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« C’est l’amour que je veux, non le sacrifice » (Prophète Osée 6,6)

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C’est l’amour que je veux, non le sacrifice.


Chers amis.


Osée, le chantre de la misericorde, si cher à notre culture judéo-chrétienne, a inspiré cette année ma réflexion en préparant la retraite d’avril se terminant par la cérémonie de la naissance du Bouddha Sakyamuni.


Alors même que nous nous apprêtons en mai prochain à Fêter solennellement les 2600 ans de l’éveil parfait de notre Maître Originel, mon coeur a spontanément ressenti le besoin d’unité. Par mes racines chrétiennes, et par mon cheminement sur la Voie du Bouddha-Dharma, il m’était important en cette période forte pour ces deux « visions » de trouver une fois de plus ce qui nous unit.


ku2.jpgLe contraste est fort en cette période. Mais le contraste n’est pas opposition. Contraste ne présage pas spontanément de dualité. De la tige verte vigoureuse à la corolle fuchsia chatoyante du crocus du printemps, il y a contraste mais pas opposition. Il y a différence mais pas de division.
Ensemble, ils percent les neiges de l’hiver.


Vendredi même, alors que la plus grande partie de nos frères chrétiens célèbreront la passion du Christ, nous, dans le bouddhisme zen, nous rentrerons dans l’absorption de la méditation présente et silencieuse.


Entre vendredi saint et le dimanche de Pâques l’Eglise se tient dans un silence à la fois austère de la perte douloureuse du Messie, mais également d’un silence habité de l’espoir de la résurrection….


En zazen, ce silence unifiant, qui ne se pétrit d’aucune attente, d’aucun espoir, d’aucun but se prolonge dans l’espace et dans le temps larges et infinis.

Nous pouvons ainsi tout embrasser. L’intérieur devient l’extérieur et l’extérieur inonde l’intérieur.


Il n’y a plus de séparation entre la croix et le lotus.

Et c’est dans le silence que la croix et le lotus peuvent se parler.


Lorsque les dogmes stupides tombent; lorsque nos peurs cessent; lorsque l’oreille du coeur devient attentive; lorsque notre esprit est saisi soudain par ce mystère plus grand que nous au plus profond de nous, alors apparaît l’unification.


C’est l’amour que je veux, non le sacrifice.


Notre terre, est habité par une marée de conflits, de guerres, d’oppositions, dont la plus part se cachent derrière un prétexte religieux, spirituel, souvent dogmatique et stigmatisant, loin, bien loin des textes fondateurs de nos croyances, de notre foi.


Alors toute occasion est bonne pour chercher ce qui nous unit et bâtir une humanité harmonieuse et pleinement unifiée.


Au moment même où nous célébrons ces moments forts de la vie de nos communautés, comment pourrions nous en savourer pleinement l’essence, en produire d’innombrables bénéfices pour l’humanité, illuminer le monde et sauver chaque être de la souffrance si nous continuons de croire que nous sommes, séparés, opposés, si nous persistons à laisser nos peurs nous affronter nous diviser, nous rejeter ….


Nos rites, nos symboles forts, seraient-ils morts?

Célébrons nous pour suivre un calendrier, où bien célébrons nous avec le coeur? Car le coeur ne sait séparer.


Qu’adviendrait-il si la corolle fuchsia du crocus rejetait la verte tige?

Et d’ailleurs, pourrait-elle seulement y parvenir?


Nous sommes UN.

Mais seul l’amour nous unifie.


Dimanche, alors que pour nos frères chrétiens la bonne nouvelle de la Résurrection éclatera de joie et de liesse, nous célébrerons la Naissance du Bouddha Sakyamuni par le rite paisible et serein du bain du bouddha.


Et c’est sur la symbolique de ce geste que je voudrais m’arrêter.

Dans la tradition pieuse et populaire cela a pris l’allure d’une sorte de forme d’acte de purification, ou de repentance; j’entends parfois dire que ce geste nous lave de nos fautes de nos passions et de nos attachements…. mais là n’est guère la symbolique réelle de ce rite.


Et d’ailleurs, quelles fautes? Où sont elles? Comment peut on les laver?


Croire que notre fragilité, nos défauts, nos manquements, nos « chutes » puissent s’effacer en un geste ou par des mots reviendrait à croire que je peux tuer, voler, mentir, usurper, trahir, souiller, et que finalement un rite ou une confession de mes actes pourrait tout effacer. SI tel était le cas, toutes les conséquences produites par nos pensées, nos actes et nos paroles cesseraient soudain avec ce « lavement rituel ».

Or ce n’est pas le cas.

Tous autant que nous sommes, quelles qu’elles soient nos croyances, notre foi, nos convictions ou nos doutes, nous ne pouvons que constater sincèrement que toutes nos pensées nos paroles nos actes sont autant de causes qui engendrent des effets.


Aussi le galet jeté dans l’étang, une fois lancé on a beau dire « reviens je ne voulais pas te lancer! », il finira tout de même dans l’eau en engendrant des ondes se répercutant sur d’autres ondes de plus en plus larges.


Il n’y a rien à pardonner en réalité, car tout apparaît en ce monde et tout disparait. Sans cesse. Tout est vacuité. Tout est recommencement. Instant après instant tout est neuf et parfaitement accompli.

Nous n’arrêterons pas de lancer des galets…. on ne peut arrêter nos pensées nos paroles et nos actes, mais nous pouvons décider ici, maintenant, d’être nouveaux. Faire en sorte que nos pensées ne dominent pas notre esprit, que nos paroles soient aimantes et que nos actes engendrent le bien aller pour tous les êtres.


Ce qui est fait n’existe plus.

Ce qui est à faire n’existe pas encore.

La verité n’est que sous nos pas.


Et si nous revenions à la vérité?

A l’essentiel?


ku1.jpgCe rituel du bain du Bouddha Enfant symbolise la façon dont nous devons prendre soin de nous, de notre essence profonde, de notre nature véritablement éveillée et profondément harmonieuse.

Lorsque par le bol en bambou nous arrosons la statue de l’enfant Bouddha d’eau mélangée au miel aux pétales de fleurs et aux essences précieuses, par notre pleine conscience, et notre parfaite présence en ce geste, nous faisons le vœu d’arroser sans cesse notre esprit par la pureté de l’instant présent pleinement vécu.


Dans cette plénitude il ne peut y avoir de différence. Pas de séparation.

C’est notre coeur que nous arrosons…. c’est sur l’étendue de notre esprit « un » que nous déversons l’eau pure et fraiche de notre générosité, le parfum de notre sincérité, les pétales colorées de nos différences réunies, la douceur de notre amour et de notre compassion.


Ce rituel nous ramène d’abord vers nous mêmes. Au plus vrai de nous. Juste ainsi. Par cet amour et cette compassion, par la non violence et la paix c’est notre nature véritable dont nous prenons soin.

Celle-ci chérie et réconciliée, peut enfin s’ouvrir au monde, sans barrières, sans peurs et sans discriminations.

Ce monde qui n’est qu’une seule et unique fleur.


Ce rite n’est pas un simple acte de vénération, et moins encore une forme de lavement des coulpes.

C’est au contraire l’a reconnaissance profonde de l’immense et merveilleuse beauté de ce que nous sommes en vérité, joyau dont il faut prendre soin.
Beauté pétrie de sagesse, d’ainsité, de bonté, d’amour et de compassion, d’harmonie de paix et de vérité.


En reconnaissant cette beauté en nous, nous la reconnaissons en chaque être vivant, et de la façon dont nous en prenons soin en nous (ou pas) nous en prenons soin en chaque être vivant.


C’est l’amour que je veux, non le sacrifice.


En d’autres termes, un amour qui s’offre, qui se donne comme un sacrifice.

Le sacrifice non tant comme dans le sens primitif et sanguinaire, mais comme l’offrande pure et simple du produit de notre terre et de notre travail, deux mots que je traduirais par le produit de notre « esprit pur » et de notre pratique sincère.


Si nous écoutons ce grand Bouddha que fut le Christ dire à ses disciples: « allez donc apprendre ce que signifie c’est l’amour que je veux et non le sacrifice » dans l’évangile de Mathieu nous comprenons comment souvent nos rites nous éloignent de l’essentiel alors que leur usage devrait nous unifier et anéantir ce qui sépare le symbolique du réel.


Dans le Sutra de l’amour universel il est dit:


« Que le sage soit Pareil à la mère qui, au péril de sa vie,

Surveille et protège son unique enfant,

De même, avec un esprit sans limite,

Doit-on chérir tous les êtres vivants.


Aimer le monde en son entier: au-dessus, au-dessous,

Et tout autour, sans aucune limite,

Avec une infinie bonté bienveillante.

Etant debout ou marchant, étant assis ou couché,

Celui qui veut vivre l’Enseignement du Bouddha

Doit avoir toujours présent à l’esprit cela ».


Je fais le voeux qu’en arrosant l’Enfant Bouddha se déverse en notre vie l’élan profond et durable, sans cesse neuf, de prendre soin de nous mêmes ainsi que de chaque être vivant comme une mère prends soin de son enfant unique.


Que tombent nos divisions, que cessent nos combats, que s’assemblent nos différences.


Alors nos différences seront notre force.

Nos rites deviendront la célébration de la beauté du monde.

Notre foi sera ainsi la reconnaissance sincère de la beauté immense et parfaitement unifié de chaque etre vivant.


En ces jours de fête, et en ce monde divisé, je renouvelle mon amour et ma fraternité à mes frères chrétiens.


La lumière de Pâques et la lumière de la Naissance du Bouddha proviennent de la même nature de l’univers.

Nous partageons le même ciel. Le même soleil nous réchauffe. Nous respirons le même air.


Djong Do Gosa Nim

Federico PROCOPIO

Abbé du Temple Bouddhiste Zen Kwan Um de Paris


procopiofederico@kwanumzen.fr

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