’est quand on commence à écrire de belles phrases et qu’on transforme tout de cette manière.

Alors l’essence, c’est quoi ?

C’est i shin den shin.

Bien sûr, notre civilisation a besoin des grandes œuvres. Mais qu’est-ce qui est le plus important ? De grandes œuvres ou de grands hommes ? On pourrait dire que le monde a besoin de grands hommes et de grandes femmes, sans grandes œuvres.

Maître Rinzaï parlait souvent de « l’homme sans qualités ». Maître Deshimaru, que je sache, n’avait pas de qualité. C’est peut-être une caractéristique du grand homme.(2)

La grande Voie de Choan est droite comme une corde.

Cela ne demande pas des qualités spéciales pour la suivre. Le courage n’est pas une qualité. Maître Kodo Sawaki pour parler de la manière de vivre, disait que pour prendre conscience de la réalité – et c’est exactement cela que nous faisons ici, c’est ça zazen, c’est ça l’essence, c’est ça la lune, et non le doigt qui la montre – il faut du courage. Du sang-froid. Pour se débarrasser du bandeau.

Ce qui n’est pas vraiment le cas de celui qui est spécialiste des mots, bien que l’écrivain se dise courageux. Mais c’est intellectuel, c’est dans la tête, ce n’est pas celui qui a plongé avec corps et esprit.

phoca_thumb_m_bambou_20tombant_1_-3.jpgDans notre civilisation aujourd’hui, la forme est devenue notre seule relation au monde et le mot ne sert qu’à créer l’image d’une forme. Ce n’est pas l’acte d’aller au-delà. Ce n’est pas rencontrer l’inconnu. L’inconnu, par exemple, dans le sens de sampai. L’homme primitif n’avait pas d’image dans sa tête. Ceci, c’est arrivé plus tard. Il faisait sampai. Il s’unissait à l’universel. Il était l’universel, et seulement cela. Aujourd’hui, l’homme c’est l’individu qui doit réussir, développer un sens de soi.

L’éducation est essentielle. Mais il faut une éducation qui touche le vrai esprit. C’est ça, zazen : éduquer, pas le cerveau frontal ou l’intellect, mais le cerveau central, l’hypothalamus, le point de rencontre entre corps et esprit. C’est ça ne pas dépendre des mots. C’est ça l’action avant l’action. C’est ça ne pas tenir compte des vétilles. C’est ça être droit comme une corde. C’est ça le courage dont parle Kodo Sawaki. C’est ça l’homme sans qualités, le grand homme.

Ce n’est pas une éducation qui va nous rendre efficace dans un domaine ou dans un autre. Ce n’est pas une éducation qui va nous donner des diplômes. C’est une éducation qui consiste à développer complètement le caractère humain. L’esprit.

Récemment il y a eu une étude sur ce qui fait qu’un homme ou une femme devient une personne importante dans la société, quelqu’un qui a eu une grande influence sur cette terre. Et on a constaté que pour tous ces hommes et ces femmes, ça n’était jamais grâce à une éducation reçue à l’école, et encore moins grâce à des diplômes obtenus, mais plutôt grâce à leur caractère qui s’est épanoui durant leur vie.

La grande Voie de Choan est droite comme une corde.
Kodo Sawaki disait souvent que notre pratique, c’est vivre la vie qui mène tout droit, à l’objet clairement défini.

Allez directement à la racine. Ku. Ne suivez pas les mots, ne suivez pas le langage. Avant les mots, avant le langage, avant l’image, avant les sutras. C’est cela tendre une main. C’est aller au-delà. Ça ne veut pas dire quitter la terre et flotter dans le cosmos, avec Dogen, ou Daichi. Il faut revenir sur la terre, rentrer dans la terre, comme les deux vaches luttant sur le rivage et qui sont tombées dans la mer, qui ont fondu dans la mer. Plus d’illusions.

(1)Choan (jap.), Sian ou Xi’an (ch.) : ancienne capitale de la Chine, actuellement le centre historique du pays.

(2)Yukio Mishima (1925-1970) : « Le samouraï qui se laisserait cultiver une technique ou un art particulier verrait cette spécialisation ruiner son idéal… Un être complet n’a pas besoin de compétences. » (L’éthique du samouraï et le Japon moderne)

Samouraï Jocho Yamamoto Tsunemoto (? – 1719) : « Un homme qui base sa réputation sur une compétence particulière est un imbécile… Un tel individu ne peut servir aucun dessein. » (Hagakure)

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